Monseigneur Paul Desfarges est archevêque d’Alger depuis décembre 2016. Installé en Algérie depuis les années 1970, il a eu la nationalité algérienne en 1982. Dans cet entretien, il revient sur les festivités de Noël et la vie de la communauté chrétienne en Algérie.
Ce dimanche, la communauté chrétienne d’Algérie fête Noël. Dans quelles conditions cette fête sera célébrée cette année ?
Dans le diocèse d’Alger dont j’ai la responsabilité, on va célébrer Noël comme on le fait habituellement. Pour nous, Noël est une grande fête. Mais en Algérie, nous sommes heureux d’une certaine manière d’être loin du consumérisme et de la fête commerciale qui s’est installée autour de Noël dans un certain nombre de pays, surtout en Europe. Ici, on vit cela plus dans l’intimité et la discrétion. Nous en sommes heureux.
Comment célèbre-t-on la fête de Noël en Algérie ?
D’abord, les familles des cadres et autres étrangers en Algérie célèbrent souvent cette fête avec leur famille en Europe ou ailleurs. Beaucoup d’autres comme les étudiants subsahariens et les migrants restent dans le pays. Dans plusieurs de nos paroisses, il y a une veillée de Noël. Moi-même, je serai à la paroisse de Bordj El Kiffan où il y a beaucoup de migrants. Le jour même de Noël, à 8h30, il y a une messe radiodiffusée. Nous sommes heureux qu’il nous soit possible de radiodiffuser une messe. Ensuite, il y aura un grand rassemblement de fidèles chrétiens, à 10h30, dans la cathédrale (du Sacré cœur d’Alger). Le soir-même de Noël à 18 heures, il y a une célébration à Notre dame d’Afrique.
Quel message comptez-vous délivrer lors de la messe ?
À la messe radiodiffusée, je ferai le lien entre le mystère de Noël et le message du Saint-Père pour la journée mondiale de la paix intitulé : Les migrants et les réfugiés : des hommes et des femmes en quête de paix. Je fais le lien parce que Noël est la venue d’un enfant (Jésus). Certains l’ont bien accueilli et d’autres ne l’ont pas bien accueilli.
Sont-ils mal accueillis en Algérie ?
Ce n’est pas facile. Je souhaite qu’un jour la situation de la migration soit mieux structurée. Mais je pense que c’est ce qui est en train de se faire. Pour l’instant, on a l’attitude du bon samaritain (vis-à-vis des migrants). C’est-à-dire que face à des situations de détresse, on accueille et on prend soin (de ces migrants). Nous ne sommes pas là dans la revendication. Nous sommes dans les gestes humanitaires indispensables devant des personnes en détresse.
Est-ce que la communauté chrétienne pratique sa religion sans aucune contrainte dans le pays ?
Pour ce qui est des catholiques, la grande majorité sont des étrangers. Ce sont des familles de cadres de sociétés (étrangères) qui travaillent en Algérie, des ouvriers sur des chantiers internationaux, des étudiants et des migrants. Ces derniers sont des étrangers et peuvent donc pratiquer normalement (leur religion). Ils sont dans la liberté. C’est plus délicat pour un certain nombre d’Algériens catholiques qui pratiquent (leur religion) dans la discrétion. Quelques-uns d’entre eux seront parmi nous à Noël.
Est-ce que cette discrétion n’est pas une contrainte ?
Pour les familles de ces hommes et ces femmes qui viennent de la tradition musulmane, c’est une épreuve voire une souffrance. Elles ont du mal à accepter que leurs enfants puissent prendre le chemin de Jésus. Pour certaines de ces familles, cela est incompréhensible et un peu dur.
Se sentent-ils menacés ?
Je ne crois pas qu’ils soient menacés physiquement. Mais certains rencontrent des problèmes parfois liés à des questions d’héritage. On profite de la situation pour les déshériter. Certains se retrouvent dans des situations dramatiques.
Aujourd’hui la communauté chrétienne en Algérie est composée de combien de personnes ?
Les protestants sont des milliers, surtout en Kabylie. (Au-delà des étrangers), les catholiques (algériens) sont entre cent et deux cents personnes. Durant la décennie noire, nombre d’entre eux sont partis.
Les lieux de culte existants sont-ils suffisants ?
Ils sont suffisants. À Bordj El Kiffan, on voudrait récupérer une église qu’on avait autrefois et qui, semble-t-il, n’est pas utilisée. Elle est en train de se délabrer. À Alger et ailleurs dans le pays, nous avons des espaces pour les catholiques.
Est-il facile de récupérer un lieu de culte ?
Non, et puis ça peut se comprendre. Certains sont utilisés pour autre chose. Et puis, il n’est pas question pour nous de récupérer des lieux de culte. À Bordj El Kiffan, on voudrait récupérer l’église parce qu’on a une communauté qui grandit avec les étudiants et les migrants. On a une chapelle qui est devenue trop étroite.
En 2016, vous avez exprimé vos préoccupations concernant l’obtention des visas pour le personnel religieux. Est-ce que le problème se pose toujours ?
On ne peut pas dire que le problème a été réglé. On est toujours dans la même situation. C’est difficile et cela demande du temps et de la patience pour obtenir des visas pour le personnel religieux. Cela dit, il y a beaucoup de variations. Parfois les visas sont obtenus rapidement. Parfois le processus prend du temps. J’ignore les raisons. Le ministère des Affaires religieuses nous aide et donne un avis favorable à chaque fois que je fais part d’une demande de visas. Mais je pense qu’il y a un contrôle un peu plus strict. On dit que c’est surtout par rapport à l’église évangélique qu’il y a plus de contrôle. Mais ça rejaillit aussi sur nous.
Des villes en Palestine occupée ne célèbreront pas Noël cette année après la décision de Trump de transférer l’ambassade américaine vers Jérusalem. Adhérez-vous à cette forme de protestation ?
Je comprends la douleur et la souffrance des chrétiens palestiniens. Jérusalem est la ville de la paix qui est appelée à devenir la ville du rassemblement de toutes les nations. C’est une grande souffrance de voir que c’est un lieu où continue la guerre et la division. Le Saint-Père l’a redit au plus haut niveau de l’église catholique. Nous pensons que cette ville doit être ouverte à tous et que les trois grandes religions monothéistes puissent y avoir accès. On est dans la peine car au lieu d’aller vers la paix, on crée de la tension supplémentaire. Je comprends que les frères en Palestine disent : nous sommes en deuil, on n’a pas le cœur de faire la fête et donc on célébrera Noël dans les larmes et non dans la joie. Nous sommes proches d’eux et nous prions avec eux. J’ai plutôt envie de pleurer qu’autre chose devant ce drame qui dure depuis si longtemps.