Depuis quelques semaines, le ministre des Transports multiplie les rencontres avec les cadres dirigeants des entreprises du secteur, notamment Air Algérie.
Pour la compagnie aérienne nationale, il est question d’un plan de relance, d’une restructuration et de la préparation pour l’après crise sanitaire qui a fortement impacté le secteur du transport aérien dans le monde.
Le plan de développement exposé au ministre Aïssa Bekaï, et qui devrait s’étaler sur cinq ans, est ambitieux : renforcer la position de la compagnie sur le marché algérien, développer les lignes intérieures, renouveler la flotte et créer des filiales spécialisées.
Un tel projet nécessite des fonds qu’Air Algérie ne possède pas et le schéma dans un pareil cas de figure est éculé : la bourse de l’Etat est sollicitée, avec un droit de regard de ce dernier sur l’usage qui sera fait de son argent.
C’est le mode de fonctionnement des entreprises publiques économiques depuis au moins trois décennies et les promesses répétées de le changer sont restées lettre morte.
Les capitaux marchands de l’Etat, censés constituer une source de revenus, sont devenus au fil des années et des plans d’assainissement un tonneau des danaïdes. Les chiffres communiqués donnent le tournis et révèlent l’étendue de la plaie.
En janvier dernier, Mohamed Chérif Belmihoub, alors ministre de la Prospective, avait révélé que l’Etat a déboursé 250 milliards de dollars au profit des entreprises publiques en 25 ans.
C’est 10 milliards de dollars en moyenne par an et quasiment le quart de tous les revenus pétroliers du pays pendant la même période.
À quoi a servi cet argent ? À part sauvegarder des emplois, il n’a pas permis aux entreprises de se moderniser pour réduire leur dépendance vis-à-vis de l’Etat et du Trésor public.
N’aurait-il pas mieux fallu procéder à la privatisation des entreprises déficitaires après plusieurs opérations d’assainissement infructueuses ?
Le débat n’a en fait jamais cessé au niveau des experts, mais dans la sphère décisionnelle, aucune orientation claire ne se dégage. Toutes les entreprises du secteur des transports reçues récemment par le ministre Bekaï et presque toutes les entreprises publiques vivent la même situation.
L’Eniem, fleuron de l’industrie nationale de l’électroménager multiplie les arrêts techniques ces dernières années et ne doit sa survie qu’à l’intervention de l’Etat à chaque fois.
Une autonomie inexistante
Dans son dernier discours devant les walis samedi 25 septembre, le président de la République a mis le doigt sur le mal principal du secteur public : sa gestion. Abdelmadjid Tebboune a dénoncé une gestion « autoritaire » et « non économique ».
Sans ambages, il est allé droit au but concernant le remède, le seul peut-être qui reste à essayer. Il s’agit de l’ouverture du capital des entreprises publiques, y compris celui des banques, pour avoir « de nouveau capitaux et une autre gestion ».
Le président n’en a pas dit plus concernant l’échéance de cette ouverture ou les entreprises qui seront concernées.
Le ministre des Transports a expliqué la nouvelle vision aux responsables d’Air Algérie, appelée « à compter sur ses propres capacités et saisir toutes les opportunités pour la concrétisation de ses plans de développement ».
Mais le reste du discours du ministre consacre la reconduction du mode de gestion qui a montré ses limites, c’est-à-dire l’immixtion des ministres et don des politiques jusque dans les décisions les plus anodines de l’entreprise.
Alors que son rôle de ministre devait se limiter à tracer une politique globale pour le secteur qui en a tant besoin, M. Bekkaï s’est cru dans l’obligation de définir lui-même les actions qui mettraient la compagnie aérienne nationale sur la voie du redressement.
Air Algérie est ainsi instruite de revoir à la baisse sa tarification sur les lignes intérieures, notamment celles qui desservent les régions du sud, dans le but de promouvoir le tourisme saharien.
En d’autres termes, il est demandé à une entreprise qui n’arrive pas à équilibrer sa propre trésorerie de contribuer à la concrétisation d’une politique de l’Etat.
C’est cette forme de « gestion politique » qu’a dénoncé le chef de l’Etat mais qui, dans les faits, s’apparente à une constante. A quoi servent donc tous les staffs dirigeants et les stratèges d’Air Algérie si c’est la tutelle qui fixe même les tarifs de ses vols ?
Pourtant Amine Mesraoua, qui a été nommé en février dernier à la tête d’Air Algérie en tant que DG par intérim, a été présenté comme un spécialiste du secteur aérien, donc capable de redresser la situation de la compagnie aérienne nationale.
Il s’agit d’un aveu que l’autonomie de gestion des sociétés étatiques est inexistante et ce n’est pas là le moindre problème du secteur. Il y a comme une incohérence dans le fait de demander à une entreprise de « compter sur ses propres ressources » et de lui imposer simultanément une gestion et des contraintes susceptibles d’aggraver son déficit.
Cette gestion politique des entreprises publiques est l’un des héritages toxiques du règne du président Abdelaziz Bouteflika. A la fin des années 2000, l’ex-chef de l’Etat qui a chassé du pouvoir en avril 2019 par la rue, a mis les entreprises à capitaux publics sous tutelle des ministères, mettant fin au peu d’autonomie dans la gestion qui leur a été accordée dans les années 1990, au moment où l’Algérie était confrontée à une grave crise financière et au terrorisme.
Cette décision a accentué l’intervention des ministres dans la gestion des sociétés étatiques, et la marginalisation des managers publics.
Pris entre l’enclume d’une gestion politique de leurs reprises et la criminalisation de l’acte de gestion, ils prennent rarement des initiatives et se contentent d’obéir à l’Exécutif.