Vous avez participé à la marche du 28e vendredi à Alger. Qu’avez-vous constaté ?
Louisa Ait Hamadouche, politologue : ce 28e vendredi correspond à ce que les manifestants appellent le dernier vendredi de la permanence. Le soulèvement a survécu au ramadan, à l’été, aux fêtes de l’Aïd , aux vacances, à la canicule… Il a aussi contourné les pressions des forces de l’ordre omniprésentes, des barrages bloquants , des arrestations…
Ce 28e vendredi est donc un bon symbole. D’un point de vue du fond, les revendications restent ancrées sur la même tendance. En effet le chef d’état-major est directement et nommément interpellé. C’est à lui que s’adressent des milliers de marcheurs ce qui fait de lui l’interlocuteur essentiel du soulèvement. En gros, les slogans restent sensiblement les mêmes : un état civil, un dialogue précédé de mesures de confiance et d’apaisement, la libération des détenus d’opinion…
Ce vendredi, comme les précédents, montre la capacité des Algériens à occuper l’espace public et à alimenter les débats politiques de façon civilisée et citoyenne. Ce qui est de bonne augure pour l’avenir.
La mobilisation va-t-elle revenir en force avec la rentrée sociale ?
Cette rentrée sociale est capitale pour tous les protagonistes. Pour les gouvernants, la mission consistera à mettre en place les instruments de l’élection présidentielle qu’ils veulent “la plus rapide possible” . Cela implique en gros la révision de la loi électorale et la mise en place d’une instance pour gérer l’élection. Pour le soulèvement populaire, le défi sera de continuer la mobilisation citoyenne, nationale et pacifique, afin d’exprimer son refus de participer à un scrutin qui n’offre pas de garanties de transparence et d’équité. Parallèlement à cette mobilisation bihebdomadaire, la structuration du soulèvement et l’émergence de représentations sont également des défis à relever. Enfin, les forces politiques et sociales organisées ont, elles aussi, une rentrée à gérer. Je crois que la priorité, pour certaines d’entre elles, est de consolider leur rôle au sein du hirak à travers des actions de mobilisation citoyennes. Les partis politiques sont quant à eux appelés à accélérer leur ouverture sur la société afin d’être en synergie avec le hirak. Ils ont besoin de renouveler leur légitimité et leur crédibilité en rejetant catégoriquement les anciennes règles du jeu politique et en s’inscrivant dans la lutte commune pour l’émergence d’un système régi par de vraies règles démocratiques.
Le pouvoir doit-il ou va-t-il revoir ses plans ?
Les autorités politiques actuelles ne reverront leurs plans que si le rapport de forces sur le terrain les y poussent. Il semble évident que les initiatives tel que le panel de dialogue et de médiation, d’une part, et les messages du chef d’état major, d’autre part, suggèrent que le plan consiste à aller vers une élection présidentielle qui garantisse la perpétuation du système politique tout en concédant le changement de régime politique. Seules, la pression constante de la mobilisation populaire, adossée à l émergence de convergences entre les forces sociopolitiques, pourront pousser à l’ouverture de négociations qui répondent aux exigences légitimes du soulèvement populaire.