Autisme ? Entêtement ? Il y a une expression de tout cela dans le nouveau discours du chef de l’état-major de l’armée qui se dévoile sans fard dans un rôle qui dépasse largement celui de patron de l’armée. Il parle de politique et de justice en occultant ostensiblement les vraies raisons de ce qu’il ne prive pas de désigner sous le nom de « crise ».
La situation que vit le pays aujourd’hui et l’affaissement moral qui la caractérise sont le résultat de deux décennies de bouteflikisme dont le général Ahmed Gaiïd Salah fut un acteur majeur.
C’est la gestion chaotique de Bouteflika qui a produit la corruption qu’il érige maintenant en thème majeur de sa démarche politique qui peine à prendre la forme d’un projet. Il le dit lui-même : ces suspects que l’on convoque devant les tribunaux n’ont pas commencé à voler et à détourner l’argent du peuple depuis le 2 avril. Et l’armée le savait, insiste-t-il.
« Les services du ministère de la Défense détiennent des informations avérées concernant plusieurs dossiers lourds de corruption, dont je me suis enquis personnellement, dévoilant des faits de spoliations de fonds publics avec des chiffres et des montants faramineux », a-t-il dit.
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Pour être si lourds, les dossiers ont certainement pris du temps à être nourris de faits criminels et délictueux par les services de Renseignement ayant compétence de police judiciaire. C’est la preuve d’un travail patient, conduit donc sous le règne de Bouteflika. Aurait-il fait obstruction à sa transmission à la justice ? Si c’est le cas, cela est à rajouter à son héritage.
Désormais, les personnes impliquées seront « poursuivies », promet le vice-ministre de la Défense en écartant toute idée d’ingérence dans le travail des juges et toute velléité de règlement de compte. Il ne peut pourtant éviter de tels soupçons puisqu’il ne conçoit pas de renvoyer les poursuites à la mise en place d’un pouvoir politique légitime capable d’assurer une indépendance de la justice. Cela prendra du temps et favorisera les fuites, craint le vice-ministre de la Défense qui promet d’assainir le pays des corrompus et des corrupteurs.
La lutte contre la corruption est le nouveau cheval de bataille de Gaïd Salah, avec lequel il espère calmer les Algériens, et sauver le système. Une tâche ardue qui va s’étaler dans le temps, tant que la corruption s’est généralisée sous Bouteflika.
Quel que soit le nombre de « corrompus » qui seront traînés devant les tribunaux, le peuple réclamera toujours davantage et se posera toujours la même question : pourquoi untel a été épargné alors que des soupçons pèsent sur lui ? Dans un pays où la rumeur a fait de tout le monde un suspect potentiel de vol et de détournement, la tâche s’annonce clairement impossible et les risques de dérapages nombreux.
Or, la justice doit agir dans la sérénité, loin des pressions politiques et populaires. Ce qui est loin d’être le cas en période de crise et durant la transition. La lutte contre la corruption doit être menée par une justice indépendante et un pouvoir légitime élu par le peuple.
Ahmed Gaïd Salah connaît la soif de justice des citoyens longtemps méprisés et l’impact de la lutte contre la corruption sur l’opinion publique. Il n’y a qu’à voir la jubilation avec laquelle a été accueillie la convocation d’Ahmed Ouyahia qui a quitté le tribunal par une porte dérobée sous les insultes et la poursuite de ceux qui l’ont vu sortir.
Le chef de l’état-major semble vouloir faire de la lutte contre la corruption un mouvement d’adhésion à sa démarche politique orientée vers la tenue d’une élection présidentielle. Ahmed Gaïd Salah refuse toujours d’entendre parler d’une transition et d’une solution politique, préférant enfermer le pays dans un cadre constitutionnel largement dépassé.
Il reconnaît pourtant que les conditions d’un scrutin ne sont pas « idoines » à deux mois à peine de la date envisagée. Alors que la collecte des signatures de parrainage doit commencer la semaine prochaine, aucune candidature significative ne s’est signalée. Sans compter que le mouvement populaire rejette cette idée. Est-ce que le pays prendra le risque d’un président mal élu et illégitime ? Le faire, c’est aller à l’encontre de la volonté du peuple.
Le faire, c’est également prendre le risque d’affaiblir le pays vis-à-vis de l’étranger. Il y a des signes qui ne trompent pas. Aucun pays n’a félicité Abdelkader Bensalah ni Noureddine Bedoui. Une situation qui pourrait se reproduire avec un nouveau président mal élu. Le risque d’avoir un président non reconnu par une partie de la communauté internationale est bien réel.
Pour l’instant, le chef de l’état-major insiste sur le respect de la Constitution et maintient le cap de la présidentielle, « le plus tôt possible », sans préciser de date. Mais tout peut changer. En attendant, il exerce toute son influence avec la possibilité de “débouteflikiser” l’ensemble des hautes fonctions pourvues par la « bande ». D’ailleurs, son chef est toujours réclamé par la foule qui souhaite le voir devant les juges.