Il s’agit d’un autre casse-tête dont les pouvoirs publics se seraient volontiers passés à l’approche d’une rentrée sociale qui risque de ne pas être comme les autres.
Des dizaines de milliers de travailleurs du secteur économique privé sont sans salaire depuis plusieurs mois du fait du gel judiciaire des comptes bancaires des entreprises qui les emploient ou du tarissement de la commande publique pour celles qui vivaient essentiellement de leur partenariat avec l’État. Soit un ingrédient supplémentaire pour une rentrée difficile.
Les travailleurs concernés ont battu le pavé, observé des sit-in et alerté l’opinion publique sur leur désarroi tout au long de ces derniers mois. Dans sa dernière réaction en date, le gouvernement a promis d’agir pour sauver les entreprises dont les patrons ont été emprisonnés dans le cadre de la campagne de lutte contre la corruption déclenchée dans le sillage du mouvement populaire du 22 février.
Les autorités ont opté pour la nomination d’administrateurs à la tête de ces entreprises afin de sauver les emplois et l’outil national de production.
Ce dimanche 25 août, la justice a annoncé avoir nommé jeudi dernier des administrateurs à la tête des groupes Tahkout, Haddad et Kouninef. Assurément, c’est une nouvelle que les salariés de ces entreprises attendaient avec impatience.
À quelques encablures de la rentrée sociale, il appartient maintenant à la justice de faire preuve de célérité dans la levée du gel qui frappe les comptes bancaires de ces groupes économiques et de se pencher sur les cas de dizaines d’autres entreprises directement ou indirectement impactées.
Des victimes collatérales
Toujours ce dimanche, on a appris que Fertial, une entreprise de production d’engrais aux capitaux mixtes algéro-espagnols, est dans l’incapacité de verser les salaires du fait du gel de ses comptes ordonné par la justice. Son tort est de compter un certain Ali Haddad parmi ses actionnaires.
« La décision de justice datée du 20 juin 2019 prise par le Tribunal de Sidi M’hamed a provoqué le gel de la quasi-totalité des comptes bancaires et des moyens de financements de Fertial. Cette décision a été prise dans le cadre des enquêtes en cours concernant l’actionnaire Ali Haddad et ETRHB ; Fertial n’étant nullement concernée par ces affaires en justice », explique Stéphane Dieude, son directeur général, dans une correspondance interne.
« Suite à la pression d’institutions sécuritaires récemment sensibilisées au contexte interne de Fertial, la banque a été donc contrainte de geler, avec effet immédiat, nos derniers comptes opérationnels, ce qui nous empêche de réaliser la moindre opération de paiement dont les salaires au titre du mois d’août que nous nous apprêtons à mettre au paiement », dénonce le responsable.
On comprend grosso modo que l’entreprise, qui n’est visée officiellement par aucune enquête, a vu ses comptes gelés et on retient surtout qu’elle est dans l’incapacité de verser les salaires à ses travailleurs. Ces derniers, en victimes collatérales, rejoignent dans l’infortune les employés des entreprises détenues exclusivement par les patrons incarcérés.
Le plus dur est à venir
Il ne s’agit pas de débattre de l’opportunité de l’extension ou pas des mesures conservatoires aux entreprises dont le capital est détenu même en partie par ceux qui sont soupçonnés d’implication dans des affaires de corruption, mais de souligner l’ampleur du désastre et pour les travailleurs et pour l’outil de production.
Car si Fertial n’a pas de quoi verser les salaires, elle est forcément dans l’incapacité d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses prestataires et partenaires qui, à leur tour, ont des travailleurs à rémunérer à chaque fin de mois.
Cela est bien entendu valable pour toutes les entreprises concernées. La situation de l’ETRHB par exemple n’impacte pas uniquement ses 15 000 employés, mais tous les travailleurs de ses sous-traitants et fournisseurs. Si l’on s’en tient à ce volume d’emploi du seul groupe de Haddad, il n’est pas exagéré de déduire que des dizaines de milliers de travailleurs, voire plus, se trouvent dans le désarroi à la veille de la rentrée sociale.
C’est dire si la décision de la justice de nommer des administrateurs est salvatrice, même si on ne connaît le détail de leur mission. De toute façon, cette décision ne règle le problème que temporairement. Car le plus dur sera de rendre compétitives des entreprises qui n’ont pas appris à vivre d’autre chose que la commande publique.
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