Situation épidémiologique, campagne vaccinale, gratuité des soins, réforme du système de santé, accès aux soins, mesures incitatives du président Tebboune : le Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), répond à toutes nos questions. Entretien
Quelle est la situation épidémiologique dans le pays ?
La situation épidémique est préoccupante. Les chiffres qui sont à notre niveau depuis quelques semaines ont tendance à augmenter d’une manière progressive. Cette une hausse un peu lente, mais il est clair que le nombre de cas est en train de monter.
Pour cette dernière semaine, nous relevons dans plusieurs structures de santé, au niveau des services hospitaliers dédiés à l’hospitalisation des malades atteints de covid et dans les services de réanimation, une nette augmentation du nombre de malades.
Il y’a des services qui sont pratiquement à des niveaux de saturation. Ce sont des éléments qui nous poussent à être vigilants mais surtout à rappeler la nécessité de revenir à l’essentiel, à savoir s’organiser au mieux pour le respect des gestes barrières, que ce soit à un niveau personnel ou par rapport aux protocoles sanitaires qui ont été mis en place dans les différents secteurs et activités, et pousser aussi à travers la sensibilisation et la contrainte.
Des lois ont été mises en place pour aller vers la vaccination et ramener le taux de vaccination national à un niveau requis. Sur la dernière courbe des contaminations, nous sommes passés de 80 à 90 nouveaux cas à la mi-octobre à une moyenne de 350 nouveaux cas pour la dernière semaine de décembre. Le nombre de décès reste quant à lui entre 6 à 7 par jour, ce qui est beaucoup. Il faut préciser que lorsque nous disposerons des moyens de dépistage à grande échelle, ces chiffres sont revus à la hausse.
Qu’en est-il des contaminations et des décès parmi le personnel soignant ? Y a-t-il une meilleure prise en charge les concernant ?
Il est clair que lorsque nous sommes dans une situation de poussée pandémique, il y a plus de personnel soignant qui est touché, contaminé et malade.
Malheureusement à chaque flambée de la pandémie, nous faisons cet amer constat, qu’il y a des décès parmi le personnel soignant.
C’est pourquoi, il est important de rappeler la nécessité d’organiser le circuit de prise en charge. Le circuit de soin doit être clairement identifié. Le ministère de la santé, suite aux recommandations de la journée qui a été organisée le 4 novembre 2021 pour faire le bilan de ce qui a été fait depuis l’avènement de la pandémie en Algérie, a décidé de consacrer des structures de santé dédiées essentiellement au covid.
Le ministère a également transmis une instruction, il y a trois semaines, pour demander aux directeurs santé de wilayas de s’organiser en conséquence et mettre en place ces recommandations, ce qui est une bonne chose.
Cela va permettre d’identifier le personnel soignant affecté dans ces structures, les suivre et assurer un suivi médical et psychologique, faire un dépistage de manière régulière et extraire le personnel soignant de la chaîne de soin pour ne pas contaminer le reste de la chaîne.
Le problème de protection a fait défaut au niveau de plusieurs wilayas, et notamment à Alger et Blida. Les moyens même quand ils sont là et qu’ils sont distribués, ne couvrent malheureusement pas tous les besoins.
Dans quel état d’esprit est le personnel soignant ?
Pour le personnel de santé de manière générale, il faut ajouter aux conditions de travail difficiles, au stress lié aux risques de contamination, aux risques de la maladie et au risque de décès, toutes les autres situations notamment la non application des mesures incitatives décidées par le président de la République il y a deux années déjà, à savoir la prime covid trimestrielle, la reconnaissance du Covid comme maladie professionnelle et son inscription sur le tableau des maladies professionnelle. Tout cela n’a toujours pas été fait à ce jour.
A cela s’ajoute, la bonification retraite, la majoration plafonnée à deux années pour tous ceux qui sont mobilisés dans la lutte contre le covid. Deux mois de travail équivaudraient à six mois de cotisation. Tout cela n’a pas été fait.
Le capital décès qui devait être versé aux familles des victimes parmi le personnel de la santé, n’a pas été appliqué également.
Tout cela fait que le personnel de la santé est dans un état d’esprit difficile. Ça bouillonne au niveau des structures de santé dans toutes les wilayas du pays à cause du retard accusé dans l’application et le respect des engagements qui ont été ceux du Président de la République et pour lesquels sur le terrain il y’ a de la résistance et des difficultés pour leur mise en place.
La campagne de vaccination a-t-elle été efficace ?
La campagne de vaccination chez nous n’a pas fonctionné. A présent, le taux annoncé par le ministre de la santé tourne autour de 23% de la population. De manière générale, ce taux reste faible comparé à l’objectif de cette campagne qui était de vacciner 70% de la population d’ici la fin de l’année.
Nous sommes très loin de cette situation. Malgré tout, il y a eu un effort déployé dans l’organisation et pour ramener dans la proximité absolue cet acte vaccinal dispensé gratuitement aux citoyens et en quantité suffisante.
La campagne vaccinale de manière générale, comme pour celle destinées aux personnels de l’éducation nationale, n’a pas provoqué d’engouement. Elle a été un échec.
Il faut repenser une stratégie, et rappeler que les autres pays, qui ont réussi à atteindre les objectifs de leurs campagnes vaccinales, ont instauré le pass sanitaire, dans un premier temps, puis, lorsqu’ils sont arrivés à un taux vaccinal appréciable, ils ont mis en place le pass vaccinal.
