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Entretien. Abdelaziz Rahabi : « L’Algérie ne doit pas rester enfermée dans un tête-à-tête avec l’Europe »

Entretien. Abdelaziz Rahabi : « L’Algérie ne doit pas rester enfermée dans un tête-à-tête avec l’Europe »

Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre, revient dans cet entretien à TSA sur la signature de l’accord d’association entre l’Algérie et l’UE, le rôle de la diplomatie algérienne, et celui déterminant de l’ancien président de la République, Abdelaziz Bouteflika.

Il donne sa vision de ce que devrait être la relation Algérie – UE, et explique pourquoi les Européens n’investissent pas dans les pays d’Afrique du Nord.

Le diplomate insiste sur l’importance de la bonne gouvernance pour éviter à l’Algérie de conclure des accords commerciaux qui ne sont pas dans son intérêt.

Il revient sur les leçons à tirer de l’échec de cet accord qui est aujourd’hui remis en cause. Il apporte un témoignage clé sur les négociations entre l’Algérie et l’UE pour la signature de cet accord.

L’Union européenne a lancé le 14 juin une procédure de règlement des litiges avec l’Algérie auquel elle reproche des manquements aux dispositions de l’accord d’association sur le commerce et l’investissement. Quelles sont les raisons qui ont poussé Bruxelles à lancer cette procédure ?

Toutes les procédures au sein de l’Union européenne relèvent du règlement ou des conventions, à ce titre, le litige commercial avec l’Espagne n’est pas le fond du problème dans les relations de l’Algérie avec l’Union européenne.

En réalité, l’Accord d’association n’a pas provoqué l’effet attendu par l’Algérie, car l’Europe n’a pas entamé avec l’Algérie un véritable dialogue sur les questions de sécurité régionale, sur la coopération en matière de terrorisme, sur les questions migratoires et autres menaces multiformes.

« L’Accord d’association n’a pas provoqué l’effet attendu par l’Algérie »

Pas plus que sur les questions stratégiques comme l’hydrogène vert, la cybercriminalité ou encore la lutte contre le blanchiment des produits de la grande corruption en Algérie.

Cette dernière question doit être, à mon sens, un critère déterminant dans l’appréciation de la volonté politique de nos partenaires en Europe comme partout ailleurs.

Les 27 pays de l’UE ont investi à peine 14 milliards de dollars, soit moins de 5 % de la somme de ses exportations vers l’Algérie.

Si nous considérons également le manque à gagner du fait du démantèlement tarifaire progressif, évalué à 16 milliards de dollars, il est alors aisé de comprendre la volonté de l’Algérie de corriger ces déséquilibres devant une situation qui réduit l’Accord à la simple dimension commerciale.

Est-ce que c’est la décision de l’Algérie de réorienter son commerce extérieur vers d’autres pays, comme la Chine et la Turquie, qui inquiète l’UE ?

L’économie d’un pays obéit à des cycles longs, la diplomatie pour sa part peut être réglée sur des échéances à court ou moyen termes.

Il ne s’agit pas donc de réorienter une stratégie à la moindre crise, quelle qu’en soit l’intensité, mais plutôt de ne plus considérer les importations comme l’instrument exclusif de régulation de notre économie.

L’énergie étant largement subventionnée en Algérie, cela limite nos possibilités d’exportation vers l’Union européenne alors que les produits agroalimentaires, le textile et les services restent largement compétitifs.

À mon sens, le problème réside dans le faible niveau de performance de notre économie et dans le fait que notre pays est l’otage volontaire du libre-échange avec l’Europe et le monde arabe.

« L’administration n’a jamais développé un pays »

Il devrait s’ouvrir d’autres perspectives et de nouvelles opportunités du libre échange commercial à d’autres zones en Asie, en Amérique du Nord et du Sud et en Afrique.

Notre proximité avec l’Europe est une réalité géographique et historique, mais elle ne devrait pas être une fatalité géopolitique.

Les diplomates algériens savent lire le temps réel et maîtrisent les complexes articulations du monde, mais ce n’est pas le cas des politiques dont il est vrai, ce n’est pas la vocation.

La diplomatie reste un métier. Malheureusement, les élites bureaucratiques en Algérie, qui détiennent les leviers de la décision économique, bloquent tout effort de réformes, car elles sont incapables d’appréhender la complexité du monde et de l’économie internationale et de s’adapter à ses constants et rapides changements.

