M. Tebboune est le nouveau président de la république. En tant que patron d’une entreprise, qu’attendez-vous de lui ?
Hassen Khelifati, PDG d’Alliance assurances : La situation économique est morose, la consommation baisse, le chômage augmente, il n’y a pas de nouveaux projets d’investissements ni publics ni privés, le financement bancaire est pratiquement à l’arrêt, le recrutement aussi, l’administration et les grands ordonnateurs publics en général sont dans l’expectative. Il n’y a ni paiement ni autorisation ni attribution. Tout le monde est tétanisé. C’est une grave crise économique qui touche de plein fouet les opérateurs économiques, avec des répercussions sociales qui risquent de s’aggraver, si rien n’est fait pour au moins la ralentir ou la stopper.
En ce qui concerne le nouveau président, en premier lieu, nous attendons un discours rassurant et de remise en confiance pour tous les chefs d’entreprises, banquiers, ordonnateurs, administration…
Nous avions eu une première indication lors de la première conférence de presse du nouveau Président qui a salué clairement les hommes d’affaires honnêtes, respectueux des lois et créateurs de richesses et d’emplois.
Et à mon avis, cela est destiné à la majorité de la communauté d’affaires nationale. Je peux dire que cela a même fait baisser la tension et dissiper des craintes chez la communauté d’affaires, et a rétabli un peu l’espoir.
Avez-vous des propositions ?
Nous attendons aussi l’ouverture de canaux de dialogue avec les acteurs notamment ceux qui ont combattu et résisté à l’ancien mode de gouvernance et qui ne sont pas impliqués directement dans l’impasse économique de l’Algérie. Beaucoup des anciens sigles sont disqualifiés pour parler au nom des chefs d’entreprises. Il faut non seulement une mobilisation sans faille mais aussi une solidarité exemplaire afin de sortir l’économie algérienne de cette situation.
Pour nous les premiers choix politiques économiques seront déterminants pour la suite. À mon humble avis, il faut :
1. Mettre de la compétence, de l’intelligence et de la science dans les nouvelles réformes.
2. Un gouvernement « COMMANDO », la désignation des compétences nationales aux postes de commandement dans les ministères économiques pour redresser l’économie et prendre les décisions qui s’imposent.
3. Engager sans plus tarder la mère des réformes économiques qui est celle du marché financier avec toutes ses composantes, banques, bourse, administrations économiques, etc.
4. Lancer le chantier de numérisation de l’économie nationale.
5. Il faut un « CHOC » de simplification et de bureaucratisation à tous les niveaux.
6. Rendre l’administration non seulement responsable de ses actes mais aussi redevable envers les entreprises et la communauté nationale.
7. La justice doit jouer un rôle primordial pour protéger les entreprises et les entrepreneurs sérieux et éthiques contre les abus d’où qu’ils viennent.
L’Économie du pays est en panne. Qui est le responsable ?
En premier lieu, je pense que la panne de l’économie algérienne n’est pas due à la dernière crise, la responsabilité incombe aux différents gouvernements qui se sont succédés depuis plusieurs années. Le manque de vision, l’absence de réformes structurelles profondes, les tergiversations des gouvernements, les changements de cap, l’instabilité juridique et les choix économiques, les remises en cause brutales et le changement de cap sans évaluation constituent les principales causes de cette panne.
La responsabilité incombe prioritairement aux politiques qui n’ont pas su faire les bons choix pour construire une économie d’avenir, moderne et diversifiée. Nous avons raté la période de l’opulence financière avec des recettes hydrocarbures colossales pour engager les réformes structurelles nécessaires. Maintenant la réalité est là, ça sera plus dur mais il faut y aller et avec la confiance et la solidarité nous pouvons réussir.
Des centaines de milliers d’emplois ont été perdus ces derniers mois. Des milliers d’entreprises ont fait faillite. Comment stopper l’hémorragie ?
Le moral des entrepreneurs est au plus bas. Certaines sources parlent de 500.000 emplois perdus et même davantage. Il y a une hésitation dans la mise en place de nouveaux projets, le gel des projets existants, etc. À mon avis un discours mobilisateur, et de confiance et la relance des projets gelés pourront ralentir cette spirale infernale. Le message doit être clair et sans ambiguïté : remettez-vous tous au travail sans peur ni crainte, respectez la loi et accompagnez les chefs d’entreprises et l’investissement et vous n’aurez rien à craindre. Nous ouvrirons ainsi une nouvelle page d’avenir.
Des hommes d’affaires ont été incarcérés. Certains ont été jugés d’autres pas encore. Ces incarcérations ont terni l’image des chefs d’entreprises. Que faut-il faire pour mettre fin à la suspicion et améliorer l’image des patrons auprès de l’opinion publique ?
Il faut réhabiliter la valeur travail et la réussite par la compétence, l’innovation, la concurrence loyale, l’éthique, le respect des lois et des règles.
Il faut rétablir l’égalité des chances de tout porteur de projet et la possibilité de réussir par le travail, l’innovation, la compétence, l’intelligence et la réalisation sur le terrain.
La réussite d’un homme d’affaires doit être celle de l’économie algérienne parce que créer de l’emploi, de la richesse stabilisera le pays et rendra l’espoir aux Algériens en un avenir meilleur.
N’oublions pas que les chefs d’entreprises créent beaucoup d’emplois, paient leurs impôts. Après les hydrocarbures, le secteur privé est le premier créateur de d’emplois et de valeur ajoutée dans le pays.
Si certains sont sortis de la route en profitant d’une conjoncture ou de complicité, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac et les jeter à la poubelle. La quasi-majorité des chefs d’entreprises sont honnêtes. Ce sont des créateurs de richesses, d’emplois et participent à la stabilité sociale.
Au plan économique, sur quoi allez-vous juger le nouveau président ?
Les premiers messages et les premières actions concrètes seront décisifs. Il y a aussi la composition de l’équipe gouvernementale, les choix qui seront faits, l’ouverture vers le monde de l’entreprise, le choix des interlocuteurs, le dialogue et les passerelles envers les vrais acteurs et la rupture avec l’ancien mode de fonctionnement.
Êtes-vous optimiste ?
La situation est très difficile, nous avons raté beaucoup d’occasions dans le passé. De mauvais choix économiques ont été faits et des ressources inestimables ont été dilapidées. On aurait pu être dans une meilleure situation si des choix judicieux avaient été faits par le passé.
Pour rappel, beaucoup d’acteurs sincères n’ont pas cessé d’alerter sur la dangerosité des choix économiques antérieurs mais malheureusement les différents gouvernements n’ont pas écouté et ont continué à pratiquer la politique de fuite en avant. Le pays est resté dépendant de la rente pétrolière et de la dépense publique.
L’Algérie possède certains ressorts et atouts qui peuvent lui permettre de s’en sortir à conditions d’engager les reformes structurelles nécessaires et remobiliser les acteurs publics et privés nationaux et les acteurs internationaux pour relancer notre économie, sortir graduellement de la rente pétrolière, diminuer la dépendance de la dépense publique, augmenter les exportations hors hydrocarbures, la diversifier, la débureaucratiser. Il faut aussi et j’insiste sur ça, moderniser notre marché financier, responsabiliser tous les intervenants, mettre de la science et de l’intelligence dans notre vision, démystifier le gain éthique et la réussite, libérer les initiatives, s’occuper de l’entreprenariat féminin et les jeunes et de la nouvelle économie, l’intelligence artificielle et les startups, le tourisme, l’agriculture, les services, etc.