L’érosion de leur pouvoir d’achat a poussé les enseignants à battre de nouveau la rue et à renouer avec les protestations et les grèves. Après trois jours de grève les 9, 10 et 11 mai, un collectif de quatorze syndicats de l’Éducation a annoncé, mardi 18 mai, le boycott des activités administratives et la rétention des notes du 2e trimestre ainsi que la tenue d’un rassemblement mercredi 26 mai devant l’annexe du ministère de l’Éducation à Ruisseau (Alger).
À la fin du sit-in, les syndicats se prononceront sur la possibilité d’un boycott des examens du 3e trimestre. Ce nouveau round de protestation a pour motif principal le pouvoir d’achat qui a connu un glissement dangereux et place aujourd’hui les enseignants et les encadreurs dans une situation de précarité extrême, comme le précise Boualem Amoura, SG du Satef (Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation), interrogé par TSA.
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Il propose un salaire moyen de 80 000 DA pour qu’un enseignant vive dignement. « Vous prenez une famille de six membres. Il faut un minimum au père de famille pour nourrir ses enfants. Je le dis et je répète, l’enseignant et le travailleur algérien en général a le droit de manger de la viande rouge ou blanche ou bien de la sardine. Je ne vais pas aller loin et je fais une comparaison avec notre voisin tunisien. Un Tunisien consomme en moyenne 43 kilos de viandes annuellement contre 17 kilos pour l’Algérien. Le matin, nos enfants ont le droit à un petit déjeuner conséquent », soutient M. Amoura qui s’alarme de la situation de ses collègues enseignants et encadreurs qui vivent dans les régions éloignées.
« À Bordj-Badji-Mokhtar, des membres du Satef m’ont appris que la pomme de terre coûte 180 DA le kilo alors que l’huile de table est quasiment absente. Je dis ça parce qu’il ne faut pas parler uniquement des travailleurs du nord du pays. Au cours de notre étude, nous avons conclu que le salaire d’un corps commun équivaut à peu de choses près à 20 kilos de sardine (1.200 DA/kg) », calcule ce mathématicien de formation.
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« Aujourd’hui le salarié algérien ne mange pas à sa faim. Sa nourriture n’est pas du tout équilibrée. Des familles mangent à midi mais pas le soir. En guise de dessert les enfants boivent un verre de boisson gazeuse. Les statistiques officielles avancent le chiffre de 35 % de taux de pauvreté, nous disons qu’il y a plus de 50 % des travailleurs algériens sous le seuil de pauvreté », corrige-t-il.
« Le travailleur algérien souffre quand il travaille et même à sa retraite »
M. Amoura conclut au fait qu’il n’existe aucune politique salariale en Algérie. « Il y a deux collèges de citoyens en Algérie ; des députés qui ne servent à rien sont engraissés à 400.000 DA/mois au moment où des ouvriers touchent 20.000 DA », dénonce-t-il.
Idem en ce qui concerne le système de retraite. « Comment justifier qu’il y ait deux systèmes de retraite ; d’un côté le Fond spécial de retraite (FSR) pour les ex-cadres supérieurs et les élus et de l’autre la Caisse nationale de retraite (CNR) pour le reste des salariés. Cela veut dire que le travailleur algérien souffre quand il travaille et même à sa retraite quand on sait que 65 % des retraités algériens touchent moins de 25 000 DA », conteste le SG du Satef.
Le montant de 80.000 DA est également le seuil minimal que revendique Messaoud Boudiba, le coordinateur national et porte-parole du Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Cnapest) lequel n’est pas concerné par le débrayage du 26 mai.
« Ce montant est la conclusion d’une étude dans laquelle nous avons pris en considération les besoins essentiels pour une famille de cinq membres. Ces besoins touchent à l’alimentation, la santé, l’éducation et le logement, etc. », explique à TSA M. Boudiba.
Et de rappeler qu’en 2007, le Cnapest avait réalisé une étude qui a conclu que le salaire minimum pour une vie digne ne devait pas être en dessous de 50.000 DA. « Il va de soi que les besoins en 2021 ne sont plus les mêmes qu’en 2007. Aujourd’hui les besoins ont crû. La valeur du dinar en 2007 était plus élevée en comparaison avec la forte dévaluation actuellement. Les prestations sociales en 2007 étaient meilleures que celles de 2021, etc. Ce qui fait qu’il y a de nombreux aspects qui ont connu une dégradation, comparativement aux années précédentes », justifie Boudiba pour expliquer l’évolution du salaire de la dignité comme aiment à le répéter les syndicats.
Le coordinateur du Cnapest appelle à réformer la politique des salaires suivant des critères bien clairs, avec une redistribution réfléchie et équitable des richesses. « En Algérie, il y a une mauvaise redistribution des richesses. Seule une minorité en profite. La masse salariale ne dépasse pas 30 % du PIB national alors que dans d’autres pays le taux atteint jusqu’à 75 %. Cela démontre la faiblesse du pouvoir d’achat du salarié algérien que traduisent les niveaux très bas des salaires en Algérie », précise Boudiba.
Le coordinateur du Snapest (Syndicat national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique), Meziane Meriane n’y va pas de main morte.
« En Algérie il n’y a pas de politique salariale. Les salaires sont attribués d’une manière aléatoire sans le moindre calcul. Or, l’octroi d’un salaire se fait en fonction du niveau de vie et du pouvoir d’achat. Pourquoi un salaire de 40.000 au lieu de 60 000 DA ? Sur quelle base fixe-t-on ce salaire ? Ce que je veux dire par là c’est qu’il n’y a pas un calcul fiable des salaires en Algérie », conclut-il.