Une enquête de l’institut de sondages Ifop, réalisée à la suite de l’élection présidentielle de 2012, indiquait que 4% des électeurs musulmans avaient voté pour Marine Le Pen au premier tour. En revanche, aucune étude détaillée ne nous indique le pourcentage d’électeurs frontistes issus de l’immigration maghrébine.
Déçus des partis traditionnels
Si, de prime abord, le vote FN est jugé idéologiquement incompatible avec le fait d’être issu de l’immigration a fortiori maghrébine, les nouveaux électeurs frontistes ont d’abord franchi le pas par déception des formations politiques traditionnelles.
À 20 ans, Dalila Fortin pensait que « lorsqu’on vote à gauche, on est du côté des bons ». Férue d’écologie, elle accuse sa première déception politique quand elle se penche sur les programmes. « Les partis se revendiquant écologistes ne se positionnaient pas sur ces sujets-là. Ou c’était un positionnement de façade », explique-t-elle à TSA.
La qualification de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002 alimente sa réflexion. Elle ne comprend pas pourquoi un candidat peut être victime d’une telle mise au ban. L’épisode la pousse « à oser s’intéresser au FN », un parti à qui on réserve « un traitement différent ».
À la fin de ses études à l’école des Beaux-Arts de Paris, la jeune femme, marocaine par sa mère, part vivre quelques mois en Asie. Elle y rencontre des gens de divers horizons. Quelque chose lui saute aux yeux. Elle déplore le dénigrement des Français vis-à-vis de leur pays. « Ils sont déçus. Quand on les entend parler, on a l’impression que rien n’est possible ». Et paradoxalement, elle constate que « le choix des gouvernements français en termes de géopolitique et de diplomatie donne une très mauvaise image de la France. Il y a cette arrogance en particulier sur la question des droits de l’Homme ».
À son retour, en 2010, elle se rapproche progressivement du FN, puis adhère au parti six ans plus tard. La gauche, donneuse de leçons en matière d’immigration, l’horripile. « Elle dit vouloir accueillir les immigrés alors même qu’il n’y a rien pour eux ici. Quel est leur horizon, devenir les proies d’un système, vivre dans la misère ? J’ai eu le cas dans ma propre famille. Est-ce que l’on peut vraiment leur souhaiter ça ? », s’interroge la jeune franco-marocaine de 32 ans.
Candidate à la députation dans la 9e circonscription des Français de l’étranger, -elle n’a obtenu que 2,28% des suffrages-, Dalila Fortin s’étonne du discours ambiant. « Pourquoi partir du principe que les gens doivent quitter leur pays ? Ce qu’il faut, c’est la mise en place d’une aide au développement en Afrique. Le continent souffre de cette image de victime qu’on leur a donnée. Le fait de les maintenir dans cet état, c’est le moyen d’omettre la question économique. Si ces pays étaient capables de se développer, cette douleur liée à l’histoire coloniale passée s’éteindrait ».
Délitement de la France
« Cette honte de la France » déplorée chez les Français, c’est aussi ce qui a poussé Yasmine Benzelmat, 35 ans, aujourd’hui conseillère FN de la région Île-de-France, à prendre sa carte au parti. « Il n’y a qu’en France qu’il faut avoir honte d’être Français. Ici, le fait d’aimer son pays, et de le dire, c’est être facho ».
Cette jeune femme d’origine marocaine, qui se revendique catholique-orthodoxe, déplore la décroissance de la France : « Un laxisme judiciaire », une immigration non contrôlée : « on ne sait plus qui entre, qui sort », et un système éducatif désormais nivelé par le bas. Quant à la gauche qui prône « une discrimination positive » dans l’éducation, Yasmine Benzelmat estime que « même positive, elle demeure une discrimination ».
Auprès de leurs proches, cet engagement n’est pas toujours bien reçu. « Des amies m’ont tourné le dos. Ça a surpris ma famille, et même jeté un petit froid », raconte la conseillère régionale. « Mais je pense que si j’avais pris ma carte chez les Républicains, ça aurait été la même chose », tient-elle à préciser.
A contrario, Dalila Fortin observe « une libération de la parole ». Bien qu’on lui pose régulièrement la question de son engagement au sein d’un parti considéré comme xénophobe, elle se rend compte que les gens « sont souvent d’accord avec les propositions économiques du FN ». Yasmine Benzelmat note d’ailleurs que « les personnes d’origine étrangère sont souvent plus à l’écoute quand elle tracte sur les marchés ».
L’intégration par le vote FN
Alors que les gens lui renvoient à la figure son « identité d’immigrée », le parti de Marine Le Pen ne lui a jamais fait remarquer ses origines, assure Dalila Fortin. C’est d’ailleurs un argument défendu par Omar Djellil. Ce dernier est passé par le PS et « Sos Racisme » avant de rallier le FN, et de se présenter sous les couleurs du parti frontiste aux élections législatives à Marseille en 2012. Une trajectoire politique que ce fils de militaires algériens dans l’armée française, musulman, raconte dans le livre de Gilles Kepel : « J’ai un parcours militant de gauche très actif, et je pense que mon engagement présent est aussi la conséquence de ma déception de cette gauche qui, à l’époque était très populaire (…) Je fais partie des gens qui, à un moment donné, ont ressenti une certaine trahison par rapport aux idéaux, aux convictions, qu’ils étaient censés incarner ».
Pour lui, seul le FN a la volonté de les « assimiler », et non de les considérer uniquement « comme minorité visible ». « La thèse des socialistes, c’est : vous êtes Français d’origine immigrée, de la diversité, minorité soit invisible, soit visible, on ne sait jamais, mais en tout cas vous êtes de la deuxième, troisième, voire cinquième génération. Bref, on n’est jamais Français. À l’UMP, les débats « identitaires », ne cherchent qu’à nous sortir du corps national : les petits croissants, les pains au chocolat, etc », explique-t-il dans « Passion française. Les voix des cités ».
Cet engagement ne les empêche toutefois pas d’être critiques vis-à-vis de leur parti. Dalila Fortin n’est pas musulmane mais reconnaît que la stigmatisation de cette communauté par Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle était « un peu maladroite ». « Elle aurait dû faire la différence afin de ne pas mélanger islam et islamisme radical. Cette maladresse était portée par un désir électoral ».
Mais, « la gauche et la droite ont leur responsabilité dans ce jeu-là. À force d’en parler, les Français sont devenus suspicieux ». Quant à Omar Djellil, il reconnaît qu’il existe « un Front idéologique exécrable, nauséabond ». Confronté à cette « ligne dure », il a finalement quitté le parti récemment.