Que signifie pour vous la convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle du 12 décembre ?
Sofiane Djilali, président de Jil Jadid. Il n’y a pas de doute qu’avec cette convocation du corps électoral, qui a été faite le 15 septembre exactement à la date proposée au préalable par le chef d’état-major, signifie tout simplement que le pouvoir est absolument décidé, cette fois-ci, à imposer cette élection dans les conditions qu’il a lui-même choisies. Il est vrai que le retour à la légitimité populaire par l’élection présidentielle pouvait être un premier acte de sortie de crise, mais pour cela fallait-il encore convaincre et la classe politique et l’opinion publique que les règles du jeu seraient transparentes et assumer un scrutin libre et réel. Une partie au moins de l’opposition avait accepté le dialogue dans son principe et de revenir à l’élection présidentielle mais avec des conditions tout à fait raisonnables. Il y avait eu les demandes de mesures d’apaisement avant le dialogue, du départ du gouvernement Bedoui, et l’engagement de véritables réformes de l’État après les élections présidentielles. Malheureusement, le pouvoir a refusé toute concession et a imposé « sa » solution.
De ce fait, les élections présidentielles à venir vont compliquer la crise, aggraver le déficit de confiance et affaibliront la légitimité d’un président qui pourrait être élu par un coup de force.
Que reste-t-il aujourd’hui à la mobilisation populaire qui est, elle, aux antipodes de la feuille de route du pouvoir politique ?
Il est clair que l’opinion publique qui se mobilise tous les vendredis refuse d’aller à des élections sans avoir la garantie du respect de la voix des Algériens. D’un vendredi à un autre, je constate au milieu des manifestants que la détermination des Algériens est intacte et qu’ils refuseront le renouvellement du régime avec d’autres têtes. Ils veulent et exigent un changement de système politique où la voix du citoyen trouvera toute sa place, ce qui correspondrait à une véritable souveraineté populaire. Malheureusement, l’effondrement du régime Bouteflika n’a pas ouvert la voie à la construction d’un nouveau régime de manière consensuelle, mais a laissé la même mentalité et la même source de pouvoir en place ; ce qui va compliquer bien évidemment la crise.
Comment la rue va-t-elle réagir à l’annonce de la convocation du corps électoral ?
Écoutez, il y a une crainte évidente qu’il y ait des dérapages. Je rappelle simplement qu’il y a eu l’arrestation d’hommes politiques et d’activistes dont Karim Tabbou et, hier de Samir Benlarbi. Probablement, d’autres personnalités politiques pourraient elles aussi faire l’objet d’arrestation. Ajoutez à cela les arrestations importantes lors de la marche du vendredi, le refus de l’élargissement des détenus d’opinion et en particulier les porteurs de l’emblème Amazigh… Tout cela donne un cocktail dangereux. Il y a une méfiance du pouvoir et en même temps une détermination à en finir. Sur ce point-là précisément, je dois dire aussi que dans la période de juin-juillet, une partie de la classe politique a poussé aussi à cette radicalisation. En voulant suivre systématiquement les slogans de la rue, elle n’a pas eu le courage d’ouvrir d’autres perspectives, ce qui a donné les arguments au pouvoir pour dire que de toute façon toute la classe politique est nihiliste, elle est radicale et refuse tout, et en retour il y a une forme de justification de ce qui se déroule.
Qu’est-ce qui aurait dû être fait, selon vous ?
Nous aurions tellement voulu, et nous avions fait ce qui était possible de faire, que la classe politique en particulier mais aussi toute la société politique ; c’est-à-dire y compris la société civile, puisse s’entendre sur une voie de raison et aller avec une seule feuille de route et qui aurait été à ce moment-là difficilement réfutable par le pouvoir. Encore une fois, j’ai le sentiment que la politique en Algérie c’est une affaire d’affrontement et non pas l’art de convaincre l’autre. Il y a une forme d’attitude d’exclusion très facile, de mise au ban et d’accusation, comme un manque d’expérience dans une pratique démocratique qui voudrait qu’il y ait dialogue et respect des opinions. Dans ce climat-là, le pouvoir a une lourde responsabilité et il a également beau jeu de voir cette dispersion des positions de forces qui auraient pu réellement peser dans la balance pour changer l’équation.
Vous parlez d’une feuille de route commune de la « société politique », en quoi aurait-elle consisté ?
Au-delà des propositions détaillées-Jil Jadid a fait sa proposition à lui-, je pense qu’il y a un certain nombre d’éléments qui auraient dû faire l’objet d’un accord général. Nous voulions à l’évidence un changement de régime pour aller vers un État de droit. Il faut comprendre que ce processus demande du temps et qu’il est impossible de l’obtenir dans un immédiat politique. Il fallait travailler pour que cette dynamique se mette en place. Le rejet systématique et brutal de tout ce qui pouvait venir du pouvoir, était une façon de conforter chaque extrême et d’empêcher toute alternative. Les propositions pouvaient être multiples : on en avait fait une et d’autres en ont fait les leurs, il aurait fallu travailler à rapprocher ces points de vue et non pas à faire des excommunions aux uns et aux autres.
La convocation du corps électoral coïncide avec des dizaines d’arrestations au sein du mouvement populaire et des militants politiques. Est-ce qu’elles sont de nature à apaiser le climat politique ?
Il aurait fallu au contraire créer une atmosphère d’apaisement et multiplier les contacts, même si ça devait être des contacts informels au départ ; il aurait fallu que le pouvoir aille vers les différents partenaires, se mettre au-dessus de la mêlée et, en tant que pouvoir de transition, il aurait dû assumer un travail en profondeur vis-à-vis de tout le monde pour rétablir un minimum de confiance. Malheureusement, nous sommes encore dans la psychologie du rapport de force dominant/dominé.
Selon vous, que cherche-t-on à travers la multiplication des arrestations ?
C’est évident maintenant que le pouvoir a pris la décision d’aller vers une élection présidentielle, pensant que celle-ci pourra déclencher une dynamique pour petit à petit revenir à la normale. Mais ce qui est difficile à accepter c’est qu’on ne peut pas construire une dynamique de consensus et de retour aux urnes par la force, par la crainte et les menaces.