Ces élites s’accommodent bien du statu quo rentier actuel d’économie d’approvisionnement. Le pouvoir politique doit reprendre en main la stratégie, car l’administration n’a jamais développé un pays.

Vous avez suivi le processus de négociations entre Alger et Bruxelles pour la signature de l’Accord d’association Algérie-UE. Dans quelles conditions cet accord a été conclu ?

C’est l’Algérie qui avait lancé dès les années soixante-dix l’idée d’un cadre de coopération entre l’Europe et la Méditerranée orientale que l’on retrouve dans ce que l’on appelait alors la Politique Globale Méditerranéenne et c’est dans ce même esprit que le processus euro-méditerranéen a été lancé en 1995 à Barcelone dans la perspective de favoriser une prospérité partagée entre les deux rives.

Les discussions ont, en fait, commencé dans les années 1990 dans l’esprit de la Politique méditerranéenne rénovée au moment de la crise politique et sécuritaire en Algérie.

Nous étions en face de choix difficiles, car nous traversions une grave menace d’effondrement de l’État et la priorité du moment était plus la survie de l’État que celle de son économie.

« Nous n’étions pas favorables à ce projet »

Nous venions de signer, en 1995, le deuxième accord d’ajustement structurel avec le FMI qui a levé les subventions sur des produits alimentaires, mais aussi sur l’énergie et qui a provoqué la mise au chômage technique de près de 500.000 travailleurs dans une conjoncture de violence terroriste.

Enfin, nous étions seuls face à Bruxelles, car nos voisins de l’Est et de l’Ouest avaient négocié séparément des Accords d’association alors que nous avions convenu à Marrakech, en février 1991, de le faire de façon groupée au titre de l’UMA pour consolider nos capacités de négociation, obtenir de meilleures conditions de prix, des tarifs douaniers plus élevés et des délais de démantèlement tarifaires plus longs.

Au regard de tout ce qui précède, nous devions ne pas rompre le dialogue avec les Européens pour ne pas aggraver notre isolement diplomatiquement sans pour autant céder à leurs exigences de conditionnalité politique.

Globalement, au sein des Ministères des Affaires étrangères et du Commerce, nous n’étions pas favorables à ce projet parce que le pays ne pouvait pas supporter un effet conjugué des mesures du FMI et de l’Accord d’association sur une économie en partie paralysée par le terrorisme.

Le Président Liamine Zéroual accordait une large marge de manœuvre à l’appareil diplomatique et avait le souci d’équilibrer les comptes et de relancer l’économie nationale sans hypothéquer la souveraineté nationale.

Il avait suivi les recommandations du Conseil national économique et social (CNES), du patronat et des syndicats comme il avait consulté les Partis politiques.

Mais nous n’avions pu tenir que grâce, en grande partie, aux sacrifices du peuple qui a supporté toutes les privations, qui a résisté et a donné une leçon de résilience qu’il a puisée dans notre longue histoire.

Les choses ont-elles changé avec l’arrivée au pouvoir du Président Abdelaziz Bouteflika en 1999 ?

Ce ne sera pas le cas en 2002, soit trois ans après l’arrivée du président Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. C’est lui, faut-il le préciser, qui avait demandé au président du Conseil européen, Romano Prodi, à accélérer les négociations et à signer un accord qui comportait des clauses déséquilibrées qui sont à l’origine de la crise aujourd’hui.

Le gouvernement n’avait pas associé la classe politique, les partenaires économiques et socioprofessionnels à une concertation de nature à aboutir à un pacte, car il s’agissait du premier engagement international de libre-échange d’envergure qui pouvait déterminer notre doctrine à venir en la matière.

Il faut rappeler que le président Bouteflika, qui s’était engagé dans un bras de fer avec le commandement de l’armée, avait été fragilisé par les attentats du 11 septembre 2001 qui avaient conforté les thèses de l’Algérie sur le caractère transfrontalier et international du terrorisme.

« C’est Bouteflika qui a demandé à Romano Prodi d’accélérer les négociations »

Il avait besoin alors d’un acte de prestige dont il n’avait pas mesuré tout l’impact sur l’économie nationale. Il manquait, il faut le dire, du sens du fait économique ou il le considérait comme un sous-produit du prestige diplomatique recherché.

