CONTRIBUTION. “L’âge de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierre, et l’âge du pétrole se terminera bien avant que le monde ne manque de pétrole”. Ahmed Zaki Yamani, ancien ministre saoudien du Pétrole.
Combien d’années reste-t-il à l’Algérie avant l’épuisement de ses ressources en pétrole et gaz ? Et qu’allons nous faire ensuite pour subvenir à nos besoins domestiques en énergie ?
C’est les questions que me posent souvent et avec inquiétude mes amis. Répondre à ces questions reviendrait à résoudre une équation à plusieurs variables. En effet, la durée d’autosuffisance énergétique dépend directement de la courbe de consommation et d’exportation ainsi que du niveau de recouvrement actuel et futur ou bien du taux de réussite des nouvelles découvertes.
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Alors qu’il est légitime de compter les années qui nous séparent de l’épuisement de nos réserves d’hydrocarbures, il est encore plus prudent de scruter les tendances mondiales de demande énergétique afin de répondre à la question souvent oubliée : jusqu’à quand pourrons-nous continuer à vendre nos énergies fossiles ?
À défaut de pouvoir prédire le futur, on se doit au moins de constater les signes indéniables qui nous avertissent régulièrement des changements en cours.
En effet, quand les monarchies du Golfe, malgré leurs réserves hydrocarbures colossales, annoncent leurs intentions d’atteindre d’ici 2050 zéro émissions nettes en gaz à effet de serres, en substituant graduellement le fossil par le renouvelable, ou quand un géant pétrolier mondial décide de réduire volontairement sa production annuelle de pétrole et gaz de 2 % par an, les analystes les plus optimistes se mettent à réviser leurs prévisions de “Peak Oil”, c’est à dire la date à partir de laquelle la demande mondiale en énergie fossile entamera sa décroissance irréversible.
Les tirades éternelles entre les défenseurs d’un remplacement abrupte des énergies fossiles par les renouvelables et les irréductibles sceptiques qui doutent de l’efficacité du solaire et éolien continueront à animer les débats et agiter les foules. Mais parallèlement, la transition énergétique continue à façonner les modèles de production, de transport et de consommation de l’énergie dans un monde qui bientôt peuplé de 8.5 milliards d’habitants en quête d’amélioration de leurs conditions de vie.
Le sommet climatique mondial COP26 qui s’ouvre à Glasgow cette semaine promet d’être le plus convoité aussi bien par les décideurs de la planète que les activistes environnementaux. L’occasion de faire le point sur les progrès accomplis vis-à-vis des promesses des accords de Paris en 2015, ainsi qu’allier les gouvernements les plus récalcitrants à rejoindre la caravane des pays visant à atteindre le niveau zéro des émissions nettes.
Un nouvel ordre environnemental mondial est en phase d’être négocié, dicté par des objectifs à priori opposés, à savoir : garantir plus d’énergie pour subvenir à la demande énergétique mondiale galopante tout en réduisant le bilan carbone issu de la production, du transport et de la consommation de cette même énergie.
Les visions environnementales à long terme des pays avangardistes commencent déjà à se concrétiser en plan d’actions soutenus par des cadres réglementaires spécifiques.
Depuis juillet 2021, la commission européenne table déjà sur une proposition légale appelée CBAM ( Carbon Border Adjustment Mechanism ) qui consiste à imposer des “taxes carbone” aux produits énergétiques importés au sein de l’Europe (actuellement ~ 60 euro/Tonne CO2). Au moment où le coût de l’électricité verte continue de chuter, celui issu des énergies fossiles sera de plus en plus onéreux. À moyen terme, les consommateurs européens s’orienteront naturellement vers les sources renouvelables, réduisant au passage la part des hydrocarbures, souvent importés dans le mix énergétique européen.
Les économies africaines qui contribuent, quant à elles, de façon marginale aux émissions mondiales de CO2 due essentiellement à leur faible taux d’industrialisation, demeurent malgré elles parmi les pays les plus exposés aux conséquences des changements climatiques. Par conséquent, s’asseoir à la table des négociations et contribuer à façonner une politique climatique mondiale plus équitable et inclusive devient un impératif majeur.
Quels enjeux pour l’Algérie
En tant qu’économie historiquement dépendante des hydrocarbures, l’Algérie fait face à une menace triple et grandissante :
1- La consommation nationale en gaz naturel a presque doublé lors de la dernière décennie. Boosté par une demande grandissante de la population algérienne qui a augmenté de plus de 12 millions durant la même période. L’excédent en gaz destiné à l’export est, par conséquent, amené à s’amoindrir.
2- Une production nationale en souffrance qui, face à l’épuisement naturel des réserves, n’a pas attiré suffisamment d’investissements en amont, nécessaires au maintien ou à l’augmentation des niveaux de production.
3- Sous l’effet des coûts d’extraction, de traitement et de transport de plus en plus élevés ainsi que les nouvelles taxes carbone imposées aux portes de l’Europe, les volumes de gaz Algerien exportés deviennent inévitablement moins lucratifs.
C’est dans ce nouveau contexte économique complexe, où la carte des puissances dominantes se redessine rapidement sous l’effet d’une transition énergétique accélérée, que l’Algérie doit adapter sa stratégie énergétique future.
