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ENTRETIEN. Incendies en Kabylie : les causes du désastre et des solutions

ENTRETIEN. Incendies en Kabylie : les causes du désastre et des solutions

Ahmed Alileche, conservateur principal au Parc national du Djurdjura et doctorant à l’Université de Tizi-Ouzou (UMMTO)

Ahmed Alileche est conservateur principal au Parc national du Djurdjura et doctorant à l’Université de Tizi-Ouzou (UMMTO).

Il revient dans cet entretien sur les causes des incendies qui ont ravagé les forêts du nord de l’Algérie du 9 au 17 août, particulièrement celles de Kabylie, la région la plus durement touchée par la catastrophe.

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Et tire les enseignements sur les carences en matière de prévention et de riposte face à ce genre de sinistres.

Plusieurs régions d’Algérie, en particulier la Kabylie, ont connu des incendies sans précédent ces derniers jours. En tant que spécialiste, comment avez-vous vécu ce drame ?

Les feux qui viennent de ravager la Kabylie, et en particulier la région de Tizi-Ouzou, resteront gravés à jamais dans la mémoire de la communauté locale, régionale et nationale, voire internationale. Tout le monde est sous le choc de l’ampleur de ces incendies inédits.

Quels ont été les faits marquants durant cet épisode tragique ?

Ce qui laisse perplexe la population ayant été proie à ces feux qualifiés de criminels de la part même des autorités, est sans doute la conjugaison de plusieurs conditions inédites.

D’abord, il y a la synchronisation de plus d’une vingtaine de foyers d’incendie ; ce qui attise la thèse du complot et de l’intention criminelle de ceux qui ont embrasé la région.

Et puis, la coïncidence de ces feux avec la période caniculaire laisse entendre que ces pyromanes ont bien choisi le temps pour corser davantage la situation.

Par ailleurs, ce qui a  attiré l’attention citoyenne est sans doute la puissance du feu et la vitesse de propagation des flammes. En effet, entre l’éclosion d’un feu et la distance parcourue en peu de temps, cela a généré un sentiment et un climat de doute, d’autant plus que les feux d’interface des années précédentes n’ont jamais fait autant de ravages.

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La tête du feu avançait à une vitesse vertigineuse, ce qui en a surpris plus d’un. Des témoins oculaires ont affirmé que la hauteur ou l’ascenseur des flammes atteignait parfois plus de 30 mètres.

« Tous les facteurs de déclenchement et de propagation »

Quels sont les facteurs d’éclosion et de propagation de ces feux ?

L’analyse de l’éclatement du feu montre que tous les facteurs de déclenchement et de propagation (triangle du feu) d’un feu étaient là.

En commençant par les facteurs prédisposants : on peut dire qu’outre la végétation ou le combustible constitué à base de chêne vert et de chêne liège, broussaille pyrophyle (calycotome, bruyère, diss) et formations sub-forestière comme le maquis, il y a le relief très accidenté de la région qui favorise la propagation du feu et ralentit les interventions.

Pour les facteurs déclenchants, il y a lieu de mettre en relief la faible probabilité que les feux aient pris naissance par des causes naturelles ou des causes anthropiques involontaires.

Ce qui laisse supposer l’intention pyromane des instigateurs comme annoncé en grande pompe par des autorités mêmes. L’abandon des espaces ruraux et l’évolution de l’occupation des sols, habitations/boisements, ont joué en faveur d’incendies dévastateurs. Enfin, des facteurs aggravants ont donné du fil à retordre pour une intervention efficace et prompte.

« La communication de crise n’a pas été au rendez-vous »

Qu’est-ce qui a compliqué la riposte contre ces incendies dont la vitesse de propagation a été fulgurante ?

La difficulté d’intervention, eu égard à la canicule qui a sévi durant cette quinzaine de jours avec des vents chauds et violents, n’a pas permis aux forces d’intervention de lutter efficacement contre l’avancée des feux.

La vitesse du feu qui dépend étroitement des conditions météorologiques (vent, humidité et température), de la végétation, du relief (exposition et pente) ainsi que d’un facteur prépondérant qui est l’intervention en faveur ou en défaveur du feu, n’a laissé aucune chance aux corps forestiers et aux sapeurs-pompiers, lesquelles parties ont été vivement assistées par l’engagement sans faille par une population terriblement terrifiée, de lutter efficacement.

Notons que le vent a contribué à la dissémination de brandons ou particules incandescentes ; ce qui a multiplié les foyers secondaires. Ces sautes de feu ont pris au dépourvu les moyens de lutte actionnés et le changement aléatoire de l’axe du feu qui passe d’un feu ascendant à un feu descendant et inversement, a rendu parfois caduque l’intervention.

