Dans cet entretien accordé à TSA et El Khabar, la Première ministre française Elisabeth Borne s’exprime sur sa visite ce dimanche 9 octobre en Algérie, la question des visas, le gaz, la mémoire, le Mali…
Votre prochain déplacement en Algérie survient moins de deux mois seulement après la visite du président Emmanuel Macron alors que la France et l’Algérie ont décidé d’inaugurer une nouvelle ère de leurs relations. Pouvez-vous nous dire quels seront les principaux dossiers qui seront discutés lors de cette visite ?
Au-delà de la dimension institutionnelle, c’est un moment important pour un responsable politique français que de se rendre en Algérie.
Je m’y rends accompagnée d’une délégation ministérielle d’une ampleur sans précédent, avec quasiment la moitié des membres du Gouvernement à mes côtés, dans le cadre de la Déclaration d’Alger du 27 août dernier.
Dans ce texte important, la France et l’Algérie se sont engagées à renouer un partenariat d’exception. Avec cette déclaration conjointe, nous renforçons le niveau de coopération à tous les niveaux : politique, administratif, technique. En nous réunissant à Alger, nos gouvernements poursuivent la dynamique initiée par les deux Présidents.
Ce cinquième Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN), que nous réunissons 40 jours après la visite du président Macron, illustre, par la grande diversité des sujets traités, le dynamisme, la richesse et la densité de notre coopération, et l’ampleur des bénéfices mutuels que nous pouvons retirer d’une relation plus étroite.
Nous allons vers une fréquence beaucoup plus élevée des contacts et des échanges. Cette visite démontre notre volonté conjointe de créer les conditions d’un partenariat durable et stable qui profitera en particulier aux jeunesses de nos deux pays. C’est un partenariat résolument tourné vers l’avenir.
La déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé, avec ses six piliers, est et sera le fondement de nos échanges à venir, et nous nous emploierons à la mettre en œuvre le plus concrètement et efficacement possible.
Parmi les dossiers que nous aborderons figurent, notamment, l’éducation, la culture, la transition écologique et l’économie : une plus grande coopération sera source de croissance pour nos deux pays.
Nous allons à ce titre ouvrir avec le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane un Forum d’Affaires bilatéral qui réunira sur deux jours de nombreuses entreprises françaises et algériennes. Je suis convaincue que ces sujets sont au cœur des attentes de nos deux pays.
Toute l’Europe redoute une crise énergétique aiguë l’hiver prochain. Qu’attend la France de l’Algérie en termes d’augmentation des livraisons de gaz ? Des médias français ont fait état de la disponibilité de l’Algérie à doubler ses livraisons à la France. Vous confirmez ?
La France et l’Europe traversent une crise énergétique, liée aux conséquences de la guerre en Ukraine. Très tôt, la France a diversifié ses sources d’approvisionnement en énergie, notamment en gaz, accéléré le développement des énergies renouvelables et mis en place un plan de sobriété énergétique, que nous venons de présenter.
Il faut rappeler que le gaz ne représente que 20% du mix énergétique français. La France dépend donc moins des importations en gaz que d’autres pays européens. Dans cet ensemble, l’Algérie représente environ 8 à 9 % du total de nos importations en gaz.
Nous souhaitons néanmoins continuer à développer notre partenariat dans ce secteur avec l’Algérie, notamment en matière de GNL, et pour accroître l’efficience de ses capacités de production gazière, ce qui permettra d’accroitre d’autant ses capacités d’exportation vers l’Europe.
« Le temps de l’incompréhension est derrière nous »
En parallèle et à plus long terme, nous voulons nouer avec elle un partenariat industriel et de recherche pour limiter les émissions d’énergies fossiles et investir dans les énergies renouvelables, notamment, le solaire, qui est de toute évidence une ressource d’avenir majeure pour l’Algérie.
Par ailleurs, nous souhaitons aussi développer d’autres partenariats économiques, comme sur les matériaux et les terres rares, dans une perspective de coopération entre nos deux pays. Ici encore, le chemin existe pour des échanges solides et bénéfiques pour l’Algérie comme pour la France.
La décision des autorités françaises de réduire « drastiquement » le nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays maghrébins, dont l’Algérie, a durement affecté les relations bilatérales entre les deux pays. La dernière visite de M. Macron a-t-elle ouvert une perspective de dénouement positif pour ce dossier sensible ?
Délivrer un visa est un acte de souveraineté. Nous souhaitons clarifier notre approche commune de l’immigration pour être plus constructifs et mettre en avant la mobilité choisie des étudiants, des entrepreneurs, des responsables politiques, des chercheurs, des acteurs culturels et sportifs, en étant aussi plus rigoureux dans la lutte contre l’immigration clandestine.
Nous dialoguons avec les autorités algériennes pour faire en sorte que notre coopération en matière migratoire soit plus fluide et plus efficace, car le renforcement des mobilités légales et le découragement des mobilités illégales ne peut qu’être un intérêt partagé.
