Marc Sédille a fait deux passages en Algérie en tant que consul général de France à Alger, de 2012 à 2015 (comme adjoint), puis de 2018 à 2022. Ce deuxième passage est la dernière mission de sa carrière puisqu’il part en retraite dans quelques semaines.
Le diplomate était en poste lorsque la France délivrait plus de 400 000 visas aux Algériens chaque année, et c’est encore lui qui a dû mettre en œuvre les restrictions drastiques décidées en 2021.
Avant de quitter l’Algérie et la diplomatie, il décortique à TSA cette évolution et la gestion des visas, parle de ses autres missions et évoque ce qui l’a le plus marqué pendant ses deux séjours à Alger.
TSA. Vous quittez l’Algérie après 7 ans cumulés au poste de consul général. On a cette impression que le consul de France à Alger est une personne occupée seulement à délivrer ou refuser des visas…
Marc Sédille. Ça, c’est la vision qu’aurait peut-être quelqu’un comme le caricaturiste Dilem, qui représente souvent le consulat avec le tampon du visa.
Là, on est précisément dans la caricature, je trouve ça très amusant, j’apprécie beaucoup l’humour de Dilem, mais ce n’est pas la réalité.
La mission du Consul général de France à Alger n’est pas exclusivement de délivrer des visas.
La question des visas est évidemment très importante, c’est un sujet qui occupe beaucoup le Consul général, mais il n’y a pas que ça. Il y a surtout la communauté française en Algérie qui est un sujet essentiel pour nous, surtout ces dernières années.
Ce qui aura marqué mon deuxième séjour, c’est la crise sanitaire. En mars 2020, des milliers de personnes se sont retrouvées piégées en France, mais également en Algérie à cause de la fermeture subite des frontières.
Entre mars et juin 2020, on a transporté de l’Algérie vers la France 80.000 personnes, entre résidents en Algérie et ceux qui étaient de passage. Pour ceux qui sont restés, il a fallu les aider et les soutenir.
C’est dans ces moments de crise que l’on constate, effectivement, que la mission du Consul général de France à Alger, ce n’est pas seulement de délivrer ou refuser des visas.
La dimension humaine est très importante, elle englobe par exemple le sujet particulièrement douloureux des déplacements d’enfants que nous suivons en permanence avec attention.
Sur ce sujet, nous attendons la tenue de la Commission mixte sur les déplacements d’enfants à l’automne prochain pour discuter avec les autorités algériennes.
Enfin, la problématique de la prise en charge des soins pour les Algériens désireux de se faire soigner en France est également cruciale.
En 2016, rappelons qu’un accord a été signé entre les deux pays prévoyant que lorsqu’un Algérien ne peut pas se soigner en Algérie parce que l’offre de soins n’existe pas, il peut solliciter la Commission médicale nationale de la CNAS pour une prise en charge des soins en France.
« Le dialogue a repris de façon constructive »
Cette possibilité n’est à mon avis pas suffisamment utilisée alors qu’elle sécurise le patient et l’hôpital. Elle doit aussi permettre de résoudre le problème de la dette hospitalière, s’élevant à 40 millions d’euros pour le seul APHP.
TSA. Les visas ont dû moins vous occuper ces dernières années. En plus de la crise sanitaire, le gouvernement français a décidé de réduire drastiquement le nombre de visas à octroyer aux demandeurs maghrébins. La mesure a été appliquée ?
Marc Sédille. Oui, elle a été appliquée. Le gouvernement a communiqué sur cette décision, il a expliqué les raisons pour lesquelles elle a été prise, et les trois consulats en Algérie et les consulats en Tunisie et au Maroc l’ont mis en œuvre immédiatement.
Maintenant, si on doit aborder ce qui a motivé cette décision, soit la question des réadmissions des ressortissants algériens en situation irrégulière en France, on voit que le dialogue a repris de façon constructive.
