REPORTAGE. Dans le sud-est du pays, à une vingtaine de kilomètres de la ville d’Ouargla, la localité de Hassi Ben Abdellah accueille depuis 2015 la première ferme pilote aquacole, c’est-à-dire de culture d’organismes aquatiques en milieu fermé.
Le complexe, qui s’étend sur dix hectares en plein Sahara, est le fruit d’un partenariat algéro-sud-coréen. Dotée d’une capacité de production de dix tonnes, cette ferme est composée de plusieurs installations dont des bassins d’élevage et d’engraissement ainsi que des laboratoires. Principalement destinée à l’élevage de crevettes en Algérie, d’autres poissons comestibles vivant dans les eaux douces y sont également cultivés.
Au sein de ce complexe, une équipe composée d’ingénieurs et d’une poignée d’étudiants stagiaires de l’université Kasdi Merbah (Ouargla) travaillent à la préparation des bassins pour le prochain cycle d’expérimentation. À leur tête, Ayoub Hamdi, 32 ans, ingénieur technique spécialisé dans l’élevage aquacole. Diplômé de l’université d’Ouargla, le jeune ingénieur a suivi une formation en Corée du Sud -où le marché aquacole est très développé- avec 11 autres ingénieurs dans le cadre de ce partenariat algéro-sud-coréen.
« Actuellement, nous préparons le milieu de culture. Au mois d’avril, nous allons commencer le prochain cycle des expérimentations », détaille Ayoub Hamdi. Ces expérimentations consistent à élever des crevettes à pattes blanches dans une eau douce d’abord dans des bassins en intérieur, puis en extérieur. « Les post-larves, jeunes crevettes sauvages, sont placées dans des bassins à l’eau de mer. Dès le deuxième jour, on rajoute de l’eau douce. Puis après la période d’adaptation, on commence à les nourrir, puis on les met dans les grands bassins triangulaires », explique l’ingénieur.
« À partir de la mi-mai, quand la température se stabilise, on commence la deuxième phase de l’élevage. Les crevettes sont installées dans des bassins à l’extérieur. Comme les crevettes aiment vivre dans des eaux chaudes, les conditions sont donc réunies pour la réussite de nos expérimentations », ajoute-il. Puis, après la phase d’élevage, vient celle de la récolte qui doit être progressive », remarque-t-il.
Une tonne de crevettes produites en 2017
Deux ans seulement après la mise en service de la ferme aquacole de Hassi Ben Abdellah, l’équipe chargée des expérimentations s’est fixée l’objectif de produire une tonne de crevettes en 2017.
En 2015, la ferme a produit 70 kilogrammes de crevettes, puis entre 600 et 700 kilogrammes en 2016. Si les premières récoltes visaient à faire connaître le produit, ou ont été données à des œuvres caritatives, la ferme veut aujourd’hui passer à la vitesse supérieure. Et commercialiser ses crevettes. Mais la décision dépend du CNRDPA (Centre national de recherche et de développement de la pêche et de l’aquaculture).
Néanmoins, la priorité doit être donnée à la recherche et la formation, explique le chef de cette équipe. « Oui, on aimerait bien entrer dans une phase de production. Mais, on privilégie le côté académique. À mon sens, il serait mieux de former du personnel ou d’installer d’autres fermes du genre dans d’autres régions ».
Mais avec la chute des revenus issus de la manne pétrolière, les dépenses publiques sont au ralenti, et les embauches dans le secteur public ont été gelées. « Nous avons fait des demandes pour le recrutement d’autres employés, mais avec la conjoncture, l’État ne recrute plus », déplore l’ingénieur.
Une technique expérimentée dès 2002
Dans la région, ce type d’élevage n’est toutefois pas nouveau. Des expérimentations ont été menées depuis 2002, sur d’autres espèces, notamment le tilapia nilotica (le tilapia du Nil) et le poisson chat. Cette technique devait ainsi permettre aux agriculteurs de la wilaya d’Ouargla, ou des wilayas limitrophes (Ghardaia, El Oued et Ilizi) de faire des élevages destinés à leur propre consommation. Les résultats ont été encourageants, indique Ismail Taalbi, ingénieur à la direction de la Pêche et des Ressources halieutiques de la wilaya d’Ouargla.
