search-form-close
Entretien avec Abderrazak Makri : « Le 5e mandat est des plus hypothétiques »

Entretien avec Abderrazak Makri : “Le 5e mandat est des plus hypothétiques”

Quel bilan faites-vous de vos rencontres avec plusieurs partis politiques autour de votre initiative ?

D’abord, notre initiative a fait grand bruit et elle a fait bouger la scène politique. C’est très important. Vous vous souvenez de la léthargie dans laquelle se trouvait la scène politique avant cette initiative et tout le monde l’avait constatée. Notre initiative a donc le mérite d’avoir secoué la classe politique. Ce n’est pas rien.

Deuxièmement, elle a fait sortir tous les acteurs de leur expectative et de leur mutisme. Troisièmement, elle a relativisé la fatalité d’un cinquième mandat pour Bouteflika. Elle a donné l’espoir qu’il peut y avoir d’autres issues, c’est-à-dire une alternative autre que le cinquième mandat. Elle a créé un consensus politique, social et culturel sur le principe de la non-intervention de l’armée dans la vie politique. C’est très important. C’est même un acquis historique.

Il est très difficile maintenant de faire machine arrière car tous les Algériens savent que l’Armée ne peut pas intervenir dans la vie politique. C’est très important et c’est le fruit de notre initiative qui a réussi à ancrer cette idée dans la société et pas seulement dans la classe politique. Avant, c’était un sujet qui se discutait dans la classe politique alors qu’aujourd’hui les réseaux sociaux, les cafés, les places publiques, les mosquées, les universités, etc, s’en sont emparés. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il ne peut pas y avoir d’intervention de l’armée dans la vie politique. Et c’est un acquis fondamental.

Quatrièmement, l’initiative a démontré la position centrale qu’occupe le MSP sur l’échiquier politique national. Si notre mouvement bouge, la classe politique bouge.

En résumé, nous avons enregistré beaucoup d’acquis jusqu’à maintenant et notre initiative va se poursuivre.

Le FLN, le RND et le MPA ont émis des réserves sur le volet politique de votre initiative. Le FFS ne s’est pas montré enthousiaste. L’initiative n’est-elle pas un échec ?

Il n’est pas demandé aux partis politiques de s’auto-convaincre qu’ils ne peuvent faire des initiatives que s’il y a des garanties totales. Le propre d’un parti politique c’est de lancer des initiatives, de bouger, de présenter des idées politiques. C’est ce que nous avons fait. Peut-être que ça ne va pas aboutir présentement mais ça restera dans l’esprit des Algériens pendant toutes les années à venir.

Ce n’est pas étrange que des partis émettent des réserves sur notre initiative puisqu’on est différent. On est en train de débattre et d’échanger en essayant de se convaincre mutuellement. Mais l’initiative continue, et pour des années d’ailleurs.

Sauf que ces réserves portent sur le cœur de votre initiative, à savoir la transition politique…

Nous ne parlons plus de transition démocratique mais d’un consensus national, discuté et débattu par toutes les parties, qui repose sur quatre axes essentiels : économique, social, politique et international. Nous sommes partis du constat que l’Algérie va connaître des difficultés insurmontables dans les années à venir et pour surmonter ces problèmes nous sommes appelés à travailler ensemble.

Il faut aller vers une étape politique et économique qui est dans l’intérêt de tout le monde. Nous avons donc proposé une issue pour l’Algérie et qui s’inscrit dans un cadre constitutionnel.

Notre initiative respecte les échéances électorales et les institutions constitutionnelles. Autrement dit, nous proposons un changement dans un cadre constitutionnel.

Comptez-vous voir d’autres responsables politiques ?

Oui, nous allons rencontrer tous les partis politiques.

Pourquoi avez-vous choisi de discuter en premier avec les partis proches du pouvoir – mis à part le FFS et Ali Benflis – et non avec vos anciens partenaires de la CNLTD ?

C’est simple. Parce qu’avec les initiatives lancées dans le passé, le problème était avec les partis du pouvoir et le pouvoir lui-même. On n’avait pas de différences fondamentales avec les partis d’opposition. C’est pour cette raison qu’on a préféré aller vers d’autres horizons pour essayer de convaincre ceux qui ne le sont pas, mais avec une nouvelle approche et une initiative plus affinée.

On parlait de transition démocratique, ce n’est pas le cas aujourd’hui. On parlait de dépassement du cadre constitutionnel et des instituions en place, on ne le fait plus. L’objectif est d’essayer de convaincre ceux qui ne l’étaient pas lors des précédentes initiatives.

Il y a donc une concession de votre part en faveur du pouvoir ?

