Le pédagogue Ahmed Tessa assimile l’enseignement des langues aux piliers d’une maison. Quand une est affaiblie, c’est tout l’édifice qui est menacé de s’effondrer.
Ainsi va-t-il de l’affaiblissement de l’enseignement du français en Algérie. L’ancien conseiller au ministère de l’Éducation nationale porte un regard critique sur l’enseignement des deux langues nationales, l’arabe et tamazight.
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« Nous n’avons pas pénalisé nos enfants uniquement dans les langues étrangères mais aussi en arabe et en tamazight« , souligne-t-il.
L’enseignement des langues en Algérie a-t-il été un échec ?
La tendance à la baisse a été constatée dès la fin des années 1980. Auparavant, un élève de fin de cycle primaire pouvait rédiger une lettre, lire un roman et s’exprimer en français de façon convenable.
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Pour l’anglais, les deux années de collège et les trois années de lycée étaient largement suffisantes pour outiller nos bacheliers à l’écrit et un peu moins à l’oral, faute de présence de l’anglais dans la société – contrairement au français.
Il faut dire qu’à l’époque (1962/mi-1980) la pédagogie algérienne s’ouvrait sur les progrès universels et disposait de vraies compétences – notamment au primaire.
Après cette période, il y a eu la décennie rouge et ensuite la réforme de 2002. Cette dernière a totalement dilapidé le capital compétence des époques précédentes. Je me rappelle de la mise à la retraite de vrais pédagogues aguerris et bilingues de surcroît (français et arabe).
L’enseignement en général a périclité faute d’une vision claire et à cause d’une méconnaissance des notions élémentaires de la psychologie de l’enfant et de la pédagogie (notamment au primaire et préscolaire).
La réforme n’a pas respecté les normes pédagogiques internationales (formation, horaires, rythmes scolaires, contenus des programmes et des manuels…). Il y avait l’espoir avec la Conférence nationale d’évaluation de la Réforme en juillet 2015. Malheureusement ces recommandations ont été ignorées et mises aux oubliettes.
Comment évaluez-vous l’enseignement des langues étrangères notamment le Français en Algérie ?
L’enseignement des langues et des autres matières, c’est comme les piliers d’une maison. À vouloir enlever/scier un pilier, ce sont tous les autres qui se retrouvent affaiblis et la maison va lentement s’écrouler.
À vouloir amoindrir le statut de la langue française – voire la supprimer – on a déglingué tout l’édifice scolaire. Nous avons pénalisé nos enfants pas seulement dans les langues étrangères mais aussi en arabe et en tamazight – sans parler des matières scientifiques.
D’ailleurs c’est dangereux de se focaliser sur l’anglais (à ‘’promouvoir’’) et le français (à supprimer) alors que l’enseignement des deux langues nationales est aussi catastrophique.
L’Algérie lance l’enseignement de l’anglais dès la 3e année du primaire. Comment voyez-vous cette mesure ? N’y a-t-il pas un risque que l’enseignement de l’anglais échoue ?
Le président de la République a en tête de former les futures générations pour arrimer l’Algérie à l’international. C’est le souhait de tous les parents d’élèves que de voir leurs enfants maîtriser les langues étrangères dont l’anglais.
Il a demandé à enseigner cette langue dès le primaire. Mais c’est au ministère de l’Éducation nationale et ses experts de lui signaler les difficultés d’ordre psychopédagogique et matériel qui se présentent.
Les partisans du renforcement de l’idéologie à l’école ont vu là une aubaine. Ils ont sauté dessus. N’est-ce pas que l’anglais au primaire en remplacement du français est leur exigence depuis 1990 ?
Les parents d’élèves et les enseignants se rendront compte de l’impossible équation à résoudre : celle d’une cohabitation de 4 langues avec 4 enseignants différents et 4 graphies à maîtriser pour … des enfants du primaire.