Le Mouvement populaire boucle ce lundi 22 juillet son 5e mois. Quel est votre bilan ?
Mokhtar Saïd Mediouni, officier supérieur à la retraite. Le peuple a compris que l’ancien pouvoir l’avait dupé pendant 20 ans. Le 22 février c’était NON au 5e mandat de Bouteflika. Ensuite, l’ancien régime a tenté de prolonger le 4e mandat. Durant les semaines qui ont suivi le 22 févier, les gens ont dit non au 4e mandat prolongé. Et dans tous les mouvements, depuis cette date, on a scandé le fameux slogan « Klitou Leblad ya esserrakine ». L’affaire de l’autoroute Est-Ouest et l’affaire Chakib Khelil ont refait surface dans l’esprit du peuple algérien. Il a compris qu’il a été dupé et son argent lui a été volé et qu’il va continuer à vivre misérablement. Ce qui fait que le peuple continue de revendiquer non seulement de récupérer ses richesses volées mais aussi punir ceux qui en sont responsables.
Mohamed Hennad, politologue. Evidemment, un bilan donne toujours lieu à d’interminables controverses. Non seulement à cause des intentions politiques des uns et des autres mais aussi à cause de cette idée du verre à moitié plein ou à moitié vide. Mais toujours est-il qu’il y a eu beaucoup d’acquis, au moins formels, tels que l’annulation du cinquième mandat qui aurait été fatal au pays, le dégagement de l’ancien président et de son clan, l’incarcération de beaucoup d’anciens responsables piliers du régime bouteflikiste, l’ouverture relative du débat politique et l’émergence d’initiatives pour la résolution de la crise politique qui dure.
Ceci étant, on attend toujours le dégagement du système de la bande organisée et les procès de ceux qui ont mis le pays à genoux. Sinon, on court le risque de se voir, in fine, imposer le remplacement d’une nouvelle bande par une autre ; ce qui serait une perte de temps, non seulement coûteuse mais dépressive surtout !
En ce moment, les choses semblent marquer le pas. S’agit-il d’une décantation ou bien d’un cafouillage ? Il semble que la bonne prestation de l’équipe nationale à la CAN a un peu détourné le débat et empiété sur l’évolution politique d’une manière négative pour certains.
Hakim Addad (Collectif soutien et vigilance au mouvement du 22 février). Cinq mois formidables. Extraordinaires. Cinq mois de lutte pacifique, inédite à cette échelle dans le monde. Cinq mois que le peuple Algérien est cité et montré en exemple à travers le monde. Cinq mois où ce même formidable peuple a engrangé des victoires, (pas de 5e mandat- pas de rallonge du 4e mandat- démission de Bouteflika-pas de présidentielle le 4 Juillet), ne l’oublions pas. Cinq mois qui se clôturent comme un cadeau par un trophée continental et qui fait partie de la dynamique de notre heureuse révolution en cours. Cinq mois dont une bonne partie sous la répression. Cinq mois durant lesquels les jeunes ont investi et fort heureusement le champ politique et qui je l’espère y resteront et s’y impliqueront encore plus. 5 mois où le peuple, uni, en symbiose totale, de partout y compris à l’étranger, démontre sa volonté d’en finir non pas avec un homme prédateur mais avec un régime prédateur. 5 mois et le meilleur reste à venir. Le temps est pour nous, l’avenir est à nous, la victoire sera nôtre.
Quel a été le rôle de l’armée depuis le déclenchement de la révolte populaire ?
Mokhtar Saïd Mediouni. L’armée, dès le premier jour, par la voix du chef d’état-major a dit : nous n’abandonnerons jamais ce peuple, nous l’accompagnerons dans la paix et la sérénité et ce jusqu’à ce qu’il recouvre toutes ses revendications. Et surtout recouvrer plus de liberté dans le sens où il fallait instaurer une nouvelle république algérienne plus juste et plus équitable. Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, si l’armée nationale n’avait pas accompagné le Hirak, si les juges n’avaient pas manifesté et se sont mis du côté du Hirak pour revendiquer une justice libre et non pas aux ordres, on en n’arriverait pas à ce que d’ex-hauts responsables soient mis en prison. Il est vrai que le soulèvement populaire a donné de l’impulsion à cet ensemble pour qu’il puisse réagir et accomplir ses missions de lutter contre la corruption. Vous savez, il y a même des puissances étrangères qui tirent les ficelles dans ce Hirak. On a d’abord essayé de diviser le Hirak, essayé de diviser les régions et l’Algérie fait l’objet de grandes convoitises, ses richesses aiguisent les appétits des grandes puissances. Heureusement qu’on a une armée forte et des citoyens matures et très conscients. Dans les différentes manifestations, nous avons vu des slogans qui disent non à l’ingérence étrangère. Ce qui a bloqué les appétits et les plans machiavéliques de ces puissances.
