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ENTRETIEN. Ali Amran : « Sin wattanen est un coup de gueule et un message d’espoir »

ENTRETIEN. Ali Amran : « Sin wattanen est un coup de gueule et un message d’espoir »

Ali Amrane, chanteur.

En pleine double crise, sanitaire et politique, Ali Amrane sort Sin wattanen (les deux maux). La chanson, doublée d’un clip, connaît un franc succès et son auteur nous en parle dans cet entretien, et plus généralement de son œuvre ainsi que des retombées de la crise de coronavirus sur les artistes, de la situation actuelle de la chanson kabyle, du grand Idir…

Comment vous est venue l’idée de mettre la crise politique et la crise sanitaire de Covid-19 dans un même texte ?

C’est un thème qui s’est imposé de lui-même. C’était le confinement, la Covid-19 est venue compliquer davantage la situation. C’était décevant de constater que même dans une période comme ça, le pouvoir a continué à mettre la pression, à réprimer, à emprisonner les gens, les activistes, les militants, les journalistes et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui.

Il faut toujours improviser quand il y a une idée qui vient. Donc l’idée est venue comme ça, au vu de tout ce qui se passe puis il a fallu faire le reste, composer la musique, les paroles… C’est une chanson d’actualité par rapport à ce qui se passe. C’est un coup de gueule en quelque sorte.

Dans le texte de la chanson, il y a comme un message d’espoir aussi…

Heureusement. C’est un coup de gueule mais aussi un message d’espoir, car ça ne peut pas continuer comme ça. J’en ai profité pour avoir une pensée et d’exprimer une solidarité et un soutien aux gens qui sont touchés de plein fouet par ces deux maux, en l’occurrence les médecins, les personnels soignants et tous ceux qui sont au front dans le combat contre la pandémie et d’un autre côté les prisonniers d’opinion et tous les gens qui les défendent.

Il faut avoir de l’espoir, on n’a pas le choix. Dans la vie, soit on avance, soit on se laisse aller, on se suicide ou je ne sais quoi. En quelque sorte, être optimiste n’est même pas un choix, il s’impose un peu.

Vous êtes un chanteur doublement engagé, dans la défense de la culture et dans la modernisation de la musique kabyle, un peu comme l’était Idir. Etes-vous d’accord avec ceux qui vous voient sur les traces de l’auteur de Vava Inouva ?  

Sur ses traces, je ne sais pas, ça dépend de ce qu’on entend par cela. Comme vous le dites, ce n’est pas nouveau, on m’a déjà posé la question. Je pense que oui, dans la démarche de la modernisation et d’ouverture de notre musique traditionnelle à d’autres façons de faire, c’est clair qu’il y a une similarité, mais après, dans le concret, chacun a sa façon de le faire, son cachet. Pour la démarche, c’est un mouvement qui a commencé depuis longtemps, dans les années 1970 avec Idir et d’autres chanteurs, comme Djamel Allam, les Abranis… Je suis effectivement dans ce courant-là, même s’il y a des différences dans la façon de s’y prendre. C’est une autre époque, d’autres influences. Et puis je suis très intéressé par ce travail, ce lien à faire entre notre musique traditionnelle authentique et la musique universelle.

Idir justement a dit un jour que Ali Amrane est un « Kabyle, artistiquement parlant, qui fait sans complexe de la musique moderne »…

Idir a dit cela parce qu’il avait compris la démarche. Evidemment je suis un artiste kabyle, je fais de la chanson kabyle, c’est clair. Notre système musical traditionnel a sa logique et ses règles, et il se trouve que la musique moderne, ou ce qu’on appelle la musique harmonique, est un autre système musical qui fonctionne avec une autre logique qui est propre à lui. Pour moi, c’est l’articulation entre ces deux systèmes qui est importante. Il faut trouver le juste équilibre. Notre mélodie kabyle est là, mais la façon de la mettre en musique, c’est-à-dire de l’arranger, de placer les instruments, ça appartient à cette logique de la musique harmonique. Cette articulation, quand elle est bien posée, le résultat coule de source. J’ai beaucoup travaillé cet aspect et je continue à le faire. C’est un projet que je suis en train de mettre en place depuis plusieurs années, en faisant notamment des reprises de chansons anciennes. L’album de 2009, je l’avais fait dans ce sens. C’est quelque chose qui me tient tellement à cœur.

