Le nord de l’Algérie est en proie depuis lundi 9 août à de violents incendies. Plusieurs milliers d’hectares de forêt sont déjà partis en fumée.
Dans cet entretien, Akli Moussouni, expert senior et directeur des programmes au cabinet CIExpert, dénonce un « massacre écologique” et une “destruction d’une opportunité économique”.
Quel est l’impact des incendies qui ravagent depuis lundi 9 août les forêts d’Algérie, sur l’agriculture et sur l’économie nationale?
L’impact est en même temps physique, par rapport aux territoires, et socioéconomique par rapport aux populations riveraines.
Sachant qu’il n’y a pas que la forêt qui a été brûlée, mais aussi les espaces péri urbains, avec tout ce que cela implique sur l’économie rurale et dans la vie quotidienne de ces populations.
En Kabylie, plus particulièrement, cet espace incarne une activité agricole du terroir, dont l’apport économique aux villageois n’est pas négligeable. C’est donc un massacre écologique et la destruction d’une opportunité économique.
Cette biodiversité, qui a toujours été productive, a un certain niveau pour les habitants, incarne dorénavant, une insécurité, en raison des nombreux incendies et du manque de solutions.
En conséquence, la dégradation de cet environnement a engendré l’altération de la végétation sur une grande partie des maquis et des forêts.
Un processus qui s’est poursuivi dans bien des zones jusqu’à la dégradation totale des écosystèmes qui étaient là depuis des millions d’années. Par conséquent, beaucoup d’espèces végétales et animales se raréfient, ou risquent même de disparaître.
Dans une économie non planifiée est informelle, il est difficile d’évaluer les pertes matérielles générées par ces incendies.
Combien faut-il de temps pour que les forêts touchées se régénèrent ?
Le couvert végétal diminue d’année en année dans ces paysages touchés par une succession d’incendies. Ce qui a entraîné une réduction alarmante de la biomasse, ainsi que les capacités de reproduction des essences forestières, et de régénération de la végétation du sous-bois, qui se réduit, aussi, de plus en plus.
Dans certains cas, sur de grandes étendues, elles ont été anéanties au regard de la roche mère qui émerge. Le sol qui s’est donc retrouvé à son tour, sans protection par la couverture végétale, est soumis directement à l’action de l’érosion, modifiant ainsi les états de sa surface à la faveur d’un ruissellement anarchique des précipitations et réduisant dramatiquement l’épaisseur de la couche de la terre végétale, accentuant de fait, le lessivage de la matière organique.
Devant une succession de périodes de sécheresse qui s’est invitée depuis une dizaine d’années en Algérie, les conséquences sur la dégradation de la fertilité des sols est sans appel, du fait que la capacité d’échange entre éléments disponibles ne peut être que minimale.
Par rapport au bilan hydrique, l’augmentation du ruissellement abaisse la réserve en eau disponible. Ce qui fait défaut actuellement au pays, au regard de la chute à présent des réserves d’eau vitale.
Il est difficile donc dans ces conditions de faire un pronostic sur le temps nécessaire à la régénération de toute la végétation luxuriante de nos paysages.
Il ne suffit pas aux herbes qui jailliront aux premières pluies, pour rétablir les écosystèmes qui nécessitent une entreprise réparatrice de longue haleine.
Quel est le taux de reboisement en Algérie?
En 2018, il y a eu l’élaboration du PNR (Programme National de reboisement) avec pour objectif « d’étendre le patrimoine forestier algérien sur 1.250.000 ha sur une période de vingt ans et permettre d’élever le taux de boisement de 11 % à 13 % à l’horizon 2020 ».
Mais aucun chiffre sur les réalisations de ce programme n’est disponible en dehors de quelques effets d’annonce comme pour la reprise douteuse du « Barrage vert ».
Entre-temps il y a eu, selon les propres déclarations des officiels, une perte de 30 à 34 000 Ha de forêts chaque année depuis 20 ans.
Pas moins de 43.000 hectares en 2020, et on n’en sait combien en 2021 par rapport aux incendies auxquels nous assistons. Devant cette perte incommensurable de la biodiversité, le reboisement ne peut être qu’aléatoire en l’absence d’actions pertinentes auxquelles nous n’avons pas assisté depuis le barrage vert dans les années 70.
Comment peut-on mieux protéger nos forêts des incendies? Et quelles sont les mesures à prendre pour restituer le couvert végétal ?
Les massifs forestiers algériens ont été d’une part livrés à une exploitation clandestine et sauvage dont les activités consistent en l’abattage de chêne liège à grande échelle pour en faire une véritable « industrie » du charbon de bois servant à alimenter les barbecues qui pullulent le long des routes et dans les agglomérations.
En l’abattage de l’eucalyptus et du cyprès (entres autres) en guise de pieds droit destiné au coffrage dans les chantiers de l’habitat rural, en l’abattage d’arbres pour en faire des tablettes de boucheries, vendues dans les marchés (notamment en été et à la veille de fête de laid), et enfin en l’abattage de beaux spécimens d’arbres pour l’industrie de fabrication du tamis traditionnels, dont les rebus après découpe représentent près de 70% de la masse de bois prélevée dans la forêt et jetée dans la nature.
Dans bien des cas, ces abattages se font avec la complicité des agents des services forestiers.
Quant à la protection de ce patrimoine, elle n’est pas à l’ordre du jour, dans une Algérie qui se permet des budgets faramineux dans des projets contre productifs alors qu’elle ne dispose même pas du minimum de moyens d’interventions.
Les incendies dramatiques auxquels nous assistons est une preuve flagrante d’une négligence avérée des pouvoirs publics. Pour ce qui est de l’aménagement des territoires, qu’ils soient forestiers ou agricoles, il n’a jamais fait l’objet d’une attention particulière dans les programmes de développement des secteurs économiques.
A présent, toute idée des restitutions du couvert végétal sauvage ou de revalorisation des espaces perdus, ne peut servir pour un développement durable de ces régions qu’avec une vision qui consiste à transformer une contrainte écologique en opportunités économiques.
Il serait donc souhaitable que là où il est difficile d’apporter des solutions environnementales, d’opter pour une conversion salutaire en terre agricole des espaces perdus par la forêt, puisqu’elle s’impose comme solution réaliste et économique rapide pour sauver la productivité du paysage qui est menacé par un processus de dégradation physique et contre lequel il est difficile d’envisager des réparations efficaces, qui coûteraient des milliards sans contrepartie économique.
Il y a donc nécessité de revoir les dispositifs législatifs contre productifs qui régissent actuellement le patrimoine forestier.