Politique

Entretien avec Ali Laskri, coordinateur de l’instance présidentielle du FFS

Le président Tebboune a entamé des consultations avec des personnalités et formations politiques. Le FFS a-t-il été convié ? Quel est, selon vous, l’objectif recherché par le pouvoir à travers ces consultations ?

Depuis le coup de force du 12 décembre 2019, rejeté par la majorité de la population, le pouvoir algérien va dans tous les sens pour s’offrir une légitimité dont il est en manque flagrant. En plus des appels d’offres en direction des étrangers, il s’est lancé dans une opération de charme nationale qui, à son grand étonnement, n’arrive pas à séduire les acteurs politiques et sociaux, tant les professions de foi et les promesses d’ouverture ne sont qu’illusions perdues.

Parallèlement aux castings organisés par le pouvoir et sa clientèle, il y a lieu de relever le mépris et la répression des marches, l’arrestation des activistes du mouvement révolutionnaire pacifique et l’empêchement des partis d’opposition d’exercer leurs activités, à l’image des assises de l’alternative démocratique et la souveraineté populaire marquées par le refus des autorités d’accorder l’autorisation de leur tenue.

Ceci dit, le FFS qui, rappelons-le, à travers son parcours et son histoire, a toujours plaidé pour un dialogue souverain autour de la transition démocratique et l’instauration de l’État de droit et d’institutions légitimes, ne se sent nullement concerné par un simulacre de dialogue ayant pour visée le maintien du système aux dépens des aspirations populaires légitimes.

Que pensez-vous de la manière avec laquelle est mené le chantier de la révision de la Constitution ?

Toute constitution qui ne soit pas l’émanation du peuple ne peut que générer un pouvoir qui gouverne contre le peuple. Or, en Algérie, le peuple s’est toujours vu confisquer son droit à disposer de son avenir en choisissant librement la loi fondamentale et les institutions qui le représentent et ce, depuis le coup d’état contre le GPRA, suivi quelques mois après par le coup de force contre l’assemblée constituante qui était une revendication du mouvement national.

N’est-il pas important de rappeler qu’au moment où les députés de l’assemblée nationale constituante s’attelaient à doter l’Algérie indépendante de sa première loi fondamentale, les putschistes ont confié à un groupe « d’experts » la mission d’élaborer une constitution adoptée de manière expéditive au cinéma Le Majestic.

Bien qu’il puisse y avoir des concessions tactiques, la survie du régime, dans sa forme despotique, sera consacrée dans la nouvelle constitution.

Le régime nous a habitués à ses commissions-maison, à ses experts triés sur le volet et à des constitutions concoctées de manière unilatérale, mais qui toujours, ont fini par être bafouées. C’est pour cela que le FFS rejette dans le fond comme dans la forme la démarche du pouvoir et poursuit son combat en faveur d’un processus constituant souverain.

Aller vers un processus constituant, c’est rendre le pouvoir au peuple en lui restituant son droit à l’autodétermination.

Abdelmadjid Tebboune est à la tête de l’État depuis 45 jours. Quel premier bilan d’étape peut-on faire de son action ?

La mascarade électorale du 12 décembre 2019 est non démocratique et non transparente, car rejetée massivement par les Algériennes et les Algériens avant, pendant et après sa tenue, elle n’a donc pour finalité que de pérenniser le régime, au moment où le peuple revendique le changement radical du système, l’instauration d’un État de droit, civil, démocratique et social et l’avènement de la deuxième république à travers un pouvoir constituant.

Ceci-dit, est-ce que le vainqueur désigné du scrutin du 12 décembre est redevable envers le peuple ? La réponse est qu’il ne peut pas être responsable devant le peuple qui ne l’a pas élu. Qu’attendre d’un régime qui, à peine après avoir installé une façade civile, vient d’annoncer un bradage tous azimuts des richesses nationales de souveraineté, essentiellement l’exploitation du gaz de schiste.

Le bilan que nous pouvons tirer de l’après-12 décembre consiste en la poursuite de la machine répressive et liberticide, le règne du déni, de l’interdit et de l’arbitraire, auxquels s’ajoutent les contestations sociales, signe du marasme généralisé qui caractérise la société.

N’y a-t-il pas comme une indécision dans l’attitude du pouvoir concernant l’apaisement général ? Pourquoi, selon vous, une telle ambivalence ?

Le régime n’arrive pas à se débarrasser de sa véritable nature, faite d’arbitraire. Cela ne nous étonne pas dans la mesure où depuis le 22 février 2019, l’Algérie aurait pu évoluer dans le bon sens si le pouvoir était armé de bonne foi et avait accepté d’être à l’écoute des Algériennes et des Algériens.

