Politique

Entretien avec Maître Mostefa Bouchachi

Les défenseurs des droits de l’Homme et des partis de l’opposition font état de poursuites judiciaires et d’emprisonnements d’activistes du hirak depuis le début du confinement. Quelle est votre réaction ?

Il est regrettable de voir qu’en pleine pandémie du Covid-19 le système politique algérien procède à l’arrestation de dizaines d’activistes du Hirak, pour des écrits sur les réseaux sociaux. Certaines publications remontent à la période du Hirak. Lorsque le régime exploite la propagation de l’épidémie pour opérer des arrestations, cela nous conforte dans l’idée que l’intention du régime n’est pas pour l’ouverture sur les Algériens et n’est en rien une manière de répondre à leurs revendications pour plus de liberté et de démocratie. La réalité du terrain contredit les déclarations que le Hirak est « béni », que nous allons vers plus de démocratie et vers une nouvelle Algérie. À travers les poursuites des activistes se précise l’intention du régime qui ne veut aucun changement encore moins écouter le peuple ; le régime n’a pas l’intention d’aller vers la démocratie. Le régime croit à tort que ces poursuites et toutes ces arrestations vont faire reculer les militants de la démocratie et de la liberté. Cela n’arrivera pas et cette manière de traiter avec les activistes et surtout l’exploitation du contexte du confinement sanitaire ne fera qu’éloigner le régime davantage d’une réconciliation avec le peuple. Par ailleurs, ce genre de pratiques (arrestations) n’honorent pas l’Algérie, car les pays du monde entier sont occupées à sauver leurs peuples du Coronavirus. Par conséquent, il aurait été plus judicieux que les institutions de l’État s’occupent essentiellement de comment protéger les citoyens et ne pas se lancer dans ces poursuites durant cette période. Cette crise sanitaire aurait pu constituer une opportunité pour le système politique pour se réconcilier avec les Algériens, avec une plus grande ouverture sur leurs revendications. À contrario, le régime a opté pour des poursuites dont la plupart n’ont aucun fondement juridique. Cela confirme qu’il est antidémocratique, refuse tout changement et que pour lui les droits et les libertés des Algériens ne sont pas à prendre en considération. Ce qui l’importe c’est de se perpétuer.

Combien d’arrestations avez-vous pu recenser depuis le début du confinement sanitaire ?

Je pense que ce sont des dizaines et des dizaines de jeunes entre convoqués, poursuivis et mis sous mandat de dépôt. On en a recensé à Tébessa, Souk Ahras, Boussaâda, Sétif, Ain Témouchent, à Timimoune et à Alger… Il y a une politique sélective qui vise les plus actifs sur les réseaux sociaux dans le but de faire peur.

Beaucoup de pays ont libéré les détenus politiques dans le cadre des mesures de prévention contre le Covid-19. Les organisations et militants des droits de l’Homme déplorent que l’Algérie n’ait pas suivi le même chemin. Quel est votre avis ?

En tant qu’avocats et militants des droits de l’Homme nous avons toujours demandé la libération des détenus d’opinion, a fortiori durant cette période (de pandémie). Beaucoup de pays dans le monde ont libéré des détenus et pas seulement les détenus d’opinion afin de les protéger contre la contamination. C’est pourquoi, on s’attendait que les détenus d’opinion surtout ceux qui n’ont pas été condamnés, soient libérés. À Timimoune et à Sétif des jeunes ont été incarcérés pour des écrits sur Facebook pendant cette période d’épidémie. Encore une fois, mettre des gens en prison pour des écrits sur les réseaux sociaux donne une mauvaise image du pays. Et même s’il y a des délits qui ont été commis par des individus, on les laisse en liberté et pas en prison. Les mandats de dépôt contre ces jeunes ne sont pas motivés par les juges d’instruction. Ils n’ont pas besoin de les mettre en prison. C’est pour cela que je considère que c’est une politique générale du système qui refuse d’écouter les Algériens.

Qu’avez-vous relevé dans le projet de révision de la Constitution qui a été dévoilé jeudi par la Présidence de la République, particulièrement sur les chapitres des libertés publiques et la justice ?

J’ai des remarques sur la forme et dans le fond. Je considère que cette manière d’élaborer la Constitution est antidémocratique à l’instar de ce qui s’est fait depuis les années 60’ jusqu’à aujourd’hui. Chaque président se confectionne sur mesure sa propre Constitution. De toutes les Constitutions que nous avons connues, aucune n’a été celle des Algériens et des Algériennes. Par conséquent, je refuse que le président désigne une commission qui est chargée d’élaborer la mouture de la Constitution. Ce travail doit être réalisé par une assemblée élue (Assemblée constituante ou un Parlement crédible) qui représente les Algériens. Une Constitution est un contrat entre les Algériens, c’est la loi suprême qui se doit d’être préservée pendant très longtemps. Aussi toujours sur la forme, on ne débat pas d’un texte constitutionnel dans le contexte de confinement sanitaire, durant lequel les gens ne se rencontrent pas. C’est une forme de fuite en avant. Enfin, je pense que les militants pour une Algérie libre et démocratique ont le sentiment qu’ils ne sont pas concernés par cette mouture.

Ceci sur la forme, et dans le fond ?

Dans le fond, ce texte préliminaire de la Constitution donne toutes les prérogatives larges au président de la République, à l’instar de la Constitution de 2016 de Bouteflika et même les Constitutions qui l’ont précédé. C’est pourquoi je suis surpris de constater que le président de la République nomme un chef de gouvernement à sa guise et non pas au sein du parti qui remporte les élections (majorité parlementaire). C’est l’un des grands points qui démontre que le président n’a aucun lien avec l’orientation démocratique qu’il proclame. Dans d’autres pays, c’est le parti qui remporte les élections qui compose le gouvernement. Aussi, dans le texte présenté on constate que le président a tout le pouvoir de désignation, aussi bien au sein des appareils civils et militaires et même au sein des organismes de contrôle. Le président peut dissoudre le Parlement comme bon lui semble. Malgré toutes ces attributions qu’il s’est données dans cette mouture, le président n’est pas responsable ni sur le plan politique ni sur le plan judiciaire. Ce n’est pas une Constitution d’un pays démocratique.

La mouture fait sauter le ministre de la Justice et son représentant du Conseil supérieur de la magistrature, tout en maintenant sa présidence par le président de la République. Quel est votre commentaire ?

Il ne peut y avoir une autorité judiciaire indépendante dans un régime autoritaire. Parce que le pouvoir judiciaire pour un État non démocratique est plus un des moyens de répression qu’une institution qui veille sur les droits et les libertés. Dans cette mouture, rien n’a changé. Le président de la République est le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), c’est lui qui désigne les magistrats et nomme le président de la Cour suprême. Comment se peut-il que le premier responsable du pouvoir exécutif nomme les magistrats dans des postes de qualité (président de la Cour suprême, président du Conseil d’État) et après quoi on vient parler d’indépendance de l’autorité judiciaire. Même pour la Cour constitutionnelle qui est un organisme de contrôle de la constitutionnalité des lois, le président peut nommer quatre membres, les autres membres sont soit élus ou désignés par les deux chambres du Parlement (Sénat et APN). Même le président de la Cour des comptes qui veille sur les deniers publics est désigné par le président de la République. À mon avis cet avant-projet de Constitution ne consacre pas un régime démocratique et vise à perpétuer un régime non démocratique.

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