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Entretien. Mustapha Bendjama, le journaliste le plus poursuivi en Algérie

Le journaliste et rédacteur en chef du quotidien régional paraissant à Annaba Le Provincial, Mustapha Bendjama, confie être au bord de l’épuisement physique et moral au vu des nombreuses poursuites judiciaires dont il fait l’objet « souvent pour de simples publications sur Facebook ». Entretien.

Vous avez lancé un coup de gueule hier en déclarant que vous n’allez pas vous présenter à votre procès le 25 avril prochain (il devait se tenir hier à la Cour de justice d’Annaba, ndlr). « Vous pouvez me juger par contumace si vous trouvez ça amusant », dites-vous. Pourquoi cette décision ?

Parce que j’en suis à ma sixième affaire maintenant, et à chaque fois ce sont plusieurs convocations au poste de police et chez le juge instructeur…après, c’est le procès. Alors j’y vais une fois, puis on reporte, ensuite une seconde fois, une troisième et une quatrième…ça devient épuisant.

Parce que passer la moitié de la journée au tribunal en train d’attendre, pour qu’au final on te dise de revenir une ou deux semaines après, ça devient fatiguant et ça me prend énormément de temps. Quand vous avez trois procès par semaine ou tous les quinze jours et qu’on refait ça la semaine suivante, ça devient très épuisant et très fatigant.

C’est déjà très stressant d’aller au tribunal et d’attendre son tour pour être jugé, alors vivre ce stress à chaque fois…Cela fait plus d’une année que je vis au rythme des convocations et des procès. Moralement, c’est très fatigant.

Que vous reproche-t-on dans cette affaire et dans les autres ?

Pour l’affaire du 25 avril, un procès en appel, c’est moi qui ai fait appel. J’ai été condamné en première instance à deux mois de prison avec sursis et à 20 000 DA d’amende pour « publications portant atteinte à l’intérêt national ».

L’affaire tourne autour d’un rapport de police qui concerne le suivi et la poursuite de journalistes et correspondants dans la wilaya d’Annaba, et dans lequel on mentionnait qu’il y avait deux journalistes, dont moi-même, qui faisaient dans la subversion.

Le rapport a été publié le 22 octobre 2019 soit le jour de la célébration de la journée nationale de la liberté de la presse. Personnellement, j’ai découvert cette publication sur les réseaux sociaux et je l’ai ensuite partagé comme l’ont fait plus d’un millier d’internautes.

En la partageant j’ai ajouté un commentaire où je dénonçais le fait que le journaliste était considéré comme un criminel et qu’il avait besoin d’être fliqué. Et d’autre côté, vous avez le discours politique qui prône la liberté de la presse. J’y disais que finalement il n’y a pas de liberté de la presse en Algérie.

Et qu’en est-il pour les nombreuses autres affaires ?

Pour la presque totalité des affaires, c’est en rapport avec mes publications sur Facebook. Pour ce qui est de la première affaire, pour laquelle j’ai obtenu la relaxe en première instance et en appel, c’était mon opposition au déroulement des élections.

Il y a un procès dans lequel je suis poursuivi pour un événement dans lequel je n’étais même pas présent. Un sit-in que je n’avais même pas couvert. Je précise qu’il s’agissait d’un sit-in que je n’ai pas couvert et pendant lequel je n’étais même pas présent !

J’étais avec trois avocats et je me rendais dans le bureau d’un autre avocat quand j’ai été arrêté sur le Cours de la Révolution (centre-ville d’Annaba) où se trouve et le siège de mon journal et le bureau de l’avocat. Le seul délit que j’ai commis, c’est d’avoir mon bureau sur le Cours de la révolution.

« C’est encore une forme de harcèlement », s’est solidarisé votre confrère de Constantine Abdelkrim Zeghileche. Vos affaires judiciaires sont nombreuses. Pensez-vous faire l’objet d’un acharnement judiciaire ?

Personnellement j’en suis convaincu, comment appeler ça lorsque vous êtes convoqué pour toute publication sur Facebook. Or souvent, avant de poster un commentaire sur ma page qui pourrait être interprété d’une manière ou d’une autre, je demande à l’un de mes avocats de le consulter et de me dire ce que je risquais en publiant tel ou tel texte. Et il me dit que non, que dans le cadre de la loi il n’y a rien, ni incitation, ni insultes ou propos haineux.

Une campagne de solidarité a été lancée en votre faveur « Que cesse le harcèlement judiciaire contre le journaliste Mustapha Bendjama#Stop!,! قف ». Quel sentiment ça vous fait ?

Sincèrement ça fait chaud au cœur, parce que j’essaie de garder les nerfs solides, mais il y a des fois où je finis par craquer. Car ça en fait trop ! Hier, je n’allais pas du tout bien et je ne voyais pas le bout du tunnel.

Récemment, j’étais presque heureux de savoir que je n’avais plus « que » trois procès pour clore tous les dossiers et redevenir un citoyen ordinaire qui n’a pas à se présenter chaque semaine ou deux devant un tribunal ou une cour de justice. Or, j’ai été surpris de savoir qu’il y a deux affaires toutes nouvelles et toutes fraîches. Tout ça commence sincèrement à m’épuiser physiquement et moralement.

Quel constat faites-vous de la situation de la liberté de la presse dans notre pays ?

À titre personnel, je n’ai jamais vu une telle détérioration de la liberté de la presse et d’expression en Algérie. Je n’ai jamais vu un nombre aussi important d’arrestations et de procès, souvent pour des simples opinions exprimées et qui n’ont rien à voir avec la haine raciale ou la violence, mais qui conduisent à des peines de prison. On assiste aussi à des agressions contre des confrères qui couvrent le Hirak, un grave dérapage quelle que soit la partie qui commet ou qui a commandité l’acte.

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