Le Pr Mohamed Belhocine, membre du comité scientifique de suivi de la pandémie de covid-19, juge la situation sanitaire « très préoccupante » en Algérie.
Quelle lecture faites-vous de la situation épidémiologique due au covid-19 en Algérie ?
La situation est très préoccupante. Elle est grave. Cela fait des semaines voire des mois que je tire la sonnette d’alarme : pendant une période où tout le monde pensait qu’on était sorti de l’épidémie, il y a eu l’introduction des variants notamment le Delta (indien) dont on connait la redoutable capacité de transmission.
Des pays, parfois mieux lotis que le nôtre, se battent difficilement contre la remontée des contaminations. On a aussi la Tunisie voisine dont le ministère de la Santé a reconnu l’effondrement du système de santé du pays.
Il n’est pas exclu, si la pression continue à monter, que nous nous retrouvions dans cette situation que je ne souhaite évidemment pas pour notre peuple. Mais elle nous pend au nez.
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Le relâchement total sur les mesures barrières n’est-il pas la principale cause de la flambée du covid-19 en Algérie ?
Oui, il y est pour beaucoup. En fait, il n’y a pas trente-six milles méthodes pour éviter le Covid-19. Il y en a à peu près trois, aucune d’entre elles ne vous garantit à 100 % que vous ne tomberez pas malade, mais si vous combinez les trois vous avez de fortes chances de passer la vague sans passer par la case de contact avec le virus.
La première de ces mesures c’est la prévention individuelle par le port du masque, l’hygiène des mains et le respect de la distanciation physique. La deuxième mesure, c’est l’autoconfinement quand on sait qu’on a été en contact avec un malade.
Il faut en finir avec le tabou, il ne faut pas avoir honte de la maladie. Restez chez vous et ne faites pas semblant que vous n’avez rien parce que vous êtes en train de contaminer autour de vous.
Quand vous avez un soupçon que vous avez été en contact avec le virus, faites-vous tester. Les quelques wilayas qui utilisent la plateforme numérique, que nous n’arrivons malheureusement pas à déployer sur l’ensemble du territoire national, en une semaine? nous avons effectué plus de 1 000 enquêtes épidémiologiques, ce qui veut dire qu’il y a eu au moins 1 000 notifications en une semaine sur 4 ou 5 wilayas d’un seul coup.
En effectuant 1 000 enquêtes épidémiologiques, on s’est donné la chance de couper au moins 1 000 chaines de transmission. Et si dans 4 ou 5 wilayas on a 1 000 chaines de transmissions, cela veut dire que la situation est effectivement très grave.
La troisième mesure, évidemment, c’est la vaccination. Dans des pays comme le Royaume-uni qui a beaucoup vacciné, les cas Covid avec le variant Delta sont remontés avec une forte pression sur les hôpitaux, mais on y compte beaucoup moins de décès chez les personnes vaccinées.
C’est l’avantage d’être vacciné. Reste qu’être vacciné ne veut pas dire qu’on ne peut pas être contaminé ou qu’on ne peut pas être contagieux.
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Le vaccin tout seul ne suffit donc pas. Pas plus que la protection individuelle, seule, ne suffit également pas…
C’est avec la combinaison de ces mesures qu’on peut espérer faire reculer l’épidémie. Et à un moment donné, il faut regarder les choses en face et si le nombre de cas augmente de façon importante, il est clairement et scientifiquement établi que la limitation de la mobilité humaine est le recours le plus important pour casser les chaînes de transmission.
Ce n’est rien d’autre que le confinement. Alors total ou partiel, généralisé ou localisé, peu importe, mais le passage par le confinement peut s’imposer à nous et, de mon point de vue personnel, plus tôt on confinera, moins grave sera la situation qu’on pourrait affronter dans les jours ou les semaines qui viennent.
Cette augmentation des cas de covid est-elle liée à la réouverture partielle de nos frontières ?
Pas du tout. En fait, on ne sait pas du tout comment les variants ont été importés, en particulier le variant Delta. L’ouverture des frontières est venue bien après qu’on ait dénombré un nombre élevé de cas du variant Delta.
Je ne pense pas que c’est l’ouverture des frontières qui soit à l’origine de la flambée. Les gens ayant été rassurés par les chiffres qui ne reflètent en réalité que les personnes qui passent par la PCR, peut-être c’est ce qui a fait qu’il y a une espèce de relâchement. Et le variant Delta se transmettant très vite, aujourd’hui, on fait face à une situation assez préoccupante.
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Vous avez cité le cas de la Tunisie où la situation épidémique est très grave, faut-il suspendre les vols avec notre voisin de l’Est ?
J’ai déjà dit que limiter la mobilité humaine c’est limiter la transmission. Il y a deux vols par semaine vers la Tunisie, et le filtre de contrôle aux frontières qui est en marche.
Donc, les voyageurs qui viennent de Tunisie doivent premièrement être munis de test PCR négatif et deuxièmement ils doivent se soumettre au confinement pendant 5 jours, et troisièmement ils doivent subir un test antigénique avant de sortir du confinement. Je pense que ce filtre est suffisant, en étant extrêmement vigilant sur les allers et venues.
Faut-il selon vous renforcer le dispositif sanitaire aux frontières ?
Il faut déjà s’assurer qu’il est exécuté convenablement et dans les termes dans lesquels il a été mis en place. Maintenant, c’est un dispositif qui n’est pas le pire mais qui n’est pas le meilleur, si la situation dans le monde venait à empirer, il serait peut-être bien de réfléchir à des approches légèrement différentes.
Comme par exemple arrêter les liaisons aériennes, comme le font certains pays, ou vice-versa avec les pays avec qui vous pourrez vous sentir en sécurité lorsque la situation sera plus stable. Pour l’instant, on n’en est pas là.
Le président de la République a réuni hier samedi le comité scientifique et des décisions ont été prises : durcissement, respect des mesures barrières (port obligatoire du masque) et accélération de la vaccination…
On revient aux fondamentaux sur lesquels il y a une double responsabilité : la responsabilité citoyenne et celle des institutions en charge de la mise en œuvre de ces mesures.
Je ne parle pas que de la force publique, mais de toutes les institutions qui reçoivent du public et qui normalement ont souscrit à des protocoles sanitaires.
Je veux parler des supermarchés, les établissements d’enseignement, les administrations publiques, etc. Force est de constater que dans ces endroits-là, tout le monde se comporte comme si on n’était pas en pleine pandémie…