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Entretien avec Zaki Allal, chercheur affilié à l’Institute of World Politics

Entretien avec Zaki Allal, chercheur affilié à l’Institute of World Politics

Zaki Allal est chercheur affilié à l’Institute of World Politics, un centre de réflexion et de recherche spécialisé dans les questions stratégiques internationales basé à Washington (Etats-Unis), où il travaille sur les questions liées au monde de demain. Il est également fondateur d’une start-up en biotechnologies spécialisée dans la conservation d’organes humains pour la transplantation médicale, basée dans le centre de recherche de la NASA en Silicon Valley (Etats-Unis).

Dans cet entretien accordé à TSA, M. Allal lève le voile sur le monde des start-up, les conditions nécessaires pour le développement d’un écosystème de start-up et le rôle que peut jouer l’Etat dans le développement d’un tel écosystème en Algérie, dans un contexte où la « start-up » a été érigée en argument électoral par le candidat Abdelmadjid Tebboune durant le dernier scrutin présidentiel.

Le mot « start-up » a été beaucoup utilisé récemment mais est peu compris. Concrètement, qu’est-ce qu’une start-up ?

Une start-up est une entreprise innovante qui crée de la valeur, quelque chose de nouveau qui n’a pas existé auparavant. Après on peut avoir un débat éternel sur ce qui est nouveau. On peut par exemple prendre Uber comme il existait, on crée une entreprise ici qu’on appelle Yassir ou TemTem puis on dit qu’on a innové. Il y a donc plusieurs types d’innovations. L’essentiel étant de créer de la valeur.

La start-up est un projet, ce n’est pas forcément une entreprise à vie. C’est un projet qui passe d’une phase d’idée à une phase de concept à une phase de pré-commercialisation à une phase de produit ou service pour ensuite vous allez grandir pour devenir une véritable entreprise qui fournit des services.

Que faut-il pour développer un écosystème de start-up ?

Pour avoir des entreprises et des start-up qui émergent, il faut avoir des piliers. Les cinq piliers principaux sont le gouvernement et ses institutions, les universités, les communautés d’entrepreneurs, les banques et systèmes de financement, et enfin le monde corporate. Si vous n’avez pas ces cinq piliers qui travaillent en symbiose et en totale fluidité, vous allez avoir des difficultés. Un système d’innovation doit fonctionner de manière fluide.

Aujourd’hui on voit qu’il y a une volonté en Algérie. Quand le candidat Tebboune a déclaré dans une vidéo « moi je veux miser sur les start-up », beaucoup de gens ont critiqué mais moi j’ai vu un candidat aux présidentielles qui avait son cheval de bataille et j’ai respecté ça. D’autres candidats dans d’autres pays parlent d’immigration, de réformes des retraites… à chacun son cheval de bataille.

Avez-vous senti, en entendant les discours du candidat Tebboune au sujet des start-up, quelqu’un qui maîtrise son sujet et qui a une stratégie ?

Je n’ai pas vu son programme pour dire s’il avait une stratégie, mais j’ai entendu des mots et me suis dit : « on va voir ». Nous sommes à un peu plus d’un mois de son entrée en fonction, je vois qu’il est en train de faire des consultations, d’être préoccupé par certaines questions de souveraineté nationale… je ne veux pas être pressé et porter un jugement sur la stratégie du président Tebboune. Je veux attendre la marque des trois mois pour voir ce qu’il a fait ou pas dans ce domaine.

La question des start-up nécessite plus que le b.a.-ba consistant à faciliter les choses. Ça nécessite une volonté et une priorité du plus haut sommet de l’Etat, c’est-à-dire créer un super-ministère qui soit capable de créer les conditions idoines. Ça demande beaucoup plus que les déclarations entendues entre 2012 et 2015, c’est-à-dire les facilitations, les programmes d’emplois jeunes, les programmes de financement type Ansej, etc… On doit booster les jeunes qui ont des projets qui rajoutent de la valeur. Il y a aujourd’hui plein de jeunes qui ont le potentiel, l’endurance et la motivation pour créer des start-up mais qui sont confrontés à plusieurs freins et des barrières.

Quels sont les freins que rencontrent les jeunes voulant créer des start-up ?

Il y a d’abord le frein au financement. Aujourd’hui les banques refusent de financer les projets de start-up. Si vous n’avez pas deux ans d’activité et un bilan, les banques ne vous financent pas. Pour le leasing c’est pareil. Restent les financements privés, ce qu’on appelle les « Angels ». Pour eux, ces deux dernières années, le contexte économique n’allait pas bien. Il faut donc adapter les mécanismes de financement et avoir une vraie reconnaissance du statut de start-up.

