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Entretien avec Abderrahmane Benbouzid, ministre de la Santé

Entretien avec Abderrahmane Benbouzid, ministre de la Santé

Deux mois après la découverte du premier cas de Covid-19 sur son territoire, peut-on dire que l’Algérie a atteint et dépassé le pic de l’épidémie ?

Je constate que cette question revient souvent et elle me permet de clarifier ce point. Sachant que toute épidémie a un pic, la question qui nous préoccupe, en premier lieu, à travers toutes les mesures qui ont été prises et que chacun se doit de respecter, est de faire en sorte que le pic épidémique, en Algérie, soit le moins élevé possible.

Pour le moment, il n’y a pas, encore, de recul suffisant permettant de constater une tendance à la baisse significative et durable pour affirmer que nous avons dépassé le pic épidémique. De plus, « dépasser le pic », comme vous dites, ne met pas à l’abri de la survenue d’une nouvelle vague de cas, surtout s’il y a un relâchement, même partiel, dans le respect des mesures barrières comme le port du masque, l’hygiène des mains et la distanciation physique et le confinement.

De nombreuses mesures de prévention ont été prises par les autorités. Quelle évaluation faites-vous du dispositif mis en place ?

Effectivement et de façon relativement précoce, notre pays a pris de nombreuses mesures qui ont visé à protéger nos citoyens et à freiner la propagation de l’épidémie.

Pour cela, nous nous sommes attachés, à travers des actions soutenues de prévention, à sensibiliser le citoyen sur l’intérêt du respect des mesures d’hygiène et des mesures barrières. Nous nous sommes, également, attelés à développer la surveillance active, le dépistage précoce par le test viral qu’est la PCR. Dès l’apparition du premier cas, nous avons émis des directives pour la prise en charge rapide des patients, que nous avons promptement étendues à tout le territoire national. Enfin, en dépit des contraintes que cela allait engendrer sur la vie des ménages et sur la vie économique et sociale, nous avons procédé précocement, et ce, de façon graduelle et adaptée à notre contexte épidémiologique, à la fermeture des écoles et des universités, à l’arrêt des transports publics et au confinement partiel et parfois total de la population.

Grâce à une mobilisation totale du Gouvernement et un engagement actif, malgré des conditions parfois difficiles, de l’ensemble des acteurs de la riposte avec au premier rang l’ensemble des personnels de la santé qui mérite toute notre considération, nous pensons que ces mesures ont très largement contribué à nous éviter le scénario catastrophe avec des services de santé et de réanimation débordés par un afflux important de nouveaux cas au même moment. Néanmoins, l’évolution des derniers jours nous rappelle que nous devons rester extrêmement prudents quant aux conclusions à tirer.

En ce mois sacré du Ramadan, je réitère, pour éviter tout relâchement, mon appel au strict respect par tous du confinement, des mesures d’hygiène et de la distanciation physique en tout lieu et à tout moment.

Le taux de mortalité en Algérie est l’un des plus élevés au monde. Est-ce à cause d’un déficit de prise en charge efficace ou avez-vous une autre explication ?

Il y a lieu, avant tout, de faire la distinction entre le taux de mortalité et le taux de létalité. Si vous parlez du taux de mortalité, c’est-à-dire le nombre de cas de décès par Covid-19 confirmés pour 100 000 habitants, notre taux demeure bas puisqu’il est de 0,97 pour 100 000 habitants.

Quant au taux de létalité, c’est-à-dire le nombre de cas de décès par Covid-19 confirmés par rapport au nombre total de cas de Covid-19 confirmés par test PCR, ce taux peut paraitre relativement élevé du fait que tous les cas de Covid-19 ne sont pas nécessairement confirmés par le test virologique. En effet, il existe une proportion non négligeable de cas traités pour Covid-19 et pour lesquels la PCR était négative (elle peut l’être dans 20% des cas) ou bien chez lesquels les données cliniques et du scanner étaient suffisamment évocateurs pour que les médecins les mettent sous traitement. Tous ces cas avec PCR négative ou sans PCR ne sont pas comptabilisés dans le calcul du taux de létalité.