Or, force est de constater que le seul souci du régime est de maintenir son dictat hégémonique sur la société, avec les mêmes pratiques autoritaires pour imposer une feuille de route visant à maintenir le statu quo avec des apparences de changement sans que rien ne change véritablement dans la nature du pouvoir, foncièrement antidémocratique, antinational et antisocial.

Nous sommes convaincus au FFS que le salut pour le pays ne peut provenir que dans le changement du système et l’avènement de la deuxième république civile, démocratique et sociale, conformément à la proclamation de Novembre et aux résolutions de la Soummam.

Le hirak va bientôt boucler une année. Certains parlent de l’échec du mouvement, d’autres au contraire mettent en avant ses nombreuses réalisations. Quel bilan tire le FFS de cette année de mobilisation ? Qu’est-ce qui, selon vous, a empêché le mouvement de réaliser tous ses objectifs ?

Une année durant, le peuple Algérien a enclenché une formidable dynamique révolutionnaire pacifique qui est aussi, rappelons-le, la cristallisation des luttes démocratiques antérieures, à commencer par la résistance du FFS au coup de force constitutionnel en 1963. Plusieurs semaines de mobilisation et d’engagement ont drainé la quasi-totalité d’un peuple plus que jamais décidé et déterminé à imposer un changement radical du régime autoritaire. Le peuple algérien, par sa révolution, a réussi à mettre à nu le pouvoir militaire, pouvoir réel en Algérie qui a mis en avant sa façade civile depuis l’indépendance.

Malgré la répression, les détentions arbitraires, les tentatives de division, les manipulations et les fermetures politique et médiatique, des millions de citoyens continuent chaque vendredi, mardi et dimanche pour l’immigration, de revendiquer une souveraineté nationale effective, un État civil, un État de droit démocratique et social, une justice indépendante, en somme, une Algérie libre et démocratique. Ceci est en soi une première victoire.

Le rassemblement des énergies qui marquent la rupture avec le régime, des jeunes étudiants actifs et engagés, aux militants qui ont été dans tous les combats démocratiques, les femmes, les syndicalistes et les valeureux moudjahid–ate-ine, marque une nouvelle ère du combat unitaire et pacifique.

C’est pourquoi les forces du Pacte pour l’alternative démocratique ont adressé un appel en direction des jeunes, des femmes, des syndicalistes, des associations et des collectifs citoyens engagés dans la révolution à l’effet de traduire politiquement les aspirations populaires. Notre démarche s’inscrit en droite ligne avec les revendications du peuple, déterminé plus que jamais, à restituer l’Algérie aux Algériens.

N’est-il pas temps pour le hirak de passer à une autre étape, une autre organisation, se choisir des représentants ?

Le FFS à travers sa présence permanente aux côtés des Algériens et des Algériennes, et son engagement dans le Pacte pour l’alternative démocratique, travaille pour créer un rapport de force organisé en vue de faire aboutir l’exigence d’une transition démocratique à travers un processus constituant souverain. La conférence nationale autonome du pouvoir va dans ce sens, dans la mesure où elle permettra de décliner les mécanismes de transition afin de transférer le pouvoir au peuple.

Ceci dit, notre démarche est inclusive, elle est ouverte à toutes celles et à tous ceux qui croient en la transition démocratique, en le processus constituant souverain, en le changement démocratique du régime et à l’avènement de la deuxième république.

Comment voyez-vous la suite des événements ?

La mobilisation du peuple algérien demeure intacte malgré toutes les manœuvres du pouvoir et les tentatives de contre-révolution. La détermination des Algériennes et des Algériens à aller jusqu’au bout de leur combat est un signe que l’Algérie de demain sera libre est démocratique.

Devant cette dynamique populaire exceptionnelle, et face à l’entêtement pesant du pouvoir, la solution est dans la convergence et l’action des forces du changement.

L’initiative politique est présente pourvu que les bonnes volontés s’affichent et les organisations politiques, sociales, syndicales et personnalités nationales indépendantes se décident enfin à accompagner la perspective historique qui consacrera l’autodétermination du peuple algérien.

Notre pays vit un moment historique marqué par une révolution populaire pacifique et unitaire. Notre parti qui s’est inscrit dans l’accompagnement de la dynamique populaire, a formulé des propositions sérieuses de sortie de crise.

Le FFS, qui a fait appel le 17 mai 2019 à la tenue d’une rencontre nationale de concertation, d’écoute et de dialogue regroupant les forces vives de l’alternative démocratique, n’a pas cessé d’œuvrer dans ce sens.

La signature du Pacte de l’alternative démocratique, la tenue de la convention nationale, les assises nationales pour l’alternative démocratique et la souveraineté populaire et prochainement la conférence nationale, s’inscrivent dans cette démarche historique et salutaire.