Non, ce n’est pas une concession. Il y a une nouvelle présentation de notre initiative mais le fond du projet reste le même. Quelle différence y a-t-il de faire une transition dans un cadre constitutionnel ou non ? Aucune. Le fond reste la transition. On a essayé de revoir, de développer, d’affiner et de sophistiquer le projet dans le but de convaincre les plus réticents. Ce n’est pas l’opposition, dans toutes ses tendances, qui a refusé le changement mais plutôt les partis au pouvoir et le pouvoir lui-même. C’est pour cette raison qu’on s’est adressé, en premier, à ces derniers.

Avez-vous bon espoir de convaincre ces partis au pouvoir d’adhérer à votre démarche ?

Au début, on ne nourrissait pas un grand espoir de voir ces partis accepter notre proposition. On s’est même dit qu’ils ne vont peut-être pas accepter de s’asseoir autour d’une même table et débattre. Autrement dit, on a eu beaucoup plus que ce qu’on attendait. On s’est dit, par acquis de conscience, qu’on doit faire quelque chose et mettre sur la table une proposition concrète. Notre conscience est tranquille et si quelque malheur arrive au pays, on aura fait notre devoir. On a démontré aux Algériens que le problème n’est pas à notre niveau mais de l’autre côté.

Autre bon point à mettre sur le compte de notre initiative : on a montré que ce sont ces partis au pouvoir qui ne veulent pas de solutions.

Vous avez dit que vous n’êtes pas visé par la mise au point du chef d’état-major de l’ANP, Gaid Salah, alors que son intervention fait suite à votre appel lancé le 14 juillet à l’armée pour accompagner la transition démocratique. Peut-on avoir plus d’explications ?

Les mots forts de la déclaration de Gaid Salah ne sont pas destinés à moi. Je vous donne un exemple : Quand Gaid Salah dit qu’il ne reçoit de directives que du président de la République, y a-t-il un Algérien qui comprendra que nous lui donnons des directives ? Il parle d’autres personnes.

Lesquelles ?

Ce n’est pas mon problème. Mais une chose est sûre, il ne viendra à l’esprit d’aucun Algérien qu’Abderrezak Makri a essayé de donner des instructions à Gaid Salah.

Mais il y a d’autres points dans la déclaration du chef d’état-major…

Oui, il a aussi parlé des personnes qui se sont érigées en porte-parole de l’armée. On ne l’a jamais fait, nous. Au fait, dans mes déclarations, je n’ai fait que répondre à une question d’un journaliste sur le rôle de l’armée. J’ai dit que, comme dans toutes les transitions à travers le monde, son rôle est de garantir la transition. Car même si les politiques se mettent d’accord, rien ne se fera sans l’aval de l’armée. Jamais. On n’a jamais dit qu’on va s’asseoir autour d’une même table avec les dirigeants de l’armée et débattre. Mais il y a par contre des gens qui nous ont répondu au nom de l’armée.

Autre remarque sur les déclarations de Gaid Salah. Quand il a parlé de gens qui courent derrière leurs intérêts, qu’avons-nous, au MSP, comme intérêts ? Par contre, ceux qui contractent des prêts bancaires et s’adjugent les grands projets et ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption, les gros bonnets quoi, ont des intérêts. D’ailleurs, on a dit que si notre initiative réussisse, on est prêt à tout céder et sans problème. On s’inscrit dans le consensus national et on ne demande rien. Ceci dit, Il faut bien réfléchir sur les vrais destinataires de la mise au point de Gaid Salah. Ça peut aider à comprendre la situation politique.

Avec les précisions de Gaid Salah et son engagement public, êtes-vous sûrs que l’armée ne va pas s’impliquer d’une manière ou d’une autre dans les prochaines présidentielles ?

On espère que ce sera le cas. Avec l’engagement pris devant le peuple algérien, c’est difficile de reculer.

Vous avez déclaré, le 14 juillet toujours, que la perspective du 5e mandat s’éloignait. Quels sont les éléments qui vous ont amenés à émettre une telle thèse ?

D’abord, il y a la santé du président. Il est inconcevable qu’un président de la République ne puisse pas communiquer avec ses collaborateurs, avec le peuple algérien, voire même à l’échelle internationale. C’est quelque chose d’inimaginable. Et l’état de santé du président est connu de tous les Algériens. Deuxièmement, il n’y a pas d’engouement chez les soutiens de Bouteflika alors qu’on est à quelques mois seulement des élections présidentielles. Troisièmement, beaucoup de prétendants, sans citer leurs noms, au sein du pouvoir même ont montré leurs ambitions. Quatrièmement, les derniers remous au sein du pouvoir. Avec l’affaire de la cocaïne, des acteurs de poids au sein du système sont tombés. Ce sont là les indices clairs qui montrent que le cinquième mandat est des plus hypothétiques.