Je pense qu’on est dans une phase d’apaisement et je suis optimiste pour l’avenir à partir du moment où les gens discutent à nouveau de façon sereine sur ce sujet.
Sa mise en œuvre a donné quoi en termes de chiffres ?
Les chiffres peuvent être tronqués à cause principalement de la crise sanitaire. En tout cas, c’est de l’ordre de 50% de refus.
En 2019, qui était la dernière année de référence, on était déjà à 40% de taux de refus. Cependant, il faut souligner que nous sommes dans une situation particulière de post-crise sanitaire, et donc de reprise progressive la délivrance de visas.
Au 31 décembre 2021, 61.000 visas ont été délivrés par les trois consulats, sachant que début 2021, les frontières étaient encore fermées. Sur les six premiers mois de 2022, on a déjà délivré 64.000 visas.
TSA. Mais la tendance baissière est antérieure à la crise sanitaire et la décision du gouvernement français…
Marc Sédille. En 2019, 272.000 visas ont été délivrés, 340.000 en 2018 et autour de 400.000 en 2017. Cela montre effectivement que les mesures de rigueur en matière de délivrance des visas remontent à plusieurs années, c’est une réalité.
Maintenant, sur l’interprétation des chiffres entre 2020 et 2022, j’incite à la prudence parce que, encore une fois, il y a la crise sanitaire et la fermeture des frontières.
« Les étudiants algériens sont un sujet important pour nous »
D’ailleurs, aujourd’hui encore on n’est pas à 100% des vols comme avant la crise. Le service des visas à Alger fonctionne aussi à 70 ou 80% de ses capacités. Je ne peux pas vous dire à combien on sera d’ici la fin de l’année.
TSA. Et qu’en est-il des visas d’études ?
Marc Sédille. Les étudiants algériens sont un sujet important pour nous. Même pendant la crise sanitaire, on a continué à délivrer des visas pour les étudiants.
« Pour l’Algérie, la France représente à peu près 70% des visas Schengen »
En 2019, les trois consulats ont délivré 5300 visas d’études. En 2020, malgré la crise sanitaire et la fermeture des frontières, 6000 visas d’études ont été délivrés, puis 7500 en 2021. Cette année, au 30 juin, on a délivré 2000 visas d’études, sachant que juillet et août sont les mois les plus importants dans ce registre.
TSA. Ça s’apparente à de l’immigration choisie ?
On ne pratique pas d’immigration choisie. La preuve, les visas d’établissement qui sont délivrés concernent essentiellement les visas d’immigration familiale. On ne cible pas de profils.
TSA. La France arrive-t-elle à concilier les exigences de la politique migratoire commune et l’importance de la dimension humaine de sa relation avec l’Algérie ?
Marc Sédille. La délivrance des visas Schengen, c’est en effet une politique qui est décidée en commun par les pays de l’espace Schengen.
Pour l’Algérie, la France représente à peu près 70% des visas Schengen délivrés aux citoyens algériens, suivie de l’Espagne avec 20%. Si nous délivrons autant de visas aux Algériens, c’est bien parce qu’il y a cette dimension humaine, cette relation particulière entre la France et l’Algérie.
La présence d’une forte communauté algérienne en France fait qu’il y a cette mobilité très intense entre les deux pays.
Le nombre de visas que nous délivrons pour des visites familiales est très important.
TSA. Outre les visites familiales, quelles sont les autres catégories priorisées ?
Marc Sédille. Toutes les demandes sont étudiées avec attention. Mais les dossiers auxquels on va attacher un intérêt particulier, sont ceux des gens qui concourent à la vitalité de la relation bilatérale.
Les visas à caractère familial sont importants, mais aussi tous les visas à caractère professionnel.
Le consulat de France à Alger a signé plus de 180 partenariats avec des entreprises privées algériennes, des institutions, des ministères, des organisations patronales.
