Quelle lecture de l’emballement des affaires liées à la corruption ?
Abdelhak Mellah, avocat et ancien conseiller à la Cour suprême. Il y a une accélération, une irruption des affaires judiciaires qui remontent à la surface. Bien sûr, il y a d’abord une demande sociale, « yethassbou ga3 ». C’est une revendication profonde du peuple qui s’est révolté depuis le 22 février.
Il y a des verrous qui sont en train d’être levés et j’espère que la réponse des autorités est une prise en charge de cette revendication profonde. Et puis, il ne faut pas oublier l’action des magistrats et des avocats notamment l’Union nationale des avocats, qui s’est prononcée clairement pour la fin de l’impunité et la poursuite de toutes les infractions dont l’économie nationale a été la victime pendant longtemps.
Il y a aussi l’action de certaines personnalités dont Me Mokrane Ait Larbi qui a appelé ouvertement le procureur général dans une déclaration et lui a demandé tout simplement de déclencher ce qu’il faut comme actions.
L’urgence aujourd’hui est de prendre des mesures conservatoires pour d’abord conserver les preuves, et aussi pour saisir les biens mal acquis pour éviter toute fuite, car le temps travaille contre la justice et au profit des délinquants.
Certains observateurs craignent que la conjoncture actuelle ne soit une occasion de lancer « une chasse aux sorcières »…
Il est vrai que la crainte est tout à fait légitime, justifiée. Je pense qu’il y a lieu de ne pas différer la prise de décisions de nature urgente : la préservation des preuves, et la préservation de mesures conservatoires en ce qui concerne les biens « mal acquis ». Reste à rendre justice.
Dans le fond, il y a le temps judiciaire qu’il faut respecter et c’est un temps qui n’aime pas la précipitation, et qui n’est pas dans l’urgence. Et surtout, il faut mettre les mécanismes nécessaires pour que la justice soit rendue sans excès, sans toucher au droit de la défense.
En un mot il faut respecter les principes du procès équitable, principes inhérents à la phase d’enquête, d’instruction et du jugement. Donc, pas de chasse aux sorcières.
L’opinion publique est submergées d’informations et a les yeux rivés sur le tribunal de Sidi M’hamed. Comment canaliser ce flux d’informations ?
Il est tout à fait normal que ce genre d’affaires suscite auprès de l’opinion nationale et des médias un grand intérêt. Logiquement, il appartient au procureur de la République, en vertu de l’article 11 du Code de procédures pénales, d’éclairer l’opinion publique et de dire de quoi il s’agit exactement, de donner les informations qu’il faut pour éviter toute spéculation.
Bien entendu, on doit respecter dans tous les cas ce qu’on appelle la présomption d’innocence et le secret de l’instruction. Mais dans le cas d’espèce, je crois qu’il ne fallait pas laisser l’opinion publique sur sa faim, il fallait donner le maximum d’informations. Il faut que le parquet retrouve sa liberté, tout simplement son obligation de parole et ne pas laisser les autres, je parle justement de l’autorité militaire, de se prononcer au lieu et place de la justice.
Vous pensez que c’est sur injonction de l’Armée que ces affaires ont été actionnées ?
Il y a le discours que tout le monde connaît (discours du chef d’état-major du mardi 16 avril depuis Ouargla, appelant la justice à accélérer les enquêtes sur la corruption et la dilapidation des biens publics) et puis, il y a aussi le fait que ce ne soit pas une habitude que des responsables de ce rang soient convoqués.
Donc, tout le monde croit à juste titre qu’il y a quelque part une injonction, une pression ou une invitation, on peut l’appeler comme on veut, mais l’idéal serait que la justice s’autosaisisse d’elle-même le plus normalement du monde, sur la base des faits qui sont portés à sa connaissance, sans attendre une pression de n’importe quelle part que ce soit.
Vous dites que l’opinion publique ne doit pas être laissée à sa faim. Qui doit communiquer dans ces cas ?
La réponse est claire, c’est la loi qui répond, c’est l’article 11 du Code de procédures pénales qui donne cette attribution, et obligation en même temps, au procureur de la République ; logiquement, les autres sont implicitement, j’allais dire presque interdits de parole. Il n’y a que ces instances qui ont la prérogative légale de se prononcer. C’est une attribution exclusive.