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Entretien avec Anissa Boumediene

Entretien avec Anissa Boumediene

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Après la divulgation par le magazine français L’Obs d’archives françaises déclassifiées sur la période Boumediene, nous avons interrogé sa veuve sur les révélations contenues. Anissa El-Mansali, enfant unique d’un riche père algérois, avait épousé l’ancien chef d’État en 1973.

Soit cinq ans avant sa mort. Quarante après le décès de son mari, elle reste méfiante et contrôle ses réponses, éludant notamment les questions concernant le chef de la diplomatie de Houari Boumediene, Abdelaziz Bouteflika. À l’élection présidentielle de 2004, elle avait soutenu Ali Benflis.

On pensait que le président Boumediene et son ministre des Affaires étrangères étaient liés par une solide amitié et on découvre grâce aux archives de la France qu’il le faisait surveiller par les services spéciaux de ce pays. Comment expliquez-vous cette méfiance ?

Le président Boumediene, sous ses dehors sévères, austères était aussi un sentimental pour qui les relations de maquis comptaient beaucoup. Si j’osais m’aventurer à une comparaison, je dirais comme cela se passait pour la Résistance en France. Ce sont des relations qui se forgent dans le danger, dans l’âpreté de la lutte, en bref dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Mais c’est vraiment mal connaître la personnalité du président Boumediene, farouchement indépendant, que de prétendre qu’il s’adressait à des services étrangers pour faire surveiller ses collaborateurs.

Notons au passage que les services algériens étaient suffisamment performants et disposaient à l’époque des cadres de haut niveau pour se charger d’une pareille tâche si tant est qu’ils en fussent chargés. Précisons aussi que dans le cas où les relations sont bonnes entre deux pays, il peut y a voir un échange d’informations sans que l’un ou l’autre en soit demandeur.

Votre présence auprès du chef de l’État lors de ses déplacements à l’étranger semblait gêner ce ministre qui a demandé, selon ces archives, que vous fussiez reléguée en arrière-plan. Vous confirmez ?

Là encore c’est faire preuve d’une méconnaissance totale de l’histoire de l’Algérie des années 70, de la personnalité du président Boumediene et de ses rapports avec ses collaborateurs pour oser avancer de telles inepties. En dépit des relations de maquis tous ses collaborateurs, sans exception, s’adressaient à lui avec respect en lui disant : « Si Boumediene », ce qui chez les Algériens est une grande marque de respect.

Et si le président Boumediene consultait ses cadres pour les affaires politiques du pays car il avait l’esprit ouvert dans ce domaine il n’aurait jamais toléré une réflexion concernant sa vie privée et son épouse, ce que d’ailleurs un cadre intelligent ne se serait jamais hasardé à faire, sachant qu’il aurait été rapidement remis à sa place et qu’il se serait immédiatement fait mal voir.

Avant votre mariage, le domicile du président était ouvert à ses amis. Votre arrivée a naturellement modifié les rapports et certains, semble-t-il, en ont conçu de la jalousie ? Qu’est-ce que le mariage de Boumediene a changé dans ses rapports avec ses amis et dans l’exercice du pouvoir ?

On oublie trop souvent l’état dans lequel se trouvait l’Algérie en 1962, après huit années de guerre sans merci : un peuple analphabète à 91%, presque pas de cadres du fait que les cadres pieds-noirs étaient partis, deux millions de réfugiés, un pays fortement endetté vis à vis de la France du fait des accords d’Evian, plus trois années de gabegie de 1962 à 1965, un chômage considérable, un manque énorme de médecins, d’infirmiers, de médicaments. Les Etats-Unis et l’Union Soviétique envoyaient bénévolement des bateaux de blé. Ajoutez à cela l’instabilité à l’intérieur du pays où le président de l’époque s’était arrogé les titres de ministre des Finances, de l’Information, du Secrétaire général du FLN et pour finir de l’Intérieur, multipliant les arrestations d’opposants et n’hésitant pas à recourir à la torture.

Tout cela pour vous dire que la tâche qui attendait le président Boumediene, après le 19 juin 1965, était immense et qu’il n’hésitait pas à sacrifier toutes ses journées et toutes ses soirées et à multiplier les échanges avec ses collaborateurs. Mais en 1973 lorsque la situation économique du pays s’est considérablement améliorée et que le président s’est marié, il tenait à se déconnecter un peu de son travail en passant quelques soirées tranquilles avec son épouse bien qu’il se tienne toujours prêt à répondre présent quand les affaires urgentes le réclamaient.

Boumediene était un bourreau de travail et personnellement je ne l’ai jamais vu profiter d’une journée entière tant il était sollicité par les chefs d’État du monde africain ou arabe soucieux de connaître ses prises de position car l’Algérie des années 70 jouissait d’une véritable aura auprès de ces pays, ne serait-ce que par le fait d’avoir réussi à posséder et à commercialiser ses hydrocarbures.