Pour encourager l’élevage du poisson dans le Sahara, une station d’expérimentation a même été créée en 2008. Située à quelques encablures de la ferme aquacole de crevettes, elle sert à effectuer des recherches sur la culture aquatique et sur l’alimentation et la reproduction des poissons d’eau douce. Le but, c’est de conseiller les agriculteurs de la région et les investisseurs, explique Mohamed Hamidat, ingénieur en aquaculture et chef de la station d’expérimentation.
Un complexe privé opérationnel depuis 2013
Autre projet : un investisseur privé de la région s’est lancé dans l’élevage du poisson chat en 2013. Le complexe s’étend sur 5 hectares avec une capacité de production qui peut aller jusqu’à 6000 tonnes. Il comprend plusieurs bassins d’élevage à l’intérieur et à l’extérieur, une unité de transformation ainsi qu’une autre pour la production des aliments. Montant total de l’investissement : 690 millions de dinars, selon son directeur, Mohamed Moulay.
« On a fait une première expérience avec le tilapia mais elle n’a pas abouti en raison des habitudes de consommation de la population. Le tilapia est un poisson qui contient beaucoup d’arêtes, ce qui gêne le consommateur. Donc, on a opté pour le poisson chat car sa chaire est plus tendre », explique-t-il.
Outre le poisson chat dont la production a atteint presque les 300 tonnes, le complexe mène des expérimentations sur les crevettes, mais différentes de celles de la ferme pilote. « On leur a donné un aliment totalement différent et on a obtenu de bons résultats. Lors d’une dégustation qu’on a faite pour une délégation menée par l’ancien ministre de l’Agriculture et de la Pêche (Sid Ahmed Ferroukhi), tout le monde a été surpris par la qualité de sa chair », raconte en guise d’anecdote le directeur. Il envisage également de produire une deuxième espèce de poisson, le panga .
Boris Dandjinou, expert en aquaculture, veille quant à lui au bien-être des milliers de poissons chat élevés ici. Pour cet ingénieur d’origine béninoise, la qualité du poisson produit dans ce complexe est indiscutable, et la filière d’aquaculture a de beaux jours devant elle. « L’eau est de qualité dans la région d’Ouargla. Elle nous permet de ne pas faire de traitement à base d’antibiotiques. (…) Elle s’y prête beaucoup pour ce genre d’élevage ».
Gagner la confiance des consommateurs
Mais en dépit de bons résultats obtenus, la commercialisation de poissons « made in Ouargla » rencontre des difficultés car elle ne fait pas partie des habitudes de consommation.
« On a des problèmes de commercialisation en effet car l’activité est nouvelle en Algérie. Mais il suffit de lancer le produit et d’investir dans la publicité et le marketing pour que cela aboutisse. Il ne faut pas oublier que les producteurs de poulet issu de l’élevage ont attendu 20 ans avant de réussir à commercialiser leurs produits”, explique le directeur. Prochainement, poursuit-il, « on va ouvrir un magasin à côté du port d’Alger pour exposer nos poissons dans la capitale ».
Un avis partagé par le directeur de la Pêche et des Ressources Halieutiques de la wilaya d’Ouargla, Nadir Korichi. « Le poulet issu de l’élevage garnit de nos jours les assiettes des Algériens. Le poisson de l’élevage finira par le faire ».
« Aujourd’hui on produit réellement des poissons et des crevettes. Mais avant d’en arriver là, on a dû batailler pour expliquer que la pêche continentale est faisable dans le Sud. Personnellement, je me faisais souvent taquiner par mes connaissances sur mon statut de directeur de la Pêche de la wilaya d’Ouargla. Mais aujourd’hui, les gens l’acceptent. Il feront de même pour le poisson », s’amuse-t-il.
Selon M. Korichi, plus de trente-deux opérateurs privés nationaux ont exprimé leur intention d’investir dans le secteur.