A la surprise générale, le président Bouteflika s’est « exprimé » quelques instants avant l’expiration du délai de dépôt des dossiers de candidature pour la présidentielle d’avril.
Dans une tentative de calmer la rue qui bouillonne depuis l’annonce de sa candidature pour un cinquième mandat, le chef de l’Etat a promis, s’il est réélu, d’organiser une présidentielle anticipée, à laquelle il ne participera pas. La date du scrutin sera décidée par la conférence nationale qu’il avait annoncée dans sa lettre-programme du 10 février.
Il promet aussi une profonde révision de la Constitution par voie référendaire. Bouteflika assure avoir « entendu » les Algériens qui l’ont « interpellé sur l’avenir de notre partie ».
S’il ne cède rien sur la principale revendication de la rue, qui est son renoncement au cinquième mandat, Bouteflika change au moins d’attitude par rapport à la semaine passée, quand il a complètement méprisé la mobilisation populaire. Le 24 février, dans son message aux travailleurs, pas un mot sur les imposantes marches qui avaient lieu deux jours plus tôt à travers le pays. Au contraire, il avait contre toute attente évoqué longuement les « vertus de la continuité ». Cette fois, il affirme avoir « entendu » la rue et fait même un geste.
Le mot concession semble trop grand pour ce que propose le président à un peuple qui est sorti par millions dans les rues réclamer son départ immédiat et celui de tout le système qu’il incarne. Il s’engage certes à accéder à la revendication du “changement de système”, mais les contours de ce qu’il conviendrait d’appeler une nouvelle feuille de route demeurent vagues et flous. Y voir une énième manœuvre ne serait du coup pas exagéré ni ne relèverait de la paranoïa. Car dans la lettre présidentielle, il manque une précision de taille : la date de la tenue de la présidentielle anticipée. Légalement, il ne peut être interpellé s’il la convoque dans quatre ans et demi par exemple. Elle serait toujours anticipée car organisée avant l’expiration de son mandat.
Qu’est-ce qui l’empêche d’annoncer une échéance précise, un, deux ou trois ans ? Rien, sinon le souci de ne pas s’engager sur quoi que ce soit qui pourrait lui être opposable. C’est du moins la lecture qui risque d’être faite par la rue et l’opposition de cette imprécision et ce ne serait pas inopportun, Bouteflika a lui-même donné plus d’une preuve deux décennies durant de sa volonté de mourir président.
Aussi, il ne répond pas à la grande interrogation : pourquoi cette insistance à vouloir un cinquième mandat, quand bien même il n’irait pas à son terme, dans les conditions que tout le monde connait, soit un état de santé dégradé, un âge avancé, un bilan loin d’être irréprochable et une défiance populaire sans précédent ?
Pour la révision constitutionnelle et la conférence nationale, il n’y a presque rien de nouveau par rapport à ce qui a été annoncé le 10 février. Il reste à retenir néanmoins que le président et son entourage ont dû constater les limites de la stratégie adoptée jusque-là.
L’arrogance qui s’est dégagée de la lettre du 10 février est peut-être pour quelque chose dans le décuplement du nombre de manifestants vendredi dernier et ce qu’il convient d’appeler le durcissement du mouvement avec l’exigence du départ de tout le système. La veille de nouvelle lettre déjà, le cercle présidentiel avait dû sacrifier l’un de ses plus fidèles serviteurs, Abdelmalek Sellal.
La teneur du message de ce dimanche tranche nettement, non seulement avec ce qu’on a entendu ces dernières semaines, mais avec vingt ans d’arrogance. Que l’on juge : « J’ai écouté et entendu les cris de cœur des manifestants et en particulier des milliers de jeunes qui m’ont interpellé sur l’avenir de notre pays. Ces jeunes ont exprimé une inquiétude compréhensible face aux incertitudes qui les animent. J’ai le devoir et la volonté d’apaiser les cœurs et les esprits de mes compatriotes ».
Bouteflika adopte un ton conciliant, voire un profil bas. Il ne pouvait en être autrement au vu de la tournure prise par les événements, mais il n’a pas renoncé à sa candidature, à l’origine de la sortie dans la rue de millions d’Algériens dans la rue.
Qu’en pensera justement la rue ? Hier soir, les Algériens ont répondu par d’importantes marches nocturnes à travers tout le pays. Un avant-goût de ce que seront les jours à venir. La confiance semble rompue et Bouteflika ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Car en matière de réformes et de démocratisation, il a pris plein engagements solennels par le passé, hélas, sans jamais les tenir.