En outre, la plupart des cas de Covid-19 ne présentent aucun symptôme ou présentent des symptômes discrets qui ne les amènent pas forcément à consulter, et pour un certain nombre de cas symptomatiques, la confirmation par la PCR n’était pas, tout au moins, au début, disponible partout, et par conséquent, ces cas n’étaient pas confirmés virologiquement.

Ce sont tous ces éléments qui expliquent pourquoi le nombre de cas de Covid-19 n’est pas apprécié à sa juste valeur et lorsqu’il est rapporté au nombre de décès, le taux de létalité apparait, par conséquent et de façon mathématique, comme relativement élevé.

Je voudrais ajouter, en ce qui concerne, l’aspect de votre question relative à la qualité de la prise en charge, que notre stratégie de dépistage et de prise en charge avec le protocole national thérapeutique qui a été élargi à tous les cas confirmés virologiquement et à tous ceux ayant des signes typiques au scanner thoracique nous a permis d’éviter la surcharge de nos structures de santé et par conséquent n’a pas affecté la qualité de la prise en charge de nos patients au regard de la mobilisation des équipes de santé, de la disponibilité des moyens thérapeutiques et des capacités de l’offre en lits d’hospitalisation y compris de réanimation où les taux d’occupation étaient inférieurs à 20%.

Le nombre de décès quotidiens a fortement baissé. C’est l’effet du nouveau protocole de traitement ?

Nous accordons une particulière attention au suivi des patients mis sous le protocole national associant « hydroxychloroquine-azythromycine », que nous avons adopté de façon précoce et mis en œuvre de façon encadrée et sécurisée en milieu hospitalier et sous surveillance médicale stricte.

S’il est tôt pour tirer des conclusions relatives aux résultats de ce protocole national, force est de constater que les éléments recueillis montrent une large adhésion des praticiens et des patients comme en temoigne le nombre de patients mis sous ce protocole qui s’élève, à ce jour, à 6666.

D’autre part, nous constatons que le nombre de patients guéris qui est en augmentation constante a contribué à libérer des lits d’hospitalisation, à réduire les transferts en réanimation et éviter, ainsi, la surcharge de nos hôpitaux qui est une véritable hantise pour tous les systèmes de santé.

Les statistiques relatives au nombre de contaminations font beaucoup parler. La différence entre le nombre des cas détectés et celui des cas traités n’est pas compréhensible pour le commun des citoyens, au moment où de nombreuses voix estiment que les capacités de dépistage sont insuffisantes, déduisant que le nombre réel de malades est largement supérieur à celui annoncé. Qu’avez-vous à répondre ?

Comme je l’ai dit précédemment, il s’agit d’une question de définition des cas. En effet, en termes de déclaration, comme pratiqué universellement, seuls les cas suspects confirmés virologiquement par la PCR étaient déclarés comme cas confirmés.

Au vu de l’analyse de la situation et des avancées des connaissances scientifiques sur cette pandémie, notre comité scientifique a, dans sa recommandation, du 12 avril 2020, élargi la définition du cas Covid-19 aux autres cas suspects, pour lesquelles la PCR n’était pas disponible mais qui avaient des images typiques au scanner thoracique, et considéré, par conséquent, ces cas, comme Covid-19 éligibles au protocole national thérapeutique. Ce sont les équipes médicales qui jugent, en dernier ressort, du diagnostic, sur des arguments historiques (notion de contact avec un malade, ou de séjour en zone atteinte), cliniques, de laboratoire, radiologiques et de PCR.

D’ailleurs, l’OMS dans sa récente mise à jour, du 14 avril 2020, a considéré que « dans les situations où la réalisation de tests n’est pas possible, le COVID-19 peut être confirmé sur la base des symptômes ou des signes rapportés ».

