Le syndrome Khalifa commence à se manifester chez les salariés des entreprises dont les patrons ont été incarcérés, poursuivis ou qui font simplement l’objet de rumeurs récurrentes sur des poursuites judiciaires ou des interdictions de sortie du territoire. On sait comment s’est terminée l’opération contre le « golden boy » du début de siècle : le démantèlement de son groupe et la perte d’emplois pour ses milliers de salariés.
Quinze ans après, une partie d’entre eux est à la recherche d’un emploi. ETRHB, Cevital, KouGC : les trois groupes totalisent des dizaines de milliers d’employés qui se trouvent en danger après le placement en détention de Ali Haddad, Issad Rebrab et des frères Kouninef.
C’est une tare du patronat algérien que de compter des entreprises à structure familiale où le capital est détenu par une personne ou qui dans certains cas est partagé avec la progéniture ou la fratrie. Ça rassure les patrons mais ça fragilise les entreprises. Le turn-over des managers recrutés hors du cercle familial est une preuve de ce défaut. Les actionnaires, plus souvent dotés en réflexes conservateurs qu’en culture managériale, ont souvent du mal à s’accommoder des conseils des experts.
Quand on sait en outre que les actionnaires sont en grand nombre des commerçants et de petits entrepreneurs qui ont réussi à se développer avec les facilitations accordées ces dernières années l’équation n’est que plus complexe. Lorsque dans ces conditions le « patron » est neutralisé c’est l’entreprise qui est mise en danger.
Si le groupe Cevital est une réussite exceptionnelle dans le paysage économique algérien, l’absence de son fondateur pour cause d’incarcération l’expose à des incertitudes. Les salariés l’ont compris en manifestant hier et aujourd’hui dans les rues. Cela a démonté en même temps une autre particularité algérienne : une osmose entre ouvriers et leur patron qu’ils sont prêts à défendre contre ce qu’ils vivent comme une injustice. Plus que les salariés, ce sont leurs familles qui ont rallié la contestation.
Au milieu de cet ouragan de procédures, est apparue une éclaircie qui invite les prévenus à l’espoir et les magistrats à la prudence. Elle est venue du tribunal même d’Alger où a été jugé le patron de la société AD Display, incarcéré depuis bientôt un an.
L’audience a révélé les arrière-pensées politiques de son incarcération. Mourad Hadj-Saïd a été emprisonné pour laisser le marché de l’affichage urbain au monopole du neveu des Bouteflka. Entre-temps, sa société a peut-être disparu.
C’est ce risque qui tord de crainte les employés des sociétés dont les propriétaires sont visés par des procédures. Mais les rumeurs d’autres poursuites tétanisent au-delà de ce cercle. Sans compter que les sociétés concernées comptent aussi des partenaires qui ont leurs propres salariés et qui sont exposés aux mêmes risques.
Le pouvoir qui a promis de lutter contre la corruption est désormais face à un dilemme. Pour en sortir il faut peut-être commencer par juger les protecteurs politiques des suspects. Eux n’ont pas des milliers de familles sous leur responsabilité.