Politique

Entretien croisé : quelles manifestations pour ce premier vendredi du mois de ramadan ?

Après les manifestations grandioses des étudiants mardi dernier, pensez-vous qu’il y aura du monde ce vendredi malgré le ramadhan ?

Saïd Salhi, vice-président de la LADDH. À mon avis il ne va pas y avoir la même présence, la même intensité et la même ampleur. Mais les citoyens vont sortir, avec la même détermination et le même engagement. Le nombre de manifestants n’est pas un indicateur important. Il ne faut pas seulement se fixer sur les vendredis, il faut voir la dynamique dans son ensemble. Chaque jour les citoyens se rencontrent, s’organisent et construisent des initiatives. Il y a des manifestations chaque jour, à l’image de la marche des étudiants les mardis.

Personnellement, je fais partie de collectifs où l’on s’organise et se concerte. C’est ça le plus important, de mon point de vue. Incontestablement, le mouvement s’inscrit dans la durée. À mon avis, il faut adapter les marches au ramadhan : sortir à partir de 14 heures jusqu’à 16 heures, c’est suffisant. Il ne faut surtout pas imposer aux citoyens de longs trajets. Plutôt que marcher, les gens peuvent se rassembler afin de montrer leur détermination. On peut également envisager d’investir les espaces publics le soir pour échanger, discuter et engager des débats.

Abdelouahab Fersaoui, président de RAJ. La forte mobilisation des étudiants est une réponse forte et claire à ceux qui s’attendaient à ce que le mouvement s’essouffle durant ce mois de ramadhan. Ce mois n’est pas un obstacle à la mobilisation qui peut prendre d’autres formes, mais en aucun cas le mouvement ne peut faiblir. Il y a beaucoup de propositions au sujet de la forme que prendront les manifestations durant le mois de ramadhan. Je pense qu’il y aura des manifestations les vendredis, la soirée sera un moment pour les débats et les forums citoyens. Un certain nombre de wilayas ont déjà prévu cette forme d’organisation. Ces espaces de débats vont contribuer au renforcement du mouvement citoyen.

Est-ce que les dernières arrestations d’anciens responsables sont suffisantes pour calmer la rue ?

Saïd Salhi. Personnellement, je ne le pense pas. La population est déjà sceptique par rapport à ces arrestations. D’aucuns les ont qualifiées de pièces de théâtre. C’est d’abord une diversion, on veut faire oublier au peuple sa revendication principale : le départ de tout le système. Je pense qu’un système corrompu ne peut pas lutter lui-même contre le phénomène. Le système en place a perdu toute crédibilité au sein de la population. On assiste à des procès sélectifs, orientés, qui ne touchent pas toutes les têtes réclamées par la rue. La population ne croit pas à ces procès. Je pense qu’on assiste à des luttes claniques à l’intérieur du système et, pour nous, tout ça montre encore une fois que la rue est unie et que le système est divisé. La lutte contre la corruption ne peut se faire que dans le cadre d’un État de droit et démocratique.

Abdelouahab Fersaoui. Cette série d’arrestations qui visent soi-disant à lutter contre la corruption et faire juger les personnes responsables de la situation actuelle, est une demande populaire qui ne date pas d’aujourd’hui. Je pense que c’est un pas important, mais il faut rester vigilant pour que cela ne soit pas, d’une part, une tentative d’absorber la colère du peuple algérien, sorti dans les rues depuis le 22 février, et d’autre part, aller vers une transition clanique à l’intérieur du système. Nous ne voulons pas d’une transition clanique, mais le changement du système. Pour nous, tout ceci ne doit pas prendre le dessus sur la revendication du peuple en l’occurrence le changement de tout le système. Jusqu’à aujourd’hui, le pouvoir n’a pas donné de signe de bonne volonté afin d’aller vers le changement du système.

Les élections peuvent-elles se tenir le 4 juillet ?

Abdelouahab Fersaoui. Les élections ne peuvent pas se tenir le 4 juillet. Je pense que même le pouvoir en place le sait très bien. Parce qu’en aucun cas on ne peut préparer une élection pour laquelle il reste seulement deux mois. Politiquement, ça n’a aucun sens. Même sur le plan de la préparation et de la logistique, il y a des insuffisances. Donc, imposer les élections le 4 juillet sera une provocation et un mépris de la part du pouvoir envers le peuple. Pour nous, aller vers une période de transition est inévitable. Le pouvoir est en train de préparer sa propre période de transition, d’où la nécessité de faire preuve de vigilance pour que la révolution populaire, qui a suscité l’admiration du monde entier, ne soit pas récupérée par le pouvoir à l’effet de se maintenir.

Saïd Salhi. C’est vraiment absurde de penser qu’il va y avoir des élections le 4 juillet. Pour une raison simple : les élections ne peuvent se faire sans le peuple qui les rejette totalement. Aujourd’hui, on nous annonce 56 candidats qu’on ne voit même pas à deux mois des élections. Le gouvernement censé organiser les élections n’arrive même pas à sortir à l’extérieur. Quand on voit des citoyens chasser des ministres je ne vois pas comment on peut organiser des élections. Le système lui-même sait très bien que ces élections ne peuvent pas avoir lieu, mais il est en train de gagner du temps ou plutôt nous faire perdre du temps. Le système table sur l’usure et la diversion, pense que la mobilisation va fléchir et finir par être divisée d’ici-là, mais la population reste unie et déterminée.

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