Abdallah Zekri, le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président de l’Observatoire national contre l’islamophobie, a livré sa réaction sur le projet du président Emmanuel Macron d’organiser « l’islam de France ».
Quel est votre avis sur le chantier de « l’islam de France » orchestré par Emmanuel Macron ?
Il appartient au CFCM de tracer la ligne à suivre pour la représentation de l’islam en France, mais aussi pour s’ouvrir à la jeunesse musulmane. Nous travaillons depuis un mois à la refonte de l’organisme par rapport aux prochaines élections (NDLR: elles se tiendront au printemps 2019). Le CFCM est naturellement ouvert à la discussion, mais je ne pense pas qu’on puisse imposer quoi que ce soit, puisqu’en cela il y aurait non-respect de la laïcité, avec l’ingérence de la sphère politique dans le domaine religieux.
Ce qui me dérange, c’est que ceux qui sont en train de conseiller le président de la République sur le sujet (Gilles Kepel, Hakim El Karoui, Haïm Korsia) sont des personnes qui ignorent le fonctionnement du CFCM. D’autre part, Emmanuel Macron a clairement dit que le CFCM était l’organe officiel avec lequel le gouvernement traite. Je suis irrité par les déclarations des uns et des autres sur la question. Cela a commencé avec Jean-Pierre Chevènement, (président de la fondation pour l’islam de France) qui a évoqué la formation des imams et le financement du culte musulman. Il y a eu ensuite dimanche dernier, les propos du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb qui a déclaré vouloir des « imams de la République française ». Mais qu’est-ce que ce terme signifie ? Il faudrait qu’il nous le fasse comprendre.
56% des Français estiment que l’islam est compatible avec les valeurs de la société française, tandis que 43% pensent le contraire, selon un sondage publié dans le JDD. Qu’en pensez-vous ?
Évidemment, l’islam respecte les valeurs républicaines et nous passons notre temps à le dire. Il y a une sorte de mauvaise propagande qui se joue à l’encontre de l’islam. On dit que des imams viennent de l’étranger. Oui, il y a l’Algérie, le Maroc et la Turquie qui envoient des imams en France, mais ce sont des religieux qualifiés, venus pour une période déterminée suite à des accords bilatéraux entre le gouvernement français et chacun de ces pays. Il y a même des imams formés en France, qui connaissent le contexte national, mais les mosquées n’ont pas les moyens de les payer. La question financière est cruciale.
Les médias semblent d’ailleurs ne se focaliser que sur le financement des mosquées par des États étrangers, mais je peux vous certifier qu’il existe plusieurs mosquées en France qui ont été construites uniquement grâce à l’argent des fidèles, sans un centime provenant de l’étranger. Il va de soi qu’il y a une presse et certains hommes politiques (et le mot va peut-être choquer) racistes qui ont fait de l’islam un débat permanent. Mais il faut comprendre que la communauté musulmane en a plus qu’assez d’être jugée et que l’on parle en son nom. Oui pour la discussion et l’échange, non à toute intention d’imposer des réformes.
C’est un tournant important pour le monde musulman en France…
Il faut que les différents organes musulmans se mettent autour d’une table pour discuter de cette refonte qui doit avoir lieu, et non pas se dérober pour écouter uniquement ce que disent les médias. Il y a au sein du CFCM quelques incohérences, quelques insuffisances à rectifier. Mais il faut surtout arrêter avec ces nominations de complaisance. Les musulmans français attendent de nous que l’on puisse défendre l’islam, qui est fortement stigmatisé.