Politique

Entretien avec Lyes Merabet : « Ceux qui sont en précampagne portent préjudice au projet d’une plateforme consensuelle »

Lyes Merabet est le président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP).

Lors de la récente réunion des dynamiques de la société civile, vous avez proposé la création d’une commission de coordination et de suivi pour recueillir les propositions de sortie de crise et rapprocher les points de vue. Où en est le projet et quels sont ses membres ?

Les partis politiques que nous avons rencontrés lors de la dernière réunion de la société civile ont suggéré à l’unanimité de poursuivre le travail au nom de la commission (…), mais nous avons préféré l’élargir à un ou plusieurs représentants des partis, personnalités et autres élites. Nous n’avons pas fixé une liste de noms, mais nous avons œuvré à ce que la représentation soit participative. Et je pense que le comité de liaison constituera le noyau de cette commission de coordination, mais elle demeurera ouverte à toute personne dont elle jugera qu’elle peut apporter une contribution à nos efforts. Nous sommes actuellement en train d’étudier les diverses initiatives et de rassembler les points de convergence, notamment en ce qui concerne la protection des libertés publiques, les libertés individuelles et collectives, l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’ouverture de l’espace médiatique et la levée des entraves aux associations et aux syndicats.

Mais le pouvoir refuse de répondre favorablement à la mise en œuvre des mesures d’apaisement ?

Nous demeurons convaincus que la mise en œuvre de mesures d’apaisement reste l’unique moyen pour restaurer la confiance que nous recherchons tous et par le biais duquel nous pouvons élaborer des solutions pour sortir le pays de sa crise. Les dynamiques de la société civile ne cherchent pas à créer des crises. Elles veulent créer les instruments de leur règlement et dans lesquels elles seront partie prenante. Et cela à travers un travail pour aboutir à une solution consensuelle avec les personnes qui veulent construire et non pas détruire.

Redoutez-vous la réaction de l’armée face aux contradictions entre les diverses visions des parties sur la scène politique ?

Il y a des gens qui sont déjà en précampagne pour la présidentielle, et d’autres qui y voient une opportunité pour se repositionner dans l’arène en cherchant à imposer leur perception et leurs programmes politiques à travers la surenchère et la radicalité. Cela ne sert pas le compromis, nuit au projet de consensus national et provoque également des réactions au niveau institutionnel, y compris au niveau de l’institution militaire. L’image que renvoie ces positions donne l’impression négative que nous sommes incapables de trouver une solution et que les contradictions sont grandes.

Appuyez-vous l’option de l’armée qui appelle à accélérer l’organisation de l’élection présidentielle ?

Diverses parties estiment aujourd’hui que nous pouvons combiner les deux voies posées sur la scène : aller aux élections présidentielles en mettant en place des mécanismes qui obligent les candidats à procéder à de profondes réformes et à réorganiser les pouvoirs des institutions. Et nous, acteurs de la société civile, travaillons à ce niveau, c’est-à-dire œuvrer à réduire les points de divergences entre les deux propositions afin d’aboutir à une solution consensuelle qui suscitera l’adhésion des Algériens.

Nous constatons que lorsque nous travaillons à mettre en évidence les contradictions, nous nous éloignons de la recherche d’une solution de compromis. Par conséquent, nous voulons mettre l’accent sur les points communs, mais pour les divergences, comme l’approche, les mécanismes et le processus électoral, ils sont de fait reportés. Nous partons du principe que tout le monde cherche une solution à la crise et que personne ne détient une marque déposée de patriotisme ou d’intelligence politique.

La présence de divers acteurs et parties à la réunion de consultation de la société civile organisée la semaine dernière témoigne de leur volonté de contribuer à la recherche de solutions. Il y a une disponibilité et une prise de conscience que la situation actuelle n’est liée ni à un parti, ni à une tendance politique, ni à une idéologie, mais c’est une question qui concerne tous les Algériens.

La priorité est qu’on s’entende sur une voie qui nous conduise à une nouvelle étape garantissant les droits et libertés, sans exclusive. Si les Algériens ne croient pas en votre processus et n’y adhérent pas, cela ne servira à rien. Pis, cela peut compliquer la situation. Que nous parvenions à annoncer la tenue des élections, sans fournir les conditions qui encourageront la désaffection, c’est ce que nous redoutons.

Au cours de la réunion, de nombreuses parties ont insisté sur le fait de demander des garanties quant à l’issue du dialogue, mais le régime ne reconnaît que le dialogue dirigé par le panel conduit par Karim Younes. Quelle est la solution ?

On dialogue avec ceux avec lesquels on est en désaccord. Dialoguer avec les personnes avec lesquelles on est d’accord revient à faire un monologue.

Un dialogue constructif consiste à parler à ceux dont nous ne sommes pas d’accord. Si les institutions, les personnalités, les élites et le panel s’accordent sur le fait que nous existons au profit du peuple et de l’Algérie, qui les pousseraient alors à fermer la porte du dialogue ? Quelle image veut-on délivrer à l’intérieur et à l’extérieur en empêchant l’exercice politique et les autorisations pour les réunions et les rassemblements ? Si nous voulons un dialogue constructif, inclusif, responsable et souverain, ce ne sera qu’avec la participation de toutes les parties comprenant un représentant de l’armée.

Pourquoi l’armée ne ferait-elle pas partie du dialogue ? Nous pensons que les garanties émanent d’elle directement ou de ses représentants compte tenu qu’elle est un acteur essentiel sur la scène.

Il y a ceux qui vous accusent de rivaliser le panel à travers votre proposition de la tenue d’une conférence rassembleuse. Votre commentaire ?

On était les premiers à avoir formulé la proposition et nous avons des preuves. Revenons à l’initiative du 15 juin, puisque le nom de Karim Younis n’était pas encore apparu sur la scène. Nous avions formulé des recommandations pour organiser une conférence nationale à laquelle participeraient tous les partis politiques, personnalités politiques, élites et acteurs du mouvement. Nous sommes avec cette approche depuis le 15 juin et avant. Nous ne sommes pas dans le même contexte que celui du panel et nous n’avons aucune intention pour le faire. Nous sommes ici pour trouver une issue à la crise avec toutes les parties. Nous l’avions dit dès le début : nous ne sommes pas seuls dans ce processus car nous estimons que la solution est l’œuvre de tous.

Le travail des dynamiques de société civile peut-il être couronné par un candidat consensuel à la présidentielle ?

Certains ont suggéré cela, mais nous n’avons pas encore atteint cette étape. Si nous réussissons dans ce travail et si nous parvenons à une plate-forme consensuelle, nous pourrons présenter un candidat consensuel au nom de cet espace qui va s’élargir, car nous n’avons pas dit que nous sommes seuls dans l’arène. Une autre proposition importante concerne également la nomination des membres du prochain gouvernement. Et pourquoi pas ne pas nommer le nom du futur Premier ministre ? Nous n’allons pas attendre à ce qu’ils nous imposent de nouveaux noms sur lesquels nous ne sommes pas d’accord.

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