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Entretien avec Slimane Benaissa, membre de l’Instance de dialogue

Entretien avec Slimane Benaissa, membre de l’Instance de dialogue

Depuis samedi dernier, Slimane Benaissa fait partie de l’instance de dialogue et de médiation coordonnée par Karim Younes. L’annonce de la présence du célèbre homme de théâtre a suscité l’étonnement. Dans cet entretien, il explique sa vision des choses.

Vous avez accepté de faire partie de l’Instance de dialogue. Pourquoi ?

C’est l’idée même de dialoguer et d’essayer de contribuer à trouver une solution à la crise qui m’ont poussé à prendre une telle décision. Nous sommes un relais, un trait d’union, entre le hirak, qui représente la voix du peuple, et le pouvoir pour essayer de trouver une solution tout en préservant la paix dans le pays.

L’autre point qui m’a motivé concerne la crainte d’une rupture avec la Constitution. Il est vrai que la Constitution a déjà été bafouée mais nous devons nous attacher à ce qui reste dans le texte pour qu’il y ait une continuité.

Pendant 20 ans, le régime Bouteflika a introduit une gouvernance, avec des pratiques qui lui sont propres qui se sont malheureusement généralisées partout à travers le pays. C’est ce que nous devons enrayer en priorité pour essayer de repartir sur de bonnes bases.

Le Hirak est sorti, dès le départ, avec l’idée de silmiya, la paix. Il a même prétendu au Prix Nobel de la paix. Moi, j’espère qu’il sera guidé par cet idéal, celui de la paix, jusqu’au bout. C’est-à-dire jusqu’à l’élection du nouveau président de la République qui se chargera de tout modifier, y compris la Constitution qui, j’espère sera, soumise à un référendum populaire.

Le Panel est critiqué lors des marches du vendredi et du mardi. Cela a été le cas hier où des étudiants ont manifesté devant votre siège à Alger. Certains vous accusent de servir la feuille de route du pouvoir. Que répondez-vous ?

Il y a au moins trois propositions de sortie de crise qui ont été émises par les différents courants politiques et de la société civile. Certains proposent d’aller vers une période de transition. Or, cette idée de transition est catastrophique de mon point de vue. Dans nos pays, qui sont très fragiles sur le plan politique et sur le plan institutionnel, effacer tout pour recommencer à zéro est un processus qui prendrait 20 ans. Les exemples autour de nous sont nombreux : la Libye, le Soudan… On ira vers des situations conflictuelles, difficiles à gérer qui pourraient produire l’éclatement de tout.

Dans le Hirak, certains sont favorables à la transition et c’est pour cette raison qu’ils rejettent l’initiative du Panel. Mais ils ne représentent pas tout le Hirak.

Le peuple algérien a été uni dans cette démarche de Hirak autour de deux choses essentielles : arrêter le 5e mandat et le caractère pacifique de la révolte. Mais quand je manifeste dans la rue, je ne partage pas forcément les mêmes opinions que ceux qui marchent à mes côtés.

Hier mardi, les étudiants ont exprimé leur opposition à notre démarche. C’est leur droit. Les opinions s’expriment et c’est tout à fait normal. La démocratie, c’est accepter nos désaccords et laisser tout le monde s’exprimer. Le dialogue est ouvert. Nous devons nous écouter mutuellement et essayer d’avancer.

Ne craignez-vous pas d’être accusé un jour d’avoir aidé le pouvoir à faire passer sa feuille de route ?

À mon âge, j’ai eu des centaines de fois l’occasion de faire mon beurre en aidant le gouvernement. Je ne l’ai pas fait. Aujourd’hui, je suis ici, en tant que volontaire et gratuitement. Personne ne m’a obligé à le faire. Je suis ici pour défendre un point de vue et être utile dans la recherche d’une solution à la crise. Mes idées sont connues. Je n’ai rien à vendre.

Maintenant que certains m’accusent, cela fait partie de la règle du jeu. Quand on choisit de s’exposer, on prend le risque d’être critiqué.

Avez-vous des échanges avec d’autres cinéastes et intellectuels algériens autour de la crise ?

Malheureusement, les intellectuels algériens vivent dans une grande solitude. Nous sommes des solitaires. Les échanges sur les questions politiques sont très rares. C’est ce qui empêche l’émergence d’une société civile plus structurée et plus solide.

On nous a toujours mis les uns contre les autres : arabophones contre francophones, droite contre gauche… Les éléments de division ont fonctionné beaucoup plus avec les intellectuels qu’avec le peuple.

Vous sortez manifester, les vendredis ?

Je suis sorti, bien sûr.

Vous continuez à le faire ?

Quand je suis là, oui, je le fais.

L’Instance a réclamé des mesures d’apaisement. Quel est votre position par rapport à cette répression, à ces arrestations de détenteurs de drapeaux berbère par exemple ?

Je suis contre l’emprisonnement de ces personnes. Le drapeau amazigh est un symbole connu. L’Algérie est une, avec sa pluralité culturelle, régionale. Moi-même je suis amazigh. Je suis contre le séparatisme que je combats. Donc, il ne faut trop mélanger les choses. Je ne suis pas d’accord également avec les autres détentions politiques.

Certains membres de l’Instance sont des personnes controversées à cause de leurs déclarations ou de leur passé. Comment gérez-vous votre présence dans ce groupe ?

Si on se pose trop de questions, on ne pourra rien faire. Je suis un homme de théâtre. Au début, quand je commence à écrire, j’ignore où je vais aboutir, quelle qualité d’acteurs je vais avoir, etc. Je dois gérer beaucoup d’inconnues. Si je commence à les voir négativement, je ne ferais pas la pièce. C’est du pas à pas, au jour le jour.

Il se pourrait que je me retrouve en contradiction avec ce qui se passe dans l’instance et j’aurais le droit de partir à ce moment-là. Mais je saurai pourquoi je suis parti.

Des gens issus de plusieurs catégories sont parmi nous. Certains viennent peut-être avec l’ambition de gagner quelque chose. C’est la mentalité que nous héritons de l’ex-pouvoir. Donc, il y a des gens ici qui n’ont rien à voir avec moi. Mais, moi, je sais pourquoi je suis ici.

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