Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et ex-ambassadeur d’Algérie à Madrid, aborde dans cet entretien à TSA, la récente visite du président français Emmanuel Macron en Algérie, les tensions avec le Maroc, la crise avec l’Espagne…
Le président Macron a effectué une visite de trois jours en Algérie du 25 au 27 août. Comment, concrètement, peut-on avancer de manière sérieuse dans la
relation avec la France ?
Il faut se rendre à l’évidence que les relations algéro-françaises n’ont jamais été normales et cette spécificité recommande de les approcher
en tenant compte de leur densité mais aussi de leur complexité.
C’est ainsi que l’on peut mesurer de façon concrète la volonté politique de chacun des acteurs dans ses relations.
En France, seuls trois chefs d’Etat, les présidents Chirac, Hollande et Macron ont pris le risque interne d’aborder la relation dans une perspective historique lointaine, avec sérénité et parfois même avec un certain courage.
Sur la question mémorielle, les deux présidents ont convenu de créer
une commission d’historiens chargée de travailler sur l’ensemble de leurs archives de la période coloniale et de la guerre d’indépendance. » Est-ce que c’est suffisant ?
Cette question a subi beaucoup de manipulations et d’utilisations opportunistes qui ont fini par réduire la marge de manœuvre des Etats et différer ainsi la mise en place des conditions de l’apaisement et la sérénité nécessaire pour pouvoir avancer .
« C’est la plus grosse manipulation depuis celle de l’affaire de l’éventail »
L’extrême droite française et Nicolas Sarkozy (ancien président français 2007-2012) , à l’époque du ministre de l’intérieur ont inventé cette histoire de repentance, une notion religieuse tout à fait étrangère aux relations internationales de notre siècle et qui n’a jamais été une revendication algérienne officielle ou sociale.
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Elle a plutôt permis aux groupes haineux et revanchards en France de mettre de façon récurrente l’Algérie au centre du débat politique interne en France notamment en périodes électorales.
Il faut que les élites politiques françaises fassent preuve d’honnêteté intellectuelle et arrêtent de parler de repentance car elles ont réussi l’exercice de la faire passer injustement pour une demande algérienne.
Il n’y a pas une seule référence à la repentance dans le discours officiel algérien depuis l’indépendance de l’Algérie. Comment expliquer alors que cette question s’installe au centre des relations algéro-françaises. Pour moi, c’est la plus grosse manipulation depuis celle de l’affaire de l’éventail.
Comment l’Algérie et la France peuvent-elles bâtir ensemble l’avenir tout en tenant compte d’un passé douloureux ?
Le colonialisme était un système de domination abominable selon le jugement de l’histoire. Pour nous Algériens c’est bien plus que cela et à ce titre nous sommes les héritiers de deux mémoires antagoniques mais nous ne sommes pas seuls au monde à vivre cette situation.
Nous avons conscience des deux côtés que les relations entre nous deux pays ne doivent pas vivre dans le passé permanent et que nous devons construire une relation apaisée et mutuellement bénéfique.
Les Etats restent les acteurs privilégiés dans toute évolution dans les relations et l’on enregistre une nouvelle dynamique qui s’installe en grande partie grâce à la volonté et à l’engagement des présidentsAbdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron.
Les Déclarations d’Alger de décembre 2012 et d’août 2022 sont, à mon sens, des documents importants car ils mettent en place le cadre et les instruments de la concertation et du dialogue entre les deux pays.
L’Algérie dispose d’une forte diaspora en France, mais cette richesse renouvelable n’est pas bien exploitée. Pourquoi?
La nature de la communauté a changé à travers l’histoire, il faut donc l’appréhender sous un angle rénové car ses membres les plus influents sont plutôt les produits de l’exil provoqué par les différentes crises politiques et sécuritaires qu’a connues le pays.
Les liens ne se sont pas distendus avec le pays auquel elle est très attachée mais elle est devenue plus exigeante car elle vit en général dans des pays démocratiques.
Le penseur algérien, Mohamed Arkoun me disait « les diplomates algériens ne comprendront jamais assez que la diaspora aime beaucoup son pays mais
aime moins son système politique ».
A mon sens, il faudrait déjà réfléchir à la façon de garder ceux qui vivent dans le pays et lever les équivoques sur la question de l’hypothétique retour de notre communauté à l’étranger car les conditions ne sont pas encore réunies, l’écosystème actuel et la qualité de vie ne répondent pas à leurs exigences.
La guerre en Ukraine a replacé l’Algérie au centre des enjeux énergétiques européens. Comment l’Algérie peut-elle tirer profit de cette situation ?
Ce n’est pas le fruit du hasard et c’est l’occasion de rendre hommage à ceux qui dès les années soixante dix ans avaient compris et anticipé les enjeux actuels et mis en place en Algérie les premières installations du GNL au monde.
Nous aurions pu être plus ambitieux et devenir des acteurs directs dans les marchés internes en Europe notamment mais nous n’étions pas suffisamment vigilants pour faire exercer un contrôle institutionnel strict sur la politique énergétique du pays.
