Elles avaient laissé leurs enfants au Maroc pour aller cueillir les fraises en Espagne : dix saisonnières marocaines affirment à l’AFP avoir enduré des rythmes harassants, des cas de harcèlement sexuel et une tentative de viol, des accusations qui suscitent une vive controverse en Andalousie.
Leurs dénonciations ont été farouchement rejetées au sein de l’importante entreprise Donana 1998 qui les emploie à Almonte dans la province de Huelva (sud), où on les accuse d’avoir “monté” ce scandale pour rester en Espagne.
Cinq ont porté plainte et cinq autres assurent vouloir le faire, réfugiées dans une maison de la province voisine de Malaga, où elles sont invitées à séjourner par le Syndicat andalou des travailleurs (SAT) qui les soutient.
Venues d’Errachidia, de Bouarfa, Berkane, Guercif ou Chefchaouen, ces femmes de 23 à 35 ans au visage triste sont toutes mères de jeunes enfants: une condition imposée à leur recrutement pour qu’elles rentrent au pays à la fin de la saison.
L’une invoque “la pauvreté” qui l’a poussée à partir cueillir les fraises, un mois après avoir accouché de son dernier né. Une autre, enceinte de cinq mois à son arrivée fin avril, espérait “payer une opération” à son fils avec l’argent gagné.
Toutes font partie des 16.000 Marocaines venues cueillir les fruits rouges avec un contrat signé au Maroc.
“Mais ce qu’il y a dans le contrat et la réalité, ça n’a rien à voir”, soutient anonymement Layla, 31 ans (les prénoms ont été modifiés).
– ‘Personne ne nous défendait comme femmes’ –
La plus âgée, Adiba, 35 ans, explique que “le travail était très dur à cause du rythme”.
“Le contrat prévoyait six heures et demie de travail par jour, payées 39 à 40 euros, avec un jour de repos par semaine. Mais on nous a dit que c’était la deuxième récolte et qu’on serait payées au rendement: 75 centimes d’euro la cagette de 5 kilos”.
“Tu devais cueillir les fraises très, très vite, sinon ils te sanctionnaient en te privant de travail plusieurs jours”, dit-elle, regrettant de n’avoir travaillé “que 23 jours”, après s’être endettée pour payer passeport, visa et démarches pour décrocher le contrat de trois mois.
La fourniture d’un logement gratuit était prévue “mais on dormait à six dans un des préfabriqués” très rudimentaires, installés près des serres, dit Adiba, et “on nous retirait trois euros par jour” pour cela.
Charifa, 23 ans, éclate soudain en sanglots quand elle dit: “personne ne nous défendait en tant que femmes”, en assurant que le chef “proposait 50 euros pour des relations” (sexuelles).
Le silence se fait quand Fadila, 29 ans, raconte le jour où elle a cru pouvoir accepter que “le chef” la transporte en voiture: “j’ai dû lutter avec lui sur le siège avant, il m’a étreinte et embrassée de force, m’a touché les seins et…”, dit-elle, sans poursuivre.
Alors que les victimes d’abus sexuels peuvent être l’objet d’ostracisme au Maroc, une femme divorcée murmure, très angoissée: “Je peux tout oublier, tout surmonter, mais pas que mon mari me reprenne la garde des enfants.”
“Nous voulons la justice, que les autorités du Maroc n’envoient plus de femmes ici dans ces conditions, et pouvoir rentrer la tête haute”, conclut Houda, 33 ans.
Sous contrat avec la même entreprise, une autre saisonnière marocaine a rédigé un texte démentant catégoriquement les accusations pesant sur la société qui emploie des centaines de Marocaines chaque année.
Signée par 131 compatriotes, cette contre-plainte a été enregistrée au commissariat.
Dans une interview à la radio, l’un des dirigeants de Donana 1998, Manuel Matos, a accusé le syndicat SAT d’avoir manipulé ces femmes pour raisons politiques en leur “promettant des papiers” en échange de “mensonges”.
L’entreprise n’a pas souhaité répondre aux questions de l’AFP, un représentant assurant par téléphone que “tout y est absolument conforme aux normes”.