Il va sans dire que ce qui a irrité la population a trait aux moyens d’intervention qui étaient très limités ou plutôt rudimentaires. Des pelles, des branches d’arbres, des pompes dorsales et des moyens de pompiers quasiment inaptes à faire face à des feux déferlants.

L’arrivée tardive des hydravions (canadairs) et des hélicoptères bombardiers d’eau (HBE) a tourmenté la population livrée à elle-même. D’ailleurs, même la communication de crise n’a pas été au rendez-vous.

Des supputations et des rumeurs allaient bon train, particulièrement après l’assassinat du jeune Djamel Bensmail. Normalement, dans de telles circonstances, l’État devrait diffuser toute l’information et à des heures régulières de la journée pour rassurer la population.

Un autre point qui demeure confus et suscite des interrogations, est celui relatif à l’alerte et l’ordre d’évacuation des populations qu’il fallait décider en toute fermeté par les autorités, dans de pareilles circonstances.

On ne laisse pas une population livrée à elle-même face à des feux d’une rare puissance ! Certes, chaque été, des feux de forêt éclatent par-ci et par-là, mais à voir l’ampleur des dégâts qui dépassent, cette fois-ci, tout entendement, il est difficile de ne pas céder à des interrogations sans réponses immédiates.

En matière d’aménagement forestier, des manques sont flagrants (tranchées par feu en faible densité et souvent non entretenues, guérites de surveillance en nombre insuffisant, poteaux ou bornes d’incendies en deçà des normes), l’absence quasi-totale du débroussaillage autour des habitations comme à l’accoutumé, l’insuffisance en matière de sensibilisation sur les feux de forêts, l’absence d’entretien des chemins pédestres comme au temps lointain, est un paramètre qu’il faudra revoir de fonds en comble pour les années à venir.

La coordination intersectorielle telle que stipulée dans les comités opérationnels de commune (COC) et de daïra (COD) n’a de telle que le nom. Il faut revoir le fonctionnement de ces structures qui ne pèsent rien sur l’échiquier.

Des maires ont avoué l’impact nul de leurs notes sur la population quant aux opérations de débroussaillement aux alentours des habitations.

« Le cachet d’une  Kabylie belle et splendide a disparu »

Quelles sont les mesures urgentes à entreprendre après ces incendies sans précédent qui viennent de frapper l’Algérie ? 

De prime abord, il faut circonscrire les séquelles immédiates et futures de ces feux dévastateurs et faire le point sur les dégâts immenses engendrés. Le passage du feu a touché tous les plans.

Les conséquences fâcheuses de ces feux ravageurs consistent en des pertes de vies humaines, brûlage de foyers, disparition du couvert végétal arboricole et forestier avec dysfonctionnement de l’écosystème et tutti quanti.

Les biens et services écosystémiques (BSE) sont complètement chamboulés et la physionomie des paysages est dénaturée. Le cachet d’une Kabylie belle et splendide a disparu pour céder place à un spectacle désolant.

Sur le plan psychologique, des familles entières sont et seront toujours sous le choc avec des séquelles indélébiles. Également sur le plan socio-économique, la perte de milliers, si ce n’est de millions d’oliviers et d’autres espèces d’arbres et de centaines de têtes de cheptel est une perte incommensurable pour les familles et pour toute la région.

Les coupures d’eau et d’électricité, de réseau ont augmenté la fragilité de l’état psychologique du citoyen. Beaucoup de femmes enceintes, des enfants, des vieux et des handicapés ont été malmenés physiquement et psychologiquement.

Enfin, sur le plan politique, la politisation de ces incendies sur les réseaux sociaux et l’opportunisme de certains énergumènes qui pêchent dans les eaux troubles et n’ont pas hésité un instant à verser leur venin sur la région tout en semant la haine entre les Algériens.

 Que faut-il faire pour ne pas avoir à revivre ce genre de drames ?

Afin de ne plus revivre ce cauchemar ineffaçable de la mémoire de la population, il est temps de sortir de la politique de replâtrage et de penser scientifiquement.

Des mesures réfléchies et adéquates doivent être prises de façon raisonnable en prenant en considération les spécificités de la région. Il ne faut surtout pas céder à la précipitation.

L’évaluation des dégâts doit se faire équitablement et en toute transparence. Une équipe mixte formée par des représentants des services techniques (agriculture, forêts, hydraulique, Sonelgaz, comités de villages et autres) va passer au peigne fin toute la région touchée pour établir l’ampleur des dégâts et voir comment procéder au dédommagement des populations sinistrées.