Quel regard portez-vous sur l’état de la chanson kabyle d’aujourd’hui ?

La situation de la chanson kabyle est difficile mais cela est aussi le cas pour tous les domaines dans notre pays. L’état de la chanson est à l’image de tous les autres secteurs. Mais je devrais tout de même dire qu’il y a beaucoup d’artistes de talent, des jeunes qui font de la musique, qui jouent, mais qui n’arrivent pas à trouver leur voie parce qu’il n’y a pas de système de promotion ou de production. Je sais qu’ici en France, et c’est aussi le cas en Algérie, il n’y a pas que les professionnels qui peuvent aider les artistes et les créateurs à aller de l’avant, à retravailler leur œuvre, à la présenter au public, à la promotion…

Les artistes engagés dans la chanson sont des passionnés, parce que quand même c’est un domaine difficile. Je n’ai donc pas de conseils à leur donner, sauf peut-être leur transmettre mes encouragements, car il faut de la ténacité et de la conviction. J’ai l’impression que le public ne sait pas que pour faire de la chanson, il faut, en plus de créer des musiques et des paroles, tout un environnement favorable, il faut de la production, de l’édition, l’apport des médias… Nos artistes se débrouillent par leurs propres moyens et ce n’est pas facile.

Les retombées de la crise de Covid-19 n’ont pas épargné les artistes. Pouvez-vous nous en parler ?

C’est une vraie catastrophe pour les artistes, quand on sait que maintenant, notre travail se concentre sur le spectacle vivant, les concerts et les tournées. La crise sanitaire a tout arrêté. Evidemment, j’ai eu des concerts et des tournées qui étaient prévus dans cette période et qui ont été annulés. On ne voit pas encore la lumière puisque ça ne reprend pas et on ne sait pas quand ça va reprendre vraiment. C’est vraiment un coup très très dur qui risque d’asphyxier pas mal de structures et d’artistes. Après, il faut toujours rebondir, chercher des solutions, d’où par exemple cette chanson Sin wattanen.  Je l’ai faite dans ces  conditions imposée par la crise sanitaire, où on ne peut pas aller enregistrer dans un studio. J’ai composé le morceau chez moi, puis j’envoyais le travail à un musicien, à l’ingénieur du son jusqu’à ce que tout soit finalisé. C’est une autre manière de travailler. C’est une conséquence de la crise, mais ce n’est pas négatif non plus puisque les moyens d’aujourd’hui permettent de faire ça.

Quand est-ce qu’on reverra Ali Amrane en Algérie ?

Il faudra d’abord en finir avec cette histoire de confinement-déconfinement. Ça me manque en tout cas et dès que l’occasion se présentera, je vais me pointer. Sinon pour l’instant, il n’y a rien de prévu en Algérie. Ici en France, je devrais reprendre le 11 septembre avec un concert acoustique en hommage à Idir dans le cadre du festival Bibliothèques idéales à Strasbourg. Ce sera à la Cité de la musique et de la danse à 21h.

Justement on va conclure cet entretien par ce que vous avez à dire sur le défunt Idir…

C’est un grand repère qui est parti, pour la musique, la chanson, la culture en général. Après on se console parce qu’il a laissé une œuvre immense avec laquelle nous continuerons le chemin et par laquelle nous nous rappellerons de lui. Il sera toujours présent parmi nous de toutes les manières. Son décès me touche aussi personnellement parce que c’était quelqu’un que je connaissais, que je voyais parfois et qui était mon ami, quelqu’un avec qui j’ai travaillé aussi, on a fait ensemble un duo, des concerts. On a partagé ensemble des moments, de la musique, de l’émotion.

 

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