Pour vous reléguer dans l’ombre, on aurait menacé le président de divulguer les factures des bijoux qu’il vous aurait offerts. Ce qui sous-entend qu’ils ont été payés sur les deniers publics…

De telles inepties m’ont vraiment laissée pantoise car elles montrent l’incompétence et l’imbécillité de ceux qui les ont proférées. Qui en effet pouvait contraindre ou menacer un chef d’État qui avait eu l’immense courage politique de braver les « sept sœurs », c’est à dire les sociétés multinationales exploitant les hydrocarbures dans le monde, sachant que le président Boumediene était parfaitement conscient que ces puissances étrangères pouvaient rêver d’un coup d’Etat pour se débarrasser de lui comme cela s’est produit en Iran avec Mossadegh en 1952.

C’est une fois de plus faire preuve d’une méconnaissance totale de la politique et de l’histoire de l’Algérie des années 70. Si on avait pris la peine de se documenter on aurait vu que de 1974 à 1978, année de la mort de mon mari, je n’étais nullement dans l’ombre et que j’accomplissais mes devoirs d’épouse du chef d’État en recevant aux côtés de mon mari le président Valéry Giscard d’Estaing et son épouse en visite officielle en Algérie du 10 au 2 avril 1975 et que des revues comme Paris Match ou Point de vue m’avaient amplement montrée.

Où étais je « reléguée dans l’ombre » quand j’accompagnais le président à l’ONU, quand j’accueillais des chefs de gouvernement comme Willy Brandt qui m’invitait a festival de Bayreuth sachant que j’aimais Wagner, ou encore Olof Palm, ou le prince Sihanouk et son épouse Monique du Cambodge, le président Kil-Il-Sung et son épouse, le président bulgare Jivkov et sa fille, les présidents africains et leurs épouses comme Omar Bongo, Amin Dada, Didier Ratsiraka, Mokhtar Ould Daddah, Moussa Traoré, Hamani Diori, Mesdames Wassila Bourguiba, Tito et la veuve Allendé ? La liste est longue et s’arrête fin 1978 lorsque j’accompagnais le président à Moscou pour se soigner.

Quant au chantage exercé pour de supposées factures de bijoux transmises par le canal de l’ambassade d’Algérie c’est de la diffamation pure et simple. On peut fouiller dans toutes les archives de la présidence et aussi dans celles de la Place Vendôme, à Paris je serais très heureuse de prendre connaissance de ces fameuses factures qui n’ont jamais existé.

Je m’interroge vraiment: pourquoi s’en prend-on à moi qui n’ai jamais bénéficié des deniers de l’État au point de payer mes propres billets d’avion? A la mort de Boumediene, de nombreuses enquêtes ont été faites car ses ennemis auraient été trop heureux de jeter le doute sur sa probité ou sur la mienne. Elles n’ont rien donné parce qu’il n’y avait rien à trouver.

En ce qui me concerne, j’ai fait un mariage d’amour. Je suis issue d’une vieille famille algéroise honorablement connue. Les terrains à Alger où a été construit Diar El Mahçoul appartenaient à ma famille et nous en avons été expropriés en 1951. Mon père est né dans l’ancien petit palais de Raïs Hamidou attenant à ces terrains et acheté par mes grands-parents en 1876 et classé monument historique par la France en 1945 sous le nom de villa des Arcades, vendue en licitation en 1946 et rachetée par la suite par l’architecte Pouillon.

Mon père a été le premier distributeur de films algériens au début des années 30 et l’historien Ahmed Tewfik El Madani parle de mon grand-père paternel qui a été l’un des fondateurs du Cercle du Progrès et qui a donné beaucoup d’argent pour la création d’écoles privées enseignant l’arabe littéraire en Algérie. La salle de cinéma Dounyazad à Alger appartenant à mon père a servi de refuge aux Moudjahidine pendant la guerre de libération. Tout cela pour dire que j’ai connu l’aisance dès ma naissance. Comment le président Boumediene qui était pour la promotion de la femme, lui ouvrant l’accès aux universités, nommant des femmes magistrats, obligeant les petites filles du M’zab à aller à l’école, aurait laissé dans l’ombre son épouse, l’une des 15 premières avocates après l’indépendance ?

Quels étaient vos rapports personnels avec Bouteflika avant et après votre mariage ? Avez-vous gardé le contact avec lui après le décès de votre mari ?

Après la disparition du président Boumediene, le seul président qui a eu la délicatesse de me souhaiter les fêtes et de s’enquérir de mes nouvelles fut le président Zeroual, un homme très humain et intègre. Il m’avait dit Boumedine « abouna, abou ldjeïch (notre père, le père de l’armée).

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