Pourquoi le pouvoir harcèle-t-il le PAD, dont fait partie le FFS, en refusant d’autoriser la tenue de ses réunions ?

Dans un État de droit, quoi de plus normal que des partis politiques, des associations et des syndicats se réunissent pour débattre de la situation du pays et élaborer des propositions de sortie de crise. Hélas, nous sommes dans l’État du fait accompli et le régime ne veut nullement qu’une démarche autre que celles qu’il pilote, soit mise en relief.

Les assises du PAD qui ont constitué une tribune pour les détenus d’opinion, les jeunes étudiants, les familles des disparus, les collectifs d’avocats, les syndicats autonomes, les militants associatifs et les militants des droits de la personne humaine, ainsi qu’aux acteurs politiques, ont constitué un moment phare pour dire qu’il existe une autre voie démocratique que celle de la dictature et de l’autoritarisme. Les forces du PAD se sont clairement positionnées avec le peuple et ont porté haut ses revendications. Ce qui explique l’hostilité affiché par le pouvoir envers cette démarche. Le refus d’autoriser la tenue des assises du PAD traduit la frustration du pouvoir de ne pas avoir réussi à étouffer la révolution populaire, pacifique et unitaire.

Le PAD vient d’adopter une charte. S’agit-t-il d’un pas vers l’ouverture sur d’autres forces politiques et sociales ou au contraire, d’une manière de fermer la porte à certains courants idéologiques ?

Le PAD ne s’inscrit nullement dans les confinements idéologiques, loin de là. Notre démarche est inclusive, elle rassemble toutes celles et ceux qui luttent pour la transition démocratique, le processus constituant souverain, le changement du régime et l’instauration de la deuxième république.

Les forces vives de la Nation sont toutes appelées à s’impliquer pour faire aboutir les revendications populaires démocratiques et sociales et consacrer la victoire de la souveraineté populaire.

Où en est la crise interne du FFS et quel impact a-t-elle eu sur l’action politique du parti et sa présence sur le terrain ?

Notre parti, de par son histoire jalonnée de luttes démocratiques et de résistance à la dictature, depuis sa proclamation le 29 septembre 1963, et dans sa détermination de concrétiser les idéaux et les valeurs de Novembre et de la Soummam, n’a pas cessé d’accompagner tous les mouvements populaires d’essence libre et démocratique. Notre responsabilité aujourd’hui est lourde, face au contexte que vit notre pays et face à un pouvoir de plus en plus hostile à toute voix discordante.

On ne s’étonnera donc pas de l’hostilité affichée envers le parti depuis le congrès extraordinaire du 20 avril 2018 dont l’objectif était de remettre le parti aux militants-es-. Après avoir affirmé que la volonté politique pour un quelconque changement est inexistante au sein du régime, que seul un rapport de force émanant de la rue par une contestation populaire et pacifique dans tout le pays et non dans une région pourrait remettre aux Algériennes et aux Algériens le contrôle de leur destinée. Nous avons aussi averti qu’un cinquième mandat réveillera le peuple, volcan dormant, dans un sursaut de dignité salvateur pour le pays, puis nous avons appelé au boycott actif, massif et pacifique du scrutin d’avril 2019 dans notre appel au peuple algérien du 25 janvier 2019.

Pour tout cela le FFS a été la cible de déstabilisation par des officines au sein du régime, qui s’opposent au combat du peuple algérien pour son droit à l’autodétermination, et qui feront tout pour retarder sa victoire, c’est pour cela aussi que nous n’avons pas cessé d’appeler les Algériennes et les Algériens à inscrire leurs actions dans la durée, à redoubler de vigilance et à opposer une résistance déterminée et pacifique à toutes manœuvres visant à entraver leur marche vers la liberté.

La collégialité n’a-t-elle pas montré ses limites ?

Quels que soient les problèmes, nous privilégions la collégialité comme mode de fonctionnement et de règlement des conflits. Ceci est plus qu’une méthode, c’est l’esprit qui a fait avancer la révolution de Novembre 1954 et c’est celle qu’a prôné de son vivant notre feu président, Hocine Ait Ahmed, paix à son âme, à qui je rendrai hommage en terminant par une citation de son message du 22 mai 2011 aux Algériennes et aux Algériens : « C’est seulement au terme d’une mobilisation citoyenne et pacifique des Algériens que nous pourrons aborder l’ensemble du processus électoral devant aboutir à une refondation institutionnelle qui remette les droits des citoyens, leur sécurité et leur développement ainsi que ceux du pays au cœur d’une constitution digne de son nom, parce que enfin issue d’une assemblée constituante librement élue par des Algériens libres. Ceux qui participeront à l’élaboration de ce processus seront les premiers Algériens véritablement libres, et ceux qui seront partis avant, ne se seront pas battus pour rien ».

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