Les initiatives de sortie de crise se multiplient mais la situation est toujours bloquée. Comment voyez-vous ces initiatives. Quels sont leurs points faibles et leurs points forts ?
Mohamed Hennad. La multiplication de telles initiatives est, en soi, le signe d’une vie politique dynamique, mais à condition qu’elle donne lieu à une synthèse dans la perspective du changement escompté. Malheureusement, la dernière initiative du « Forum civil pour le changement », a un peu cassé le rythme et semé le doute parmi les forces politiques et sociales du pays, d’autant plus qu’elle semblait impromptue et plutôt surfaite si l’on considère toute cette attention médiatique dont elle a été l’objet.
Quant à la façon de résoudre la crise, comme tout le monde le sait, il y a deux courants, disons, de pensée ; tous les deux avancent des arguments solides. Il y a, d’une part, le « Forum du changement pour le triomphe du choix du peuple » qui prône la nécessité d’aller vers une élection présidentielle dûment négociée et, d’autre part, les « forces de l’alternative démocratique » qui prônent la nécessité d’aller vers une constituante.
Finalement, et nonobstant d’autres lignes de clivage qui pourraient exister, ce qui distingue les deux courants c’est que ceux qui exigent une constituante pensent, d’expérience, qu’ils ne peuvent absolument pas faire confiance au pouvoir actuel, contrairement à l’autre courant lequel pense qu’il faut justement savoir comment obliger ce pouvoir à être honnête dans le jeu qu’il se dit prêt à jouer. En fin de compte, ce qui est en jeu c’est le problème de confiance qui se pose d’une manière quasi dramatique dans notre pays !
Hakim Addad. La situation est bloquée du fait du pouvoir et de lui seul et il sera comptable de suites éventuellement malheureuses car il reste sourd à l’appel de 40 millions de citoyen-ne-s qui exigent de lui le départ. Des initiatives ce n’est pas ce qui va manquer. Chacun-e va y aller de son initiative. Pourquoi pas mais restons sereins et gardons la tête sur les épaules. Il y a des initiatives louables, bénéfiques, intéressantes, constructives et il y a des ballons d’essai qui sont lancés par le pouvoir ou certains de ses relais pour récupérer ou dénaturer la véritable revendication populaire : un changement radical.
Mokhtar Saïd Mediouni. Dans son dernier discours, le chef de l’État Abdelkader Bensalah, a répondu à une revendication du Hirak en disant aux citoyens du Hirak : « Vous ne dialoguerez pas avec le gouvernement ». Un dialogue qui sera inclusif de toutes les sensibilités politiques et idéologiques. Aujourd’hui, le Hirak doit discuter de quoi ? De la composante de l’autorité qui sera chargée de l’organisation, la supervision et de l’annonce des résultats des élections. En ce qui concerne la composante de cette autorité, le pouvoir a dit que les membres de cette autorité ne soient pas impliquées dans l’ancien système, qu’elles n’appartiennent à aucun parti, et discuter dans le cadre du dialogue des mécanismes juridiques à mettre en place pour que cette autorité fonctionne. Ne pensez-vous pas que c’est une garantie extraordinaire ? Plus encore, M. Bensalah a dit que toutes les décisions qui seront prises dans le cadre de cette autorité seront avalisées par l’État algérien.
Mais qui bloque le dialogue ?
Mokhtar Saïd Mediouni. Ce sont généralement les partis qui ont apporté leur soutien à Bouteflika. Quand Bouteflika se présente à des élections et que ces partis se présentent aussi cela veut dire quoi ? Qu’ils sont en train de donner de la crédibilité à ces élections. Ce sont ces mêmes partis aujourd’hui qui disent non pas encore on n’a pas suffisamment de garanties. Avaient-ils des garanties avant ? La seule garantie qu’ils avaient c’était que Bouteflika était président. Ceux qui sont en train de bloquer le processus électoral et le dialogue national ont d’autres intentions qui sont dictées par des officines étrangères pour mener le pays sur la voie du désordre.
Comment appréciez-vous la posture du pouvoir politique à l’heure actuelle ?
Mohamed Hennad. Le Pouvoir a lancé une initiative, toujours en cours de réalisation. En même temps, il attend les retours pour moduler ses réactions, tout en actionnant ses relais pour imprimer une direction donnée à l’évolution de la situation politique. Rien d’étonnant à tout ça, c’est même dans l’ordre des choses ! Il faut dire aussi que la CAN a accordé au pouvoir un répit fort appréciable d’autant plus que les Verts sont revenus avec le trophée. Aussi, il est fort à parier que plus l’impasse durera, plus elle sera à l’avantage du système. Il faut même se demander s’il n’était pas déjà temps de réaliser que les marches sont devenues insuffisantes et qu’il faudrait, peut-être, penser à passer à une vitesse supérieure pour obliger le système à ne pas trop compter sur le pourrissement de la situation pour reprendre la main.