Avec la dernière sortie de Gaid Salah où il a exprimé son soutien à Bouteflika, êtes-vous toujours sur la même position ?

Bien sûr. Je ne dis pas que le 5e mandat est définitivement tombé à l’eau, mais les chances de voir Bouteflika rester à la tête de l’État se sont amenuisées.

Pas de période de transition donc et on ira vers une présidentielle en 2019…

On n’a pas dit autre chose. On a inscrit notre initiative dans le cadre de cette échéance, c’est-à-dire dans un cadre constitutionnel.

Mais est-ce que vous allez privilégier une candidature interne ou bien vous allez prendre option pour une candidature consensuelle ?

S’il y a consensus entre les partis au pouvoir et l’opposition sur une personnalité, nous, on est dans cette optique. On ne peut pas appeler au consensus puis s’y soustraire. Mais s’il n’y pas consensus, on est libre de notre position.

Donc, ce n’est pas exclu qu’il y ait un candidat du MSP ?

On en discutera dans les instances du parti.

À quelle échéance ?

On ne s’est pas fixé de date. Mais, en revanche nous avons décidé d’aller vers une autre étape. Une fois on a fini avec les personnalités politiques, on ira, en septembre prochain, vers la société civile. Puis, en octobre, vers les citoyens en organisant des meetings dans les 48 wilayas pour parler de notre initiative en faveur de consensus national. On va en faire une question de société.

Nous sommes sûrs que les Algériens sont favorables au consensus national, on va les prendre à témoin que le pouvoir en place ne veut pas de consensus.

Un consensus qui va déboucher sur une candidature unique ?

C’est quoi le consensus ? C’est régler la crise dans ses quatre dimensions. Il n’y a pas un gouvernement, aussi bon soit-il, qui peut résoudre les problèmes du pays sans un large soutien politique et de la société civile. Pour sortir de la crise, on sera obligé de prendre des décisions douloureuses qui vont agiter la société, aux prises avec plusieurs problèmes. Une grande partie des Algériens ne comptent que sur le soutien de l’État. Ils attendent tout de l’État et le système est pour beaucoup dans cette attitude.

Autre chose : les contre-pouvoirs n’existent plus. Il n’y a plus de société civile et les partis politiques sont affaiblis. Dans les 48 wilayas, il n’y a que le MSP. On est seuls sur le terrain. Certes, il y a le FFS et le RCD mais qui sont implantés en Kabylie seulement. Dans les autres wilayas, c’est le désert. Et seuls, on ne peut pas faire grand-chose. Donc tout gouvernement qui ne bénéficie pas d’un large soutien, ne peut pas appliquer sa vision économique car le peuple s’y opposera. Mais avant de constituer un gouvernement issu de plusieurs partis, on doit, au préalable, se mettre d’accord sur les conditions de bonne gouvernance : contre-pouvoirs, traçabilité, transparence, puis on définira la vision économique et politique, et on ira vers le peuple algérien avec une seule parole.

Certes, on est en crise mais il y a des possibilités de trouver des solutions. Il y a des pays musulmans (l’Indonésie, Malaisie, Turquie, etc.) et socialistes (Vietnam, la Pologne, le Brésil, etc.) comme le nôtre qui ont réussi à s’en sortir. On peut le faire nous aussi. Et c’est ça l’objectif du consensus.

Sauf que cette solution a été déjà éprouvée, par le passé, quand vous étiez au gouvernement avec le FLN et le RND…

Ce n’est pas la même chose. Ce n’était pas dans l’esprit de cette transition économique et politique que nous proposons aujourd’hui. À l’époque, on avait rejoint le gouvernement pour participer à la résolution d’une crise grave, à savoir l’instabilité du pays. La preuve, quand le pays a retrouvé sa stabilité et le pouvoir ne voulait pas engager des réformes politiques, on a quitté le gouvernement. Et c’était en 2012 et non pas en 2011 avec le printemps arabe. On a attendu une année pour voir le président appliquer ses promesses de réformes politiques. On n’a rien vu, alors on a décidé de claquer la porte du gouvernement. La finalité du consensus, ce sont des réformes économiques et politiques.

À supposer que Bouteflika va se représenter en avril 2019, votre initiative de consensus n’a alors plus lieu d’être. Qu’allez-vous faire ?

Lors de nos rencontres avec les responsables du FLN et du RND, on a dit que le consensus se fera autrement et autour d’un autre candidat. C’est notre proposition à nous et, eux, ils ont la leur. La candidature de Bouteflika, ce n’est pas notre choix.

  • Les derniers articles

close