Dans le cadre des mesures prises pour faire face à la chute des prix du pétrole, le Conseil des ministres, réuni dimanche, a décidé de porter à la baisse le budget de fonctionnement, de 30 à 50%. Cette mesure concerne les dépenses de l’Etat et ses institutions. Est-ce que c’est un pas de plus vers la rationalisation des dépenses de l’Etat et la diminution du train de sa vie ?
Smain lalmas, Manager d’entreprise et analyste économique : Vous savez, nous avons toujours réclamé la mise en place d’une politique de réduction du train de vie de l’Etat à travers une plus grande rationalisation de l’utilisation de ses moyens, mais sans résultats, malgré que cela figurait souvent dans les discours et programmes des différents gouvernants.
Le gaspillage de l’argent public a été le sport favori à tous les niveaux de responsabilité, même en situation de crise, rien ne peut freiner les habitudes dépensières héritées du temps des vaches bien grasses.
Les coupes budgétaires dans ce genre de scénario sont nécessaires pour faire face à cette crise qui s’annonce très dure notamment sur le plan économique. Il est évident que si on se réfère à l’annonce faite lors du dernier conseil des ministres, de réduire de 50% le budget de fonctionnement, cela va nous permettre de dégager une somme assez conséquente de 2 500 milliards DA, je pense même qu’ils finiront par agir sur le budget d’équipement estimé à 4 500 milliards DA, dont une bonne partie était dédiée au financement de nouveaux projets et qui sera récupérée.
Il faut savoir que dans la loi de finances 2020, il est question d’une fiscalité ordinaire de 4 000 milliards DA sachant que l’exercice 2019 a connu un ralentissement significatif de l’appareil économique, (idem d’ailleurs pour 2018) donc c’est un chiffre qui sera revu sérieusement à la baisse. Même scénario avec les incertitudes autour de la fiscalité pétrolière estimée à 2 200 milliards DA. Par ailleurs, je vous signale qu’on nous annonce des augmentations des retraites, du Smig, suppression de l’IRG sur salaires de moins de 30.000 dinars, et le recrutement de milliers de vacataires. C’est bien beau tout cela, mais je vois mal comment financer toutes ces mesures.
Ces coupes sont-elles suffisantes pour financer le déficit budgétaire ?
On aura compris que les coupes budgétaires seront insuffisantes pour minimiser l’impact de cette crise, il faut aller prospecter d’autres niches comme au niveau de certaines grandes entreprises, je citerai Air Algérie par exemple, avec ses 34 agences commerciales à l’étranger à l’époque du numérique où il suffirait d’un petit clique pour acheter son billet.
L’austérité devrait concerner même le corps diplomatique, en réduisant ses effectifs au niveau des représentations diplomatiques, et pourquoi ne pas fermer certaines ambassades qui ne sont pas importantes pour le moment, ou qui se trouvent dans des pays avec lesquels l’activité n’est pas dense.
Je pourrai citer aussi un autre dossier qui constitue un gouffre financier pour le trésor public et un manque à gagner considérable, j’en ai souvent parlé d’ailleurs, il s’agit de la résidence d’Etat Club des Pins et Moretti, un lieu qui devrait retrouver sa vocation initiale qui est le tourisme, des milliards consacrés pour sa gestion et des milliards comme manque à gagner. Ça sera un geste hautement symbolique qui servira aussi d’exemple pour la réussite du plan anti-gaspillage.
La crise sanitaire est accompagnée d’une crise économique pour l’Algérie. Une circonstance aggravée par la chute des prix du pétrole. Quelle évaluation faites-vous de l’impact de cette crise économique sur le pays ?
Vous réduisez cette crise à deux aspects, à savoir sanitaire et économique, alors qu’on a tendance à oublier que pour l’Algérie, c’est avant tout une crise politique, notamment depuis la révolte du 22 février 2019.
Si je me limite à l’aspect économique, laissant le soin aux professionnels de la santé d’apporter leur contribution objective, concernant la gestion de la crise sanitaire, je dirai que l’Algérie est confrontée à un scénario catastrophe avec la chute du prix du baril de pétrole au plus bas depuis longtemps, conjuguée surtout aux plus sombres scénarios de reprise de l’économie mondiale.
Alors que la situation financière de l’Algérie se caractérise par la fonte des réserves de change, et une inflation en termes de besoins pour les ménages et pour l’appareil de production, l’urgence aujourd’hui, serait de dégager les financements nécessaires pour des actions et des mesures urgentes afin d’éviter l’effondrement de notre économique, sachant que l’Algérie a hérité d’une décélération de la croissance depuis notamment 2018 suite à la réduction du budget d’équipement accompagné d’un climat politique pas du tout favorable à l’investissement qui continue à l’être, tant qu’il n’y aura pas de réponse politique aux attentes du peuple.
Cette prévision de ralentissement de la croissance pour 2020 était déjà prévue avant le Covid-19, et qui sera bien sûr aggravée par cette crise mondiale. Cela compliquera forcément la possibilité de sortie de crise rapidement, surtout que la relance économique sera lente pour les secteurs dont la dépendance envers l’étranger en matière première et produits semi finis est importante, vu le temps que nécessiterait la relance de la machine économique mondiale.