D’ailleurs nous allons recevoir prochainement le CREA (Conseil du renouveau économique algérien, ndlr) pour discuter de la mobilité des hommes d’affaires algériens. C’est un sujet très important, il faut favoriser cette mobilité.
TSA. La question des visas et de la mobilité influe-t-elle sur la relation politique ?
Marc Sédille. La délivrance des visas touche à la mobilité des personnes. Et quand on parle de mobilité des personnes, on parle de la dimension humaine qui, elle, est éminemment politique.
TSA. L’Algérie et la France divergent sur les réadmissions. Où en sont les discussions sur la question ?
Marc Sédille. Il faut savoir que cette question des réadmissions, ce n’est pas un sujet que je traite.
Cela relève du ministère de l’Intérieur et des préfectures en liaison avec l’ambassade et les consulats d’Algérie en France.
J’ai lu comme vous les déclarations du ministre de l’Intérieur (Gérald Darmanin, NDR) qui faisait état de progrès sur la question des réadmissions avec l’Algérie, la Tunisie et le Maroc.
Un dialogue opérationnel est en cours et les choses s’améliorent. Nous sommes dans une phase d’amélioration et c’est tant mieux.
TSA. Les réadmissions ne relèvent pas des consulats, mais ces derniers ne sont-ils pas quelque part responsables de la situation en délivrant des visas à des futurs illégaux ?
Marc Sédille. Comme je l’ai dit précédemment les mesures de réadmission concernent les Algériens qui sont en situation irrégulière en France.
Alors, effectivement, certains ont eu un visas, mais pas tous. D’autres sont des Haraga. On n’a pas de chiffres là-dessus, le propre d’un clandestin c’est évidemment qu’il ne se fait pas connaître.
En tout cas, ce sont ceux qui sont entrés illégalement qui posent problème, puisqu’ils n’ont pas de passeport et c’est donc pour eux que les consulats algériens doivent délivrer un laissez-passer consulaire afin de les reconduire
En étudiant un dossier de visa, on évalue le risque que quelqu’un se maintienne illégalement sur le territoire français à l’issue de son séjour ou qu’il ne soit pas en capacité de le financer.
« Nous allons vers la dématérialisation et la numérisation des procédures. »
L’évaluation d’un risque est une activité éminemment humaine dans laquelle il y a une part de subjectivité et qui est, par définition, faillible.
Bien sûr qu’on peut se tromper en refusant un visa mais aussi en le délivrant. J’ai plutôt tendance à croire qu’on ne se trompe pas trop souvent.
TSA. Votre expérience en Algérie devra être très précieuse pour le gouvernement français en matière de gestion des visas. Vous conseillerez quoi ?
Marc Sédille. Les consuls généraux ne décident pas des politiques à mettre en œuvre, ils les appliquent. Mais ce que je peux dire, c’est qu’en matière de traitement des visas, il y aura à l’avenir des évolutions majeures.
Nous allons vers la dématérialisation et la numérisation des procédures. Ce n’est pas être devin que d’imaginer, par exemple, la disparition de la vignette du visa. Nous allons vers quelque chose qui va simplifier la démarche.
Aujourd’hui, les intermédiaires sont un problème. Il faut dire que, parfois, ces intermédiaires font des choses contestables. La fraude apparaît souvent lorsque l’intermédiaire intervient.
Ces gens ne rendent pas service à ceux qui les sollicitent. J’invite les demandeurs de visa à ne pas faire appel aux intermédiaires, parce que ce n’est pas l’intermédiaire qui va être mis en cause lorsqu’on va détecter le faux. C’est le demandeur qui va subir les conséquences.
TSA. Où en est le projet des « Jeunes actifs » devant permettre des séjours réciproques de jeunes professionnels ?
Marc Sédille. Il s’agit d’un accord important. Tout ce qui a trait à la jeunesse est un sujet important. Cet accord permet à des jeunes professionnels algériens d’aller passer 6 à 18 mois en France dans des entreprises pour acquérir une expérience et revenir ensuite pour la valoriser en Algérie.