Les enjeux sont grands et les risques importants mais heureusement que chaque crise apporte son lot d’opportunités à saisir. En effet, l’Algérie dispose d’une panoplie d’atouts qui peuvent lui servir de tremplin pour émerger rapidement en nouveau fournisseur d’énergies moins carbonisés et subvenir aux nouvelles demandes de ses clients traditionnels, notamment européens. La décarbonisation de l’offre énergétique algérienne peut s’articuler sur trois axes de développement :
1- Le développement du potentiel de production d’energies renouvelables, notamment solaire pour alimenter une partie de la demande domestique et industrielle croissante en électricité (dont l’origine est dominée à la quasi-totalité par le gaz aujourd’hui). L’Algérie s’apprête déjà à lancer un appel d’offre d’une capacité de 1 GW avec un objectif à long terme d’atteindre les 15 GW à l’horizon 2035. En utilisant l’électricité issue de sources renouvelables pour alimenter les complexes industriels (e.g. ciment ou acier), l’Algérie pourra exporter des produits finis à prix très concurrentiels grâce à leur très faible empreinte carbone (évitant ainsi la taxe carbone).
2- L’hydrogène est considéré par de nombreux spécialistes comme le maillon manquant qui permettra de pallier à la cyclicité et l’imprédictibilité des énergies renouvelables. En tant que combustible sans émission de CO2, l’hydrogène constitue un fuel ideal pour accélérer la transition vers l’objectif zéro émission nette en gaz à effet de serre.
En combinant ses atouts existants tels que les infrastructures d’export de gaz avec la possibilité de générer l’électricité renouvelable à bas coût nécessaire à la production d’hydrogène, l’Algérie pourra emboîter le pas à ses concurrents nord africains et proposer rapidement de l’hydrogène vert à des taux concurrentiels aux clients européens de plus en plus voraces en sources d’énergies vertes. Même s’il est encore un peu tôt pour bien définir ses contours, la taille de la nouvelle économie basée sur l’hydrogène peut atteindre la barre des 100 milliards de dollars d’ici 2030 ; l’Algérie doit absolument arracher une part de cet énorme marché à venir.
3- Le torchage du gaz naturel est un problème endémique à l’industrie pétrolière algérienne. Classée parmi les 7 plus grands pays au monde en termes de gaz brûlé par la banque mondiale, l’économie nationale perd presque l’équivalent de 1 milliard de dollars en manque à gagner. L’impact environnemental est tout aussi important dû aux émanations de CO2 qui risquent d’augmenter le coût de base du gaz en y ajoutant la nouvelle taxe carbone.
Les solutions techniques pour capter et valoriser les gaz torchés existent, et aux prix actuels, ces solutions sont même rentables et pérennes. Considérée comme une solution tolérée au siècle dernier, le torchage continu du gaz est aujourd’hui classé par la plupart des acteurs du secteur comme un symptôme flagrant d’une gestion dysfonctionnelle des ressources fossiles. Il appartient aux leaders du secteur énergétique algériens de placer cette problématique au centre de la stratégie énergétique nationale avec des objectifs clairs, une feuille de route ambitieuse et une réglementation incitative et stricte pour transformer cette tache noire dans notre industrie gazière en réel levier de croissance.
L’Algérie possède une fenêtre de tir réduite mais suffisante pour naviguer autour des challenges qu’impose la transition énergétique. Gérer nos ressources fossiles de façon rationnelle peut non seulement freiner l’explosion de sa consommation au niveau national mais aussi dégager les revenus nécessaires pour financer un développement ambitieux des renouvelables.
Souvent, un cadre réglementaire et fiscal peut aussi servir de catalyseur pour booster la demande nationale en énergies moins carbonées afin d’encourager les investissements en amont. Enfin, une stratégie à somme nulle où un sevrage abrupte et total des hydrocarbures est substitué par l’énergie verte future à développer est à la fois stérile et irréalisable. Il s’agit plutôt de tirer profit des opportunités immédiates pour continuer la marche vers un mix énergétique de plus en plus dominé par le renouvelable, tout en œuvrant inlassablement à minimiser le plus possible le bilan carbone des énergies fossiles destinées à s’amoindrir sur le long terme.
Les nouvelles questions posées par la transition énergétique sont à la fois urgentes et déterminantes. L’Algérie est amenée aujourd’hui à y répondre rapidement de façon sereine, cohérente et inclusive. Réussir ce test économique et sociétal est un impératif qu’on doit aux générations futures. Il y va de leur avenir.
* Reda Amrani est diplômé de l’École nationale polytechnique d’Alger en 2003, et il est aussi titulaire d’un diplôme d’études approfondies de l’École Centrale de Paris.
Il a occupé plusieurs postes de responsabilités dans de grandes entreprises telles que Schlumberger et Maersk Oil en UK, Canada et au Qatar. Il est actuellement manager de développement de projets des champs pétroliers à long terme pour le géant pétrolier Shell au Sultanat d’Oman.
Reda Amrani s’intéresse de très près aux questions de politiques énergétiques nationales et internationales et notamment à l’impact des transformations micro et macro-économiques induites par la transition vers des sources d’énergies moins carbonisées.
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