Il est vrai que les finances du pays ne sont pas au beau fixe, mais étant donné que l’investissement public génère l’essentiel de la croissance, une baisse brutale dans les dépenses pour investissements serait fatale, contre-productive et aggravera le coût social de la crise avec des conséquences dramatiques sur plusieurs fronts. Il ne faut pas oublier que notre économie est portée essentiellement par la commande publique.
Peut-on espérer un retour rapide de l’activité économique après le déconfinement si celui-ci venait à être décidé ?
Cela dépendra bien sûr du plan élaboré par le gouvernement qui accompagnera la phase de déconfinement, dont nous n’avons pas réellement les contours. Logiquement, le redémarrage ne sera pas le même pour tous les secteurs. La relance pour certains sera lente, par contre, je prévois une accélération rapide pour d’autres activités qui ne sont pas à l’arrêt ou qui le sont partiellement.
Par ailleurs, il est évident que vu l’aspect introverti de notre économie, c’est-à-dire tourné vers l’intérieur, on aura moins de mal à redémarrer, si bien sûr les conditions sont réunies, et qu’il n’y aura pas de problèmes d’approvisionnement vu que l’Algérie étant très dépendante des pays européens ou asiatiques concernant l’importation de matières premières, produits semi finis ou produits manufacturés, donc, l’arrêt temporaire de l’activité économique au nord de la Méditerranée et en Asie orientale entraînera momentanément des pénuries d’approvisionnement pour certains secteurs, conduisant à un ralentissement de l’activité économique .
Face à la crise économique que vit le pays, le président de la République a écarté l’idée d’un retour aux financements extérieurs et à la planche à billets. Il penche plutôt vers l’option de « l’emprunt auprès des citoyens ». Il a relevé, dans ce sens que le secteur privé non structuré représente « quelque 6.000 milliards de DA à 10.000 milliards de DA de fonds à injecter. L’option choisie est-elle appropriée et comment va-t-on s’y prendre ?
Donc vous voulez parler de deux options différentes, la première concerne l’emprunt auprès des citoyens donc emprunt national, et l’autre option consiste à capter l’argent de l’économie parallèle estimé entre 6000 et 10000 milliards DA.
En général, lorsque le niveau des finances publiques sont au plus bas et que les États ont du mal à emprunter sur les marchés annexes, ils lancent ce qu’on appel communément l’emprunt national, qui est à vrai dire, une dette financière, souvent à long terme, de l’État auprès de ses citoyens.
Pour l’autre option, il s’agit de capter l’argent de l’informel, une piste censée être très intéressante pour supporter cette crise, surtout qu’on avance des montants importants entre 6 et 10 000 milliards DA qui circulent dans la sphère informelle.
Mais il se trouve que la réussite des deux options reposent sur le dénouement du troisième volet de la crise que j’ai mentionné au début de l’interview à savoir le volet politique, notamment depuis au moins la révolution du 22 février 2019 .
Donc, la réussite de ces mécanisme ont un coût politique, pour la simple raison, que je vois mal ,comment le peuple, qui sort depuis plus d’une année, dans un élan révolutionnaire impressionnant et qui attend une réponse politique à ses revendications tout à fait légitimes de la part du pouvoir, va accepter d’adhérer aux schémas de ce même pouvoir qui continu à l’ignorer. Ça me parait très compliqué, en l’absence d’un traitement sérieux de la crise politique, de communiquer autour de ces deux options préconisées par l’Etat, à savoir inciter la population à participer à l’emprunt et convaincre les acteurs de l’informel à injecter leurs capitaux dans les circuits officiels.
Les réserves de change du pays chuteront à 44,2 milliards de dollars d’ici fin 2020, selon les estimations de la loi de finances complémentaire (LFC). Comment analysez-vous cette chute et les conséquences qui en découlent ?
Je constate que vous reprenez les chiffres du porte-parole du gouvernement, qui situe le niveau de nos réserves de change à 51.6 milliards de dollars, alors qu’en 2019, les réserves de change de l’Algérie s’établissaient à 62 milliards de dollars, chiffre validé par les notes de conjoncture de la Banque d’Algérie correspondant à cette période, et conforté par l’intervention du Gouverneur de la banque d’Algérie au début de l’année 2020.
Il faut commencer par nous communiquer le niveau réel de nos réserves, parce que si le porte-parole du gouvernement a donné le bon chiffre, cela veut tout simplement dire que le gouvernement a consommé en 4 mois l’équivalent de 10.4 milliards de dollars.
Cela dit, depuis la chute des prix du pétrole en 2014, l’Algérie a consommé les 3/4 de ses réserves de change, pour pallier à la situation de déficit budgétaire, conséquence d’une mauvaise gestion , d’une corruption généralisée et aussi de la baisse des volumes d’exportation d’hydrocarbures conjuguée à l’instabilité des prix. Cette situation serait appelée à s’aggraver avec cette pandémie qui a provoqué l’arrêt de l’économie mondiale.
Je dirai donc qu’il est impératif de passer par la solution politique pour gagner l’adhésion du peuple autour d’un programme d’urgence pour supporter à moindre coût cette crise, mais aussi pour penser ensemble une feuille de route qui va nous permettre d’emprunter ensemble le grand virage vers la nouvelle Algérie.