L’Algérie a décidé d’introduire l’enseignement de l’anglais au primaire à partir de la rentrée scolaire 2022-2023.
Pour y arriver, le ministère de l’Éducation nationale a lancé une vaste campagne de recrutement d’enseignants de langue anglaise.
Pour être éligible au poste, le candidat doit être titulaire d’une licence de langue et littérature anglaise ou d’un diplôme en traduction de et vers l’anglais.
Depuis le lancement de l’opération, il y a une semaine, les demandes pleuvent sur les directions de l’éducation.
Leur nombre a dépassé 2 000 en l’espace de deux jours (mercredi et jeudi) dans certaines wilayas, comme Sétif, se félicite Sadek Dziri, porte-parole de l’Union des professionnels de l’enseignement et de la formation (UNPEF), interrogé par Al Hayat TV.
Le syndicaliste se montre confiant quant à assurer un accompagnement adéquat aux enseignants pour qu’ils soient prêts à la rentrée scolaire.
Le 2 août, le ministre de l’éducation nationale, Abdelhakim Belabed a confirmé la disponibilité de son département à prendre en charge l’enseignement de l’anglais au cycle primaire, à compter de la prochaine rentrée scolaire, en application de la décision du président Abdelmadjid Tebboune.
« Un Etat a le droit de changer sa politique linguistique à condition… »
Cette nouvelle orientation de la politique linguistique du pays soulève quelques interrogations notamment sur le degré de préparation de l’école algérienne pour intégrer et réussir l’enseignement d’une nouvelle langue.
« J’avoue que je ne connais pas les arguments qui ont mené à cette décision d’introduire l’anglais dans le primaire. Sinon, sur le plan du principe un Etat a le droit de changer sa politique linguistique à condition que ce soit décidé de manière rationnelle et que les fondements de cette décision soient rendus explicites et exposés à la société », explique pour TSA, le linguiste Abderrazak Dourari.
Selon lui, une politique linguistique se décide à deux niveaux : politique et pédagogique.
Au plan politique, « l’Etat décide qu’il est nécessaire d’avoir telle ou telle politique linguistique, en raison d’un ensemble d’arguments qui, en principe, devraient figurer dans cette prise de décision. Si l’état du savoir exige que l’on apprenne l’anglais parce que cette langue produirait beaucoup de connaissances scientifiques, pourquoi pas. Mais il faut que cela apparaisse dans l’argumentaire qui fonde la décision à l’échelle politique », a-t-il plaidé.
Le deuxième niveau de prise de décision, c’est la pédagogie.
« A ce niveau-là par exemple, le ministère de l’éducation nationale qui est en principe chargé de l’exécution de la politique de l’Etat en matière d’éducation et de langues, déciderait par la suite au regard des arguments cette fois-ci purement pédagogiques. Et non pas à caractère politique », déroule le Pr Dourari, diplômé des langues arabe et anglaise.
Quels sont ces aspects dont le ministère de l’éducation doit prendre en ligne de compte ?
Il explique qu’il y a trois paramètres essentiels qui caractérisent tout système éducatif, qu’on appelle le triangle pédagogique : les enseignants, les programmes (les contenus) et les élèves.
« Pour introduire une langue dans l’éducation, le ministère de l’éducation doit tenir compte du fait qu’il y ait ou pas des enseignants. Le ministère a-t-il dit combien y a-t-il d’enseignants d’anglais, compétents cela s’entend ? On ne peut pas ramener un traducteur et dire que c’est un enseignant. Ce n’est pas possible, cela n’a aucun sens », juge le professeur en sciences du langage et en traductologie.
Vient en second lieu la question de la disponibilité du livre scolaire.
Dernier élément, l’alourdissement du programme scolaire.
« Le cerveau de l’enfant se caractérise par une très grande plasticité et peut acquérir plusieurs connaissances, à condition que celles-ci lui soient transmises de manière organisée, selon les méthodes pédagogiques connues », avance le chercheur qui s’interroge : « Est-ce les conditions de transmissions des connaissances de la langue anglaise sont disponibles aujourd’hui au ministère de l’éducation nationale ? ».
Et de répondre dans la foulée : « Je le dis d’emblée : j’en doute très sérieusement ».
« C’est la langue arabe qui a échoué, pas le français »
Quel sera le devenir du français avec la généralisation de la langue anglaise dans le primaire Algérie ?
Le Pr Abderrazak Dourari souligne la place exceptionnelle qu’occupe le français dans la culture algérienne.
« Nous avons vécu avec la langue française pendant le 19e siècle, elle est partie prenante de notre société langagière. Elle est une langue étrangère sur le plan politique, sur le plan linguistique elle ne l’est pas. Elle fait partie de notre vie, de notre culture. Mieux : nous avons une partie de notre culture qui ne s’exprime qu’en français », fait observer le chercheur qui estime qu’on ne peut faire abstraction du legs littéraire des Mostefa Lacheraf, Mouloud Mammeri et autres Kateb Yacine.
L’arabisation effrénée lancée par de nombreux départements ministériels à l’instar de l’Enseignement supérieur qui a lancé une réflexion pour remplacer le français par l’anglais, a soulevé des interrogations sur le degré de préparation et surtout de sa pertinence notamment en l’absence d’une production scientifique nationale en langue anglaise.
Pour le Pr Dourari, le retard qu’accuse l’université algérienne n’est en rien imputable à la langue française.
« Si l’université algérienne a échoué c’est parce qu’elle a été arabisée, et non pas qu’elle a été francisée. C’est la langue arabe qui a échoué et pas le français », estime le Pr Dourari qui dit parler « en connaissance de cause » car titulaire d’un magister de langue arabe.
« L’arabisation a été pensée par des gens qui n’étaient pas aptes. En rejetant le français on ne fait pas du mal à la France. La langue française a été utilisée pour libérer le pays contre les Français. Il n’y aucun texte de la Révolution algérienne qui ait été écrit en langue arabe », rappelle-t-il.