Aujourd’hui, je pense que le gouvernement a raison d’exiger l’implication de ses plus gros clients dans l’exploration et la production de gaz parce que cela pose le problème de fond sur la question du gaz et comme celle du pétrole ; faut-il produire les quantités nécessaires à ses propres besoins ou à ceux des autres ?
« Pedro Sanchez a manqué de sincérité… »
Nous ne devons pas nous organiser en fonction des urgences énergétiques des autres car depuis près d’un siècle le monde est marqué par des cycles qui alternent, guerre, récession et croissance qui ne correspondent pas forcément à nos préoccupations.
La crise avec l’Espagne, qui a été provoquée par le gouvernement de
Pedro Sanchez, est à son sixième mois, et rien ne présage un arrangement entre les deux pays. Quelles sont les conditions d’une normalisation entre les deux pays ?
Il est regrettable que l ‘Espagne se soit désengagéede sa position traditionnelle qui lui conférait un rôle de pivot dans la région et des relations privilégiées avec l ‘Algérie qui ne porte pas de responsabilité dans l’échec du processus de décolonisation du Sahara occidental ni dans la persistance de ce conflit.
Pedro Sanchez a manqué de sincérité dans sa relation avec le président Tebboune qui a plutôt abordé son mandat dans une disposition amicale et d’ouverture avec l’Espagne.
Les relations entre les Etats se construisent aussi sur la relation de confiance et d’estime réciproque entre leurs dirigeants.
Il faut espérer que des opportunités se présentent pour envisager une clarification et une normalisation progressives des relations entre les deux pays.
Le Maroc a accentué son isolement diplomatique au Maghreb, après sa
dispute avec la Tunisie au sujet de la présence du président sahraoui Brahim Ghali au Forum Afrique – Japon. La Tunisie a-t-elle mis fin à sa neutralité sur le dossier du Sahara occidental ?
La position de neutralité de la Tunisie sur la question sahraouie n’est pas nouvelle, elle date de Bourguiba et personne ne l’a questionnée sur une position souveraine et assumée de longue date.
Je pense que c’est un mauvais procès qui est fait à la Tunisie qui s’est appuyée sur la pratique internationale en la matière en se conformant aux statuts de l’Union africaine tout comme l’avaient fait sur la même question la Côte d’Ivoire en 2017, le Japon en 2019 et l’Union européenne en 2022.
Le Maroc assiste depuis son adhésion en 2017 aux activités de l’Union Africaine aux côtés des Sahraouis tant au niveau ministériel qu’à celui de chefs d’Etats.
Le Roi Mohamed VI avait assisté au sommet Afrique – Europe en 2017 à Abidjan en Côte d’Ivoire en novembre 2017. Tout récemment encore en février 2022, ce pays a assisté aux côtés des Sahraouis au sommet Afrique – Europe à Bruxelles.
Pour ce qui est de la réunion de Tunis, il n’appartient pas non plus au Japon à qui personne n’a demandé de reconnaître le Polisario de discuter le statut d’un membre plein de l’Union africaine.
Il est bon de rappeler d’ailleurs que le Japon a reçu le Président Brahim Ghali lors du sommet Ticad 7 à Yokohama en août 2019 en présence du Maroc.
Tout indique donc que ce pays est revenu dans l’organisation africaine dans l’objectif de la neutraliser par la multiplication d’attitudes de cette nature.
Le prédicateur marocain Ahmed Raïssouni a démissionné de son poste
de président de l’Union mondiale des oulémas musulmans et ce après
avoir incité le roi du Maroc à appeler les Marocains à marcher sur Tindouf et Laâyoune. Pourquoi a-t-il tenus des propos aussi dangereux? Est-ce que cela montre finalement la vraie nature du régime marocain, expansionniste et belliqueux avec ses voisins ?
L’imam et homme politique Raissouni était le représentant désigné par le Maroc qui a présenté et défendu sa candidature à la présidence l’Organisation des Oulémas musulmans.
Il était à ce titre, un représentant officiel du Royaume du Maroc selon les normes qui régissent les relations internationales.
Son appel au Djihad contre l’intégrité territoriale de l ‘Algérie participe en fait du même esprit que celui de la provocation du représentant marocain auprès de l’ONU qui avait appelé, il y a une année à la sédition en Algérie ce qui avait justifié la rupture par l’Algérie de ses relations diplomatiques avec Rabat.
« Le Maroc nourrit une stratégie de la tension permanente avec l’Algérie »
Le Maroc, n’a pas à ce jour, relevé la gravité de ces déclarations qui sont graves, belliqueuses et inacceptables et en totale contradiction avec le discours du Roi Mohamed VI appelant à l’apaisement avec l’Algérie.
Ceci conforte le sentiment que le Maroc nourrit une stratégie de la tension permanente avec l’Algérie pour la mettre sous une sorte de guerre d’usure , l’affaiblir et l’amener à s’impliquer dans les guerres d’influence entre les grandes puissances .
Il y associe Israël pour que notre région se transforme en caisse de résonance du conflit du Moyen-Orient et cherche à nous faire prendre parti dans les tensions entre les Etats-Unis, la Russie etla Chine, dans le dossier du nucléaire iranien et dans la guerre en Ukraine.