« 85.000 visas délivrés au 31 août »
Contrairement à ce qu’on entend souvent, la France n’a pas cessé de délivrer de visas aux Algériens, puisque plus de 85 000 visas ont été délivrés cette année au 31 août, alors que les conditions de circulation étaient encore contraintes par la crise sanitaire.
Le nombre de visas d’étudiant délivrés n’a cessé d’augmenter, même pendant la période de fermeture des frontières générée par la pandémie, passant de 5 288 en 2019 à 7 717 en 2021, soit une hausse de 45%.
A la fin du mois d’août 2022, nous avions déjà délivré plus de 5 000 visas à des étudiants. Les étudiants algériens sont plus de 29 000 en France, c’est 8 % du total des étudiants étrangers : l’Algérie est deuxième en nombre d’étudiants en France, devant la Chine, l’Inde et l’Italie qui représente le premier contingent européen.
L’axe Alger Paris peine à sortir des relations passionnelles, avec comme point de discorde les questions de mémoire de l’ère coloniale. Ces questions demeurent déterminantes pour toute normalisation, la France est-elle prête à ouvrir une nouvelle page tout en tenant compte des attentes de la partie algérienne ?
Je pense que le temps de l’incompréhension est derrière nous. La visite, fin août, du Président Macron a été un moment refondateur de la relation bilatérale, basée sur le respect mutuel.
Aujourd’hui, notre démarche consiste à regarder les faits historiques en face, avec humilité et lucidité.
Cet engagement est au cœur de la relation bilatérale, comme l’atteste la décision conjointe des Présidents Macron et Tebboune de mettre en place une commission d’historiens afin de trouver, ensemble, des points d’accord à partir desquels les mémoires pourront se construire de façon apaisée.
Ce travail, destiné à regarder les réalités de notre histoire commune, a vocation à constituer un espace de reconnaissance mutuelle. C’est la condition même du développement de nos futures relations.
Par ailleurs, nous allons désormais nous appuyer sur un cadre de dialogue structuré pour assurer un suivi des actions engagées, avec des rendez-vous périodiques et des échéances. Cette nouvelle approche a été adoptée d’un commun accord par le Président de la République et son homologue le Président Tebboune en août dernier et elle doit guider nos actions aujourd’hui.
Comme l’a montré la composition de la délégation qui l’a accompagné à Alger, Emmanuel Macron compte beaucoup sur la diaspora algérienne pour servir de pont avec l’Algérie. Qu’est-ce qu’une telle vision pourrait apporter en termes d’intégration et d’épanouissement à cette communauté ?
Le Président Macron a ce souci de valoriser les diasporas en France, dont il rappelle à chaque fois les richesses et les apports, mais aussi la capacité à jeter des ponts entre nos deux cultures et nos deux pays.
Les diasporas ont un rôle clé à jouer dans tous les domaines, et notamment sur les plans économique et culturel. Je pense notamment aux échanges qu’ont eus les deux ministres de la Culture lors de la visite du Président Macron et qui ont donné lieu à des initiatives concrètes, par exemple dans le domaine du cinéma, où nous allons renforcer notre coopération en matière de création et de production.
Par ailleurs, le Président Macron a annoncé, en février dernier, à Marseille, à l’occasion du Forum des Mondes Méditerranéens, la création d’un fonds spécifique de soutien doté de 100 millions d’euros.
Ce fonds a justement été conçu pour accompagner en particulier nos diasporas sur les projets qu’elles auront à conduire dans ces secteurs et pour pouvoir aller beaucoup plus loin.
La France a affiché son soutien par le biais du président Emanuel Macron, au plan de paix au Mali, initié par Alger, alors qu’on perçoit une crispation dans les relations entre Paris et Bamako, avec comme point d’orgue le retrait des troupes françaises participant à l’opération Barkhane. Est-ce que Paris est en train d’opérer un changement d’approche vis-à-vis de la question malienne en convergence avec l’approche Algérienne ?
L’Algérie joue un rôle primordial, géographiquement et politiquement, dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité du Sahel.
Au Mali, les troupes françaises se sont battues contre les mouvements terroristes à la demande des autorités maliennes.
Leur intervention a permis de neutraliser la plupart des hauts cadres de la hiérarchie des groupes terroristes maliens.
Notre manœuvre de désengagement militaire du Mali est arrivée à son terme mais le soutien de la France aux pays du Sahel ne peut être réduit à sa seule présence militaire.
Nos efforts diplomatiques pour ramener la paix et la sécurité dans la région, en partenariat étroit avec l’Algérie n’ont jamais cessé, tout comme notre soutien au développement économique du Sahel.
La mise en place du format inédit de Zeralda, réunissant, pour la première fois, les responsables de la défense et de la sécurité de la France et de l’Algérie, est une première étape qui répond à l’ambition d’élever encore notre niveau de coordination.
Au Mali, nous continuerons à soutenir la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation du Mali, dont la France et l’Algérie sont toutes deux signataires.