Il est également urgent de constituer une commission mixte composée d’experts, universitaires, conservations des forêts, le Parc National de Djurdjura (PND), l’Institut National de Recherche Forestière (INRF), les élus locaux auxquels il faut associer la société civile, notamment les comités de village dans le cadre d’une gestion intégrée de ces territoires brûlés.

L’équipe pluridisciplinaire aura à se pencher en brainstorming sur une stratégie de prévention et de lutte contre les incendies de forêts idoine à suivre.

L’objectif est d’établir le plus tôt possible un état des lieux où il est impératif de rechercher les causes et circonstances des incendies pour faire éclater d’abord la vérité sur les tenants et les aboutissants de ces feux criminels et de tirer les enseignements pour les années à venir.

Ensuite, conjuguer les efforts pour assortir la panoplie de mesures adéquates pour réhabiliter les massifs forestiers, les oliveraies parties en fumée, sachant que cet arbre (l’olivier) centenaire est un symbole de fierté de la région, mais qui met beaucoup de temps pour rentrer en production de manière massive.

« Il est indispensable d’installer des coupures de combustible »

Quelles sont les mesures à prendre pour protéger les habitations d’éventuelles autres incendies ?

Il est indispensable, en matière d’aménagement local, d’installer des coupures de combustible en fonction des spécificités de la région, particulièrement l’exposition et l’altitude.

En moyenne altitude et sur les versants sud, le recours au figuier de barbarie (opuntia) est vraiment recommandé. En altitude, la plantation sur de vastes territoires de vigne pare-feu a donné ses fruits dans beaucoup de pays.

Afin de constituer des zones rempart contre le débordement des feux, il faudra réaliser des bandes dites de débroussaillage de sécurité (BDS) qu’il faut entretenir en continue.

Ces BDS sont à mener parallèlement avec les axes routiers et comme ceinture de protection à l’intersection des habitations et des boisements.

Techniquement, la gestion des feux de forêts passe inévitablement par l’établissement d’une cartographie des risques d’incendies, c’est-à dire la mise en exergue des zones rouges ou vulnérables et où le risque d’éclosion d’incendie est très probable pour mieux concentrer les efforts de surveillance dans le cadre de la prévention.

Comment pourrait se faire la régénération des forêts détruites par les feux ?

En matière de reforestation et de replantation des périmètres ravagés par les flammes, il faut reboiser là où il faut réhabiliter le capital forestier à base d’essences locales adaptées à l’environnement local (sol, climat et contexte social), repeuplement quand la forêt n’est pas anéantie complètement (régénération assistée et semis à la volée), planter des arbres fruitiers et fourragers pour relancer l’activité agro-pastorale et bien évidemment, arrêter un programme spécial pour l’oléiculture qui constitue la colonne vertébrale de l’agriculture en Kabylie.

Que faut-il revoir en matière de stratégie de prévention ?

Pour remédier à l’inefficacité de la prévention mais aussi de l’intervention, il faudra penser à l’amélioration et à la perfection de l’efficacité du dispositif de prévention anti-incendie (DPAI) qui s’avère inefficace et obsolète au fil des années.

Ce DPAI doit être mûrement réfléchi et consistant. D’abord, il est déplorable de constater que les effectifs du corps forestier soient très inférieurs aux attentes, d’autant plus que les moyens mis à la disposition de ce secteur sont dépassés.

Ce secteur mérite un dédoublement de son budget pour l’acquisition de matériel de surveillance (postes vigie, jumelles, surveillance aérienne) d’intervention (parc roulant suranné) et un recrutement massif de saisonniers au sein de la population locale pour réduire l’éclosion d’incendies.

Autrement dit, il faut mettre en place un plan de type Vigipirate durant toute la période estivale, voire même à l’arrière-saison (octobre et novembre).

En matière d’équipement, il est temps pour l’État d’investir dans l’achat de matériel d’intervention sophistiqué pour la lutte anti-feu.

Il suffit juste de suivre le pas de nos voisins marocain et tunisien qui ont proposé des moyens d’intervention que nous n’avons pas. Le recours à l’achat de canadairs ou la signature de conventions avec des pays équipés (France, Espagne, Grèce, etc) et au renforcement de la flotte des hélicoptères bombardiers d’eau, tout en aménageant des points d’eau d’étendue suffisante pour l’approvisionnement de ces engins, est fondamental pour la sauvegarde de notre patrimoine.

Au plan technique, l’amélioration des connaissances en matière de combinaison et de l’organisation des secours par voie terrestre et par voie aérienne est une urgence et une nécessité incontestable.

La formation des pompiers et forestiers dans la technique de lutte, notamment par les feux dirigés ou tactiques, est nécessaire.

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