Beaucoup, notamment parmi le corps médical, s’étaient plaints au début du manque d’équipements de protection. La situation s’est-elle améliorée depuis ?

C’est un phénomène qui a été observé dans de nombreux pays et il relève de la crainte légitime que peuvent avoir certains professionnels de la santé lorsqu’ils se trouvent confrontés à un risque infectieux nouveau dans leur pratique quotidienne et qui les conduit à interrompre momentanément leurs activités.

Cependant, du fait d’une meilleure connaissance du risque et de la façon de le prévenir avec la disponibilité des moyens de protection, beaucoup de praticiens libéraux ont repris rapidement leurs activités. D’ailleurs, toutes les dispositions ont été prises pour assurer, ainsi, la continuité des soins aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

La réforme du système national de santé fait désormais l’unanimité, notamment depuis les déclarations du président de la République dans ce sens. Quelles sont les lacunes que vous avez constatées en tant que ministre et praticien exerçant sur le terrain. Quelles seront les grandes lignes et les priorités de la réforme annoncée ?

Je tiens à souligner, tout d’abord, que dans notre approche nous devons tenir compte, à la fois, des atouts et des succès indéniables de notre système de santé, riche d’une longue expérience, dont il faudra consolider les acquis mais, également de nos lacunes et de nos défis qu’il nous faudra, sans complaisance et de façon partagée avec l’ensemble des acteurs, identifier et analyser car ils constituent autant de pistes pour réformer notre système de santé.

Vous me donnez l’occasion de réitérer et de préciser les trois grandes lignes directrices qui me semblent importantes à prendre en considération. La première concerne le défi planétaire représenté par les menaces sanitaires émergentes comme l’actuelle pandémie. Il s’agira de mettre en place un système de santé basé sur l’anticipation, la préparation, la détection précoce et la riposte rapide à toute menace sanitaire à potentiel épidémique avec des mécanismes de surveillance et d’alerte précoce, et de riposte rapide à chaque niveau de notre pyramide sanitaire.

La deuxième ligne directrice découle des défis induits par notre transition sanitaire qui a combiné, en premier lieu, la transition épidémiologique avec un recul spectaculaire des maladies transmissibles dont il faudra consolider les acquis et une ascension préoccupante des maladies non transmissibles qu’il faudra prévenir ; en deuxième lieu, la transition démographique avec l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population avec toutes ses implications ; et enfin la transition socio-économique avec le changement dans le mode de vie et la progression de la sédentarité qui constituent autant de risques pour la santé.

La troisième ligne directrice découle des moyens dont devra disposer tout système de santé efficace. Il s’agit, tout d’abord, du développement de la ressource humaine et de la recherche en santé en tant que un facteur incontournable de tout développement et de tout progrès durables. Il s’agit, également, de la maitrise de l’information et des technologies de la communication, mais aussi, de l’introduction des nouvelles technologies en matière de santé dans la mesure où elles offrent des perspectives prometteuses en termes d’amélioration des prestations de santé au profit des patients algériens. Enfin, une attention particulière devra être accordée à l’organisation et au financement de notre système de santé pour plus d’équité et d’efficience.

Cela fait presque deux décennies que le ministère de la Santé est aussi celui de la Réforme hospitalière. Cela signifie au moins que la réforme n’a pas été achevée, pour ne pas dire qu’elle n’a jamais été entamée. Pourquoi selon vous ?

Je crois qu’une telle question que cette pandémie vient de rappeler avec force à l’ensemble des pays ne doit plus se limiter à la seule dimension de la réforme hospitalière mais doit concerner non pas la réforme mais la refondation de tout notre système de santé.

D’ailleurs, l’annonce, par Monsieur le Président de la République, de la création de l’Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire avec pour première mission la refondation de notre système de santé vient à point nommé et se trouve être à la hauteur de ce défi majeur que nous devons tous relever ensemble en capitalisant toutes les expériences initiées dans ce cadre.

 

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