Hadda Hazem, journaliste et directrice du quotidien national Al-Fadjr, a entamé, ce lundi 13 novembre, une grève de la faim au niveau de la Maison de la presse Tahar Djaout, à Alger, pour protester contre le blocage de la publicité pour son journal. Nous l’avons rencontrée sur place pour un entretien.
Vous avez décidé, à partir de ce lundi 13 novembre, d’entamer une grève de la faim. Un dernier recours ?
Oui. C’est le dernier recours. Personne ne se fait mal alors qu’il a d’autres solutions devant lui. J’ai essayé toutes les solutions possibles. Je n’ai trouvé aucune réponse. Il n’y a eu aucune réaction des pouvoirs publics qui ont décidé d’asphyxier le journal. J’ai envoyé des correspondances au président de la République et au Premier ministre. J’ai également sollicité de hauts responsables pour essayer de trouver une issue favorable au journal et régler le problème mais il n’y a pas eu d’écho.
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Aucune réponse ?
Rien. Aucune réaction. Je me suis donnée du temps avant d’entamer la grève qui devait commencer le samedi 11 novembre. À l’époque de l’ex-ministre de la Communication, Hamid Grine, Al-Fadjr a été « puni » par une suspension de tirage pendant plus d’un mois. Il y a eu aussi un arrêt des annonces publicitaires pendant un mois après la publication d’un billet critiquant le ministre de la Communication. Mais, les choses sont entrées dans l’ordre après, pas comme cette fois-ci. Là, il n’y a aucun espoir.
Que vous reproche-t-on exactement ?
J’ai fait des déclarations à la chaîne de télévision France 24 le 9 août 2017 à propos de l’affaire de l’ex-premier ministre Abdelamadjid Tebboune. Je me suis interrogée à l’époque sur le centre de décision en Algérie. C’est la question qui fâche.
Après ces déclarations, une décision a été prise de bloquer d’une manière définitive toute publicité pour le journal Al- Fadjr. L’État continue à avoir le monopole sur la publicité institutionnelle et publique. Cela dit, je pense qu’on ne me reproche pas uniquement mes déclarations à France 24. Ce n’était que la goutte qui a fait déborder le vase. Ma chronique quotidienne dérange souvent. Parfois, je touche là où il ne faut pas. Il y a des lignes rouges à ne pas franchir, on le constate souvent à nos dépens.
Considérez-vous le blocage de la publicité comme un acte de censure ?
Ce n’est pas une censure du journal, c’est une mise à mort. C’est une punition décidée en haut lieu. Ils veulent fermer la gueule à cette femme qui ose dire des choses que beaucoup ne disent pas. D’après les échos que j’ai reçus, ils ne veulent pas que je parle.
Qui a pris la décision de bloquer la publicité pour votre journal ?
Je ne sais pas. Posez la question au ministre de la Communication. J’ai essayé de le contacter. Il a bloqué mes appels.
Comment gérez-vous la situation au niveau du journal ?
L’argent est le nerf de la guerre. Je n’ai plus les moyens de continuer. Je n’ai pas versé les salaires des journalistes depuis deux mois. J’ai été obligée de m’endetter auprès d’amis pour payer la moitié du salaire du mois écoulé. Sans parler des difficultés au niveau de l’imprimerie.
Al-Fadjr emploie une trentaine de journalistes sur une soixantaine de salariés. Nous avons réduit le tirage et la pagination. Al-Fadjr est tiré actuellement à 16 pages au lieu de 24. Nous avons partagé l’équipe en deux brigades qui travaillent un jour sur deux. Nous ne voulons pas licencier nos salariés. Nous avons envoyé une correspondance à l’Inspection du travail qui nous a proposé de réduire les horaires de travail pour éviter les licenciements.
Combien de temps Al-Fadjr peut-il encore tenir ?
Je pense jusqu’à la fin de ce mois de novembre. Après, je ne sais pas. Il ne reste pas grand chose. Le risque de disparition de la publication est bien là.
Pensez-vous que les pouvoirs publics veulent la disparition d’Al-Fadjr ?
Je le pense, oui. La disparition du journal ne veut pas dire que je vais me taire. Il y a les réseaux sociaux. Je vais dire ce que j’ai toujours dit avec peut-être plus de liberté.
Qu’est-ce vous allez dire par exemple ?
Chaque chose en son temps ! Al-Fadjr fait l’objet d’une mort programmée, pas depuis trois mois, mais depuis la création du journal. Le journal tenait le coup grâce aux annonces publiques. Avec la nouvelle décision, nous n’avons aucune chance. Il y a une volonté claire d’étrangler toutes les voix qui critiquent les choix du pouvoir.
Croyez-vous que les autorités vont réagir après le début de votre grève de la faim ?
Je souhaite qu’il ait une réaction du pouvoir. Toutes les guerres se terminent avec des négociations et des accords. Les gens se sont battus par des avions et des missiles et ont fini par trouver un terrain d’entente et de dialogue. Je ne suis l’ennemie de personne. J’ai des droits que je réclame. Et, je persiste à les avoir. Mon journal n’est pas mauvais. Nous avons une ligne éditoriale patriotique. Mon problème est que j’écris et je critique. Cela ne plait pas à beaucoup de monde. Mais, je peux vous assurer que je vais continuer à écrire et à critiquer. J’ai fondé un journal pour exprimer mon opinion et pour écrire. Je ne peux pas défendre ceux qui ont subi des injustices en Algérie et dans le monde et se taire lorsqu’il faut sauver mon entreprise et l’équipe qui travaille avec moi. Le monde commence chez soi. Celui qui ne peut pas se défendre, ne peut pas aller loin.
Avez-vous envisagé l’après-grève de la faim ?
S’il n’y a pas de résultat à cette action, je ne vais pas le regretter. Je n’ai commis aucune erreur et je n’étais injuste avec personne. J’ai été injuste avec moi-même peut être. J’essaie toujours d’être cette voix qui défend les droits.