L’Algérie a une économie dirigée. Quel rôle l’Etat peut et doit jouer dans la mise en place d’un écosystème de start-up ?

L’innovation n’aime pas être guidée. On ne doit pas dire à un esprit créatif ce qu’il doit créer. On peut certes lui donner des priorités, mais on ne peut pas le diriger ou le contrôler. Aujourd’hui je pense qu’il faut un léger pivot dans l’état d’esprit des gouverneurs pour comprendre que l’innovation ne peut pas être contrôlée. Donner des axes stratégiques est une chose, mais en arriver à contrôler d’une manière quasi-paralysante par des mesures bureaucratiques ou autres freins ne fera pas fleurir un quelconque écosystème de start-up. Ca ne restera que des mots.

Quels seraient les grands axes qu’il faudrait donner aux start-up ?

Les trois grands axes devraient être la sécurité alimentaire (l’agriculture), l’autosuffisance énergétique (les énergies renouvelables) et enfin la santé. Que ce soit la santé numérique, la santé digitale, rapprocher le patient du médecin… il y a plein de choses à faire dans le domaine de la santé.

Quel modèle l’Algérie pourrait suivre dans la mise en place d’un écosystème de start-up ?

Je pense que l’Algérie peut créer son propre modèle. Il y a plein de pays qui ont émergé ainsi, comme par exemple le Chili qui a mis en place la « Chilicon Valley » au point d’arriver à avoir une fuite des cerveaux de la Silicon Valley américaine vers Santiago de Chile. Quand on parle de créer des fleurons de l’économie, on parle de créer des entreprises qui peuvent employer 20, 30, voire 200 personnes.  Pour avoir vraiment des fleurons de l’économie, les mécanismes de financement sont primordiaux à mes yeux. Si l’Etat aujourd’hui ne dispose pas de ressources, qu’on libéralise les choses.

Qu’entendez-vous par « libéraliser les choses » ?

Qu’on mette en place des mécanismes et des statuts permettant de créer des fonds d’investissement privés, des fonds de capitaux-risque, de laisser les banques privées investir et leur donner des garanties pour prendre des risques sur des projets qui peuvent être des fleurons de l’économie.

Le gouvernement a évoqué la création d’une banque qui serait chargée du « suivi et de l’accompagnement » des start-up. Quelle est votre réaction par rapport à cette annonce ?

J’aurais aimé entendre qu’il y ait des banques : une ou plusieurs banques étatiques ainsi que des banques privées. On semble encore être dans le contrôle, ça laisse penser à une agence qui fonctionne avec le même mécanisme de l’Ansej, ce qui nous ferait tomber dans la même logique de distribution de rente, la même logique de favoritisme… Ce n’est pas ce qu’on cherche. On veut une économie réelle qui marche avec des règles physiologiques et qui n’est pas contrôlée car une innovation n’a pas besoin d’être contrôlée.

Comment mettre en place de nouveaux mécanismes dans un pays où l’Etat est connu pour sa rigidité ? Quels signaux concrets évoquerait une volonté réelle de changer les choses ?

Au-delà de la rhétorique du président de la République, il faut une levée des freins. Cela passe par des lois, des facilitations, la reconnaissance de nouvelles entités, ou encore par une ouverture consistant à laisser les banques financer des projets à risque. Les principaux signaux seraient d’impliquer les investisseurs institutionnels et les investisseurs privés, de libéraliser l’économie de l’innovation.

La manière de dialoguer avec les innovateurs et la jeunesse est primordiale. Après tout ce qui s’est passé en 2019, je pense que des leçons ont été tirées pour écouter la jeunesse. On ne peut pas avoir un candidat à la présidentielle qui dit « start-up » juste comme ça. C’est qu’il a forcément tiré ses leçons, qu’il a observé, qu’il a écouté et qu’il a un programme derrière.

Avez-vous la moindre crainte que le mot « start-up » soit seulement prononcé à des fins électoralistes ?

Ma seule réserve vient tout simplement du fait que c’est un homme politique. C’est le président de la République et on se doit de le respecter en tant que tel, mais j’attends la marque des trois mois pour voir si les promesses politiques annoncées ont été suivies d’actes ou pas. J’ai beaucoup dialogué ces dernières semaines avec des entrepreneurs qui tous me disent que le gouvernement est à l’écoute, que c’est le moment d’investir et lancer des projets. Être à l’écoute est une chose, maintenant il faut des choses concrètes.

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