Enfin, l’Algérie avait entériné l’offre d’un tarif douanier moyen inférieur à 55 % alors que nos voisins et l’Égypte avaient exigé et obtenu plus de 80 %, ce qui a sensiblement réduit le manque à gagner en termes de taxes douanières et rallongé pour eux la durée du démantèlement tarifaire pour leur permettre de mettre à niveau les secteurs les plus touchés par l’Accord.

Globalement, cette expérience devrait nous servir de leçon pour l’avenir, car la bonne gouvernance recommande au pouvoir politique une large consultation sur les questions qui engagent l’avenir de la Nation.

Elle nous enseigne également que les contre-pouvoirs institutionnels et la société civile doivent être associés à toute démarche qui réclame l’adhésion du peuple. En un mot ne pas faire pour le peuple, mais avec lui.

Le stock des investissements européens en Algérie était de 14 milliards de dollars à fin 2017. Les pertes de l’Algérie dues à l’application de cet accord sont colossales. Qu’est-ce qu’explique la faiblesse des investissements des pays de l’UE en Algérie ?

Les conditions favorables offertes par l’Égypte, le Maroc ou la Tunisie, n’ont pas non plus permis à ces pays de recevoir les volumes d’investissements directs européens attendus.

À l’inverse des États-Unis et du Japon qui consacrent 22 et 25 % de leurs investissements à l’étranger dans leurs propres zones géographiques d’influence pour les développer, stabiliser les populations et réduire les flux migratoires, l’Europe enregistre en moyenne moins de 5 % de ses investissements au Sud de la Méditerranée ce qui explique en partie les écarts des niveaux de performance des économies émergentes du Sud-Est Asiatique ou de l’Amérique latine avec celles de notre région.

Quelle est l’approche de l’UE avec l’Algérie et les pays du Maghreb en général ?

En fait, le débat sur cette question n’a pas beaucoup changé depuis les fameux Conseils de coopération de la Communauté Économique européenne avec les pays de la rive Sud des années 1970.

L’Algérie considérait que ce schéma d’aide au développement n’était pas très généreux, les financements des projets insignifiants et les procédures bureaucratiques et paralysantes.

Ces projets étaient conçus, en partie, dans l’intention de contenir l’influence de l’aide au développement du bloc socialiste et de la Chine en Afrique et dans le monde arabe.

L’Algérie représente, il est vrai, un partenaire de choix du fait qu’elle importe la moitié de ses besoins de l’UE et crée ou maintien, de ce fait, des milliers d’emplois en Europe.

Elle est un fournisseur fiable de produits énergétiques qui deviennent des produits qui ont plus qu’une valeur marchande du fait de la guerre en Ukraine.

Elle contrôle enfin ses frontières et les flux migratoires du Sahel qui représentent la plus grosse menace, aux yeux des Européens.

Notre pays est réduit à cela aux yeux de nos partenaires qui trouvent que notre offre n’est pas suffisante pour conférer à l’Algérie un statut à la hauteur de son engagement. La conjoncture actuelle est propice à un débat sur ces délicates questions.

Que faut-il faire de l’accord d’association entre l’Algérie et l’UE ? Le renégocier ou l’abandonner ?

L’accord, s’il est réduit à sa dimension commerciale, ne nous interdit pas de recourir aux outils internes de régulation comme les taxes ou les quotas comme le font les pays du Sud de la Méditerranée signataires de ces accords.

En fait, la question qui se pose pour moi est celle de savoir pourquoi nous nous enfermons dans ce tête-à-tête avec l’Europe et nous nous interdisons toutes les opportunités avec le reste du monde, notamment en Asie et dans les Amériques.

« Il faut une deuxième famille de réformes économiques en Algérie »

L’architecture de l’Accord d’Association n’est pas différente de celle de dizaines d’accords de libre-échange, d’accords préférentiels ou de clauses de la Nation la plus favorisée que nous n’avons pas suffisamment explorés.

Il faut peut-être également entamer une relecture de notre rapport à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) car aujourd’hui, il est beaucoup plus idéologique qu’économique.

Enfin, il est difficile d’envisager favorablement la situation si nous ne lançons pas une deuxième famille de réformes économiques en Algérie, touchant notamment les subventions accordées à l’énergie, tout en assurant un contrôle rigoureux sur la richesse publique et en instituant une transparence à tous les niveaux.

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