Cela a fait débat, mais ils ont pu s’organiser au mieux et dans l’intérêt général. Certaines démarches doivent être décidées par les gouvernements. Nous sommes en décalage par rapport à l’engagement que nous avons vis-à-vis de notre population.
Faut-il instaurer le pass sanitaire pour tous les citoyens ?
Je suis personnellement, depuis le lancement de la campagne vaccinale, pour l’instauration du pass sanitaire afin de pousser les citoyens au respect des mesures barrières. De manière générale, il y a une situation de relâchement total, aussi bien au niveau des personnes que des institutions. Il y a un laisser-aller total.
Sur la réforme de santé, une rencontre nationale réunissant les différents acteurs du système de santé était programmée cette semaine, de quoi s’agit-il ? Quelles sont vos attentes ?
La rencontre nationale qui était programmée la dernière semaine de décembre a été reportée. Le SNPSP était engagé à participer. Il s’agit d’une rencontre des professionnels de la santé, des partenaires sociaux pour discuter des réformes à mettre en place, de l’organisation de l’offre de soin et pour discuter de tout ce qui a trait à l’application de la loi sur la santé de 2018.
Loi que nous n’arrivons pas à mettre en place étant donné que des arrêtés n’arrivent pas à être produits.
Nous sommes dans un décalage total. La façon dont sont organisées les rencontres au niveau des wilayas et des régions ne donne pas l’impression qu’il y a un réel engagement pour arriver à une rencontre nationale et des recommandations et des réflexions à la hauteur des aspirations des professionnels de la santé, des décideurs du pays et de la population.
Nous considérons tout de même que la réforme du système de santé, cette fois-ci, est accompagnée d’une volonté politique. Que ce soit de la part du Président de la République, que du Premier ministre ou du gouvernement qui a consacré au minimum deux conseils des ministres à cette réforme.
Décaler cette rencontre va peut-être nous donner le temps de mieux l’organiser. Nous espérons que ce rendez-vous sera réellement à la hauteur des défis et répondra aux attentes des professionnels de la santé, des partenaires sociaux et des citoyens et permettra de dessiner la politique de l’État pour sortir notre système de santé du marasme dans lequel il est.
Le projet de loi relatif à la suppression des subventions a été adopté. Êtes-vous pour la gratuité des soins ?
Il faut être réaliste. L’essentiel de la question est sommes-nous réellement en train de dispenser gratuitement les soins ? Je dirais non. Il y a toujours une tierce personne, une tierce partie qui couvre les dépenses pour chaque prestation et offre de soin.
C’est le cas dans tous les pays du monde. L’offre de soin doit s’organiser par rapport aux ressources de financement, au niveau des dépenses, et l’équilibre qu’il faut trouver pour assurer le financement et maintenir le niveau des dépenses à niveau requis avec une balance qui peut être négative.
C’est le cas dans quasiment tous les pays. C’est à la charge de l’État et des finances publiques d’assurer ce déficit qui est derrière ce déséquilibre financier par rapport aux dépenses liées aux soins.
C’est une problématique présente dans tous les systèmes de santé. Nous serons obligés de trouver des mécanismes pour maintenir cet équilibre qui relève d’une refonte de la politique économique et de la lutte contre le chômage.
Il faudrait produire plus, ramener une plus-value économique, lutter contre le chômage, mais aussi mettre en place des programme de santé, le sport de masse, l’hygiène de vie, une bonne alimentation, lutter contre le déséquilibre climatique et maintenir un environnement sain. Tout cela va réduire, à moyen et à long terme, les dépenses liées aux soins.
Pour la gratuité, il faudrait plus se concentrer sur l’accès aux soins. L’accessibilité aux soins devient de plus en plus difficile pour l’ensemble des citoyens.
En tant que professionnels de la santé et en tant que partenaires sociaux et syndicalistes, nous sommes constamment sollicités pour intervenir au profit de citoyens qui ont normalement le droit de se faire soigner mais qui sont dans l’obligation de passer par des tiers personnes pour pouvoir hospitaliser des personnes et faire des exploration, bénéficier d’un traitement ou obtenir un rendez-vous. Alors que ce sont des assurés sociaux.
La gratuité des soins relève d’une mesure appliquée dans les années 70-80, période où le pays était dans une situation politique et économique qui n’a rien à voir avec la situation actuelle. Il faut étudier l’expérience des autres pays et prendre en considération ce qui a fonctionné ou pas, et agencer à ce qui peut être appliqué chez nous.
Malheureusement, jusqu’ à présent, nous faisons dans l’hésitation pour aborder cette situation. Aussi bien au niveau des politiques que des responsables de la santé.
Pour la rencontre nationale, l’un des thèmes et principes essentiels sur lesquels il faudrait revenir est cette question de la gratuité des soins. D’autant plus les structures publiques ont de plus en plus de mal à assurer des soins en continu à tout le monde.
Pour cette rencontre, il faut ramener le débat autour du droit et de l’accès au soin, quel que ce soit le niveau de vie et la région et au travers une assurance maladie qui doit être réformée.
La nomenclature de la tarification des niveaux de remboursement et celle de la nomenclature des actes paramédicaux, médicaux et actes de laboratoires de radiologie, n’ont pas été révisés depuis 1987.
On continue à dispenser des soins et des prestations sur des tarifs qui remontent aux années 80. Ce n’est pas normal du tout. La question de la gratuité doit être discutée loin de toute considération politiquo-politicienne. Il faut être pragmatique et être dans la réalité.