Il permet aussi aux jeunes français d’acquérir une expérience à l’international. C’est un accord qui prévoit le retour. Un accord gagnant-gagnant qui permet justement la mobilité entre les deux pays. Il a été signé en 2016 mais malheureusement, il n’est pas encore mis en œuvre.
Les discussions sur les modalités de sa mise en œuvre ont été interrompues par la crise sanitaire, j’espère que maintenant elles vont reprendre et que ça sera réglé avant la fin de l’année.
TSA. Les Français rencontrent-ils la même difficulté pour obtenir le visa d’entrée en Algérie ?
Marc Sédille. Ce que je sais de ceux qui viennent travailler ici, c’est que les démarches administratives sont lourdes et complexes.
Je pense qu’un dialogue doit être mené avec les autorités algériennes à ce sujet. Je comprends que l’on veuille aborder la question de la mobilité des Algériens vers la France, mais n’oublions pas, celle des Français vers l’Algérie.
« Il s’agit d’un classement administratif »
D’ailleurs, à ce sujet, nous pourrions évoquer la façon dont l’Algérie est perçue par ces Français, et notamment les hommes d’affaires.
Il y a eu une évolution positive, comme l’atteste la page de conseils donnés aux voyageurs sur le site du ministère des Affaires Etrangères.
Il y a quelque temps, l’Algérie était classée comme une zone « rouge », dangereuse. Mais ces dernières années, nous avons pris en considération l’évolution de la situation et nous tendons vers une normalisation, la zone écarlate a disparu. Nous incitons par ce biais les hommes d’affaire à venir en Algérie.
Enfin, certains ont relevé qu’un décret avait placé l’Algérie dans les pays de « catégorie A », c’est-à-dire « zone à risques ».
Il s’agit d’un classement administratif qui concerne spécifiquement les conditions de vie des diplomates français, dont le quotidien en Algérie est marqué par des contraintes, telle que l’impossibilité de sortir de la wilaya d’Alger sans autorisation et sans escortes. A titre de comparaison, les diplomates algériens en poste en France ne sont assujettis à aucune contrainte.
TSA. Le problème des biens de certains Pieds noirs se pose toujours ?
Marc Sédille. La communauté française en Algérie est composée essentiellement de gens qui vivent en Algérie depuis leur naissance, des franco-algériens.
Mais il y a aussi de vieux Pieds noirs qui n’ont jamais quitté l’Algérie. Certains d’entre eux ont des problèmes avec leurs biens immobiliers. Il n’en reste pas beaucoup, mais leurs héritiers ont des difficultés pour faire reconnaître la propriété des biens.
Il faut avoir à l’esprit que ces personnes ont fait le choix de rester en Algérie à l’indépendance et pendant les années noires du terrorisme.
Des discussions ont eu lieu avec les autorités algériennes pour essayer de résoudre un certain nombre de cas. Tout ça s’est arrêté avec la crise sanitaire, mais elles vont reprendre. Le droit de propriété est protégé par la Constitution algérienne.
TSA. Si vous deviez résumer vos 7 années passées en Algérie ?
Marc Sédille. Il m’est arrivé de dire à un collègue que pour être consul général en Algérie, il faut être marathonien et sprinter à la fois. Il faut trouver des solutions à des situations urgentes et en même temps travailler sur des échéances longues.
Si je dois tout résumer en un mot, je dirais malheureusement « frustration ». Frustration personnelle de ne pas avoir tout vu de l’Algérie. Il y a encore tellement à découvrir. Je pars et je ne connais pas suffisamment ce pays qui est d’une telle diversité.
Frustration professionnelle, parce que lorsque je suis revenu ici en 2018, j’avais plein de projets, je voulais régler plein de problèmes, mais la crise sanitaire en a décidé autrement. Je garderai en tout cas l’image d’un magnifique pays, avec des gens extrêmement chaleureux.