Politique

Entretien. Soufian Djilali : « Le Maroc a l’appui du lobby sioniste en France et dans le monde »

Soufiane Djilali est le président du parti Jil Jadid. Dans cet entretien à TSA, il parle du livre qu’il vient de publier sur « La modernité, genèse et destin de la civilisation occidentale contemporaine », la décision du président Macron d’apporter le soutien de la France aux thèses marocaines sur le Sahara occidental, les présidentielles algériennes…

Vous venez de publier un livre intitulé : « La modernité, genèse et destin de la civilisation occidentale contemporaine ». Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un tel sujet ?

Toute personne qui croisera le titre de mon livre en sachant que je suis un homme politique se posera probablement cette question. Pourquoi s’intéresser à la civilisation occidentale alors que nos problèmes à nous nous suffisent ?

En vérité, c’est parce que je suis parti d’une réflexion sur l’état de notre société que j’ai dû faire ce détour. Dans un précédent essai que j’avais intitulé « Choc de la modernité, crise des valeurs et des croyances », j’avais décrit les structures psychosociologiques qui animaient notre mentalité et surtout leur dégradation par effondrement des valeurs anthropologiques qui en étaient l’armature.

La perte de cohérence de la société traditionnelle sous l’effet de la modernité posait évidemment la question de la pertinence de cette dernière.

 Cette relation à établir entre la tradition et la modernité est d’autant plus légitime que la forme de la société traditionnelle telle qu’elle a été par le passé est définitivement condamnée mais que, par ailleurs, la modernité reste un ordre social plus fantasmé qu’assumé.

Même les porte-voix de la modernité s’inscrivent plutôt dans une démarche de copier-coller que dans une analyse objective et réaliste qui permettrait la conception d’un véritable projet de société.

J’ai donc voulu clarifier ce qu’était la modernité avant de m’investir, dans une seconde phase, dans la formulation d’une démarche politique réaliste pour concevoir un projet de société pour notre pays.

En réfléchissant sur la modernité occidentale, je me suis aperçu qu’elle s’était construite sur la base de quatre piliers essentiels, édifiés au fur et à mesure et l’un après l’autre.

Au moment de l’effondrement de l’ancien empire romain, le christianisme s’y était déjà installé depuis près de deux siècles. Les invasions germaniques dites barbares avaient mis à sac Rome.

C’est le christianisme qui a fini par dominer le mental européen et créer une culture et une morale qui a pu régner durant le Moyen-Âge.

Mais les différents États commençaient à se cristalliser autour des seigneurs de la guerre et des féodalités au cours de cette période et surtout durant le Moyen-Âge tardif.

Un mouvement de protestation anticléricale depuis la Renaissance au XIVème siècle jusqu’à la survenue du schisme protestant en 1517, ont par ailleurs ouvert la porte à l’éclosion du sentiment national et identitaire.

Religion, Etat et Nation, les trois premiers acteurs qui ont permis à la modernité de se mettre en place, les deux derniers luttant contre le premier.

Dès le XVIIIème siècle, les principaux Etats-nation européens prenaient forme. Enfin, le quatrième pilier, l’économie, qui a pris son essor avec la révolution industrielle en Angleterre à cette même époque, avant de se répandre sur le reste de l’Europe continentale.

J’explique dans mon livre assez longuement le processus de développement de chacun de ces quatre piliers en visitant y compris leur fondement psychologique.

Dans une deuxième partie du livre j’ai abordé le rôle de la dimension intellectuelle, psychologique et sociologique de la modernité. Enfin, la troisième partie a été, quant à elle, consacrée à l’étude des évolutions futures envisageables de la modernité.

Quel est le lien avec l’Algérie ?

Vous savez, la modernité a investi notre champ social par effraction et probablement en trompe-l’œil.

En 1962, les Algériens, en récupérant leur souveraineté, pensaient que le problème central de notre sous-développement était matériel.

Nous n’avions pas d’usines et nous ne produisions pour ainsi dire que très peu de choses. Pas de technologie, pas de savoir-faire, pas d’ingénieurs ni de médecins.

L’idée était donc d’organiser la société en lui donnant la possibilité de s’industrialiser et d’être éduquée.

Cependant, nous n’avions pas alors mesuré toutes les conséquences de tels choix. Nous avions cru que posséder les biens de la modernité nous rendait ipso facto modernes.

Or, les peuples fonctionnent avec des « logiciels cognitifs » dont les valeurs anthropologiques en sont l’alphabet. Le mode de vie induit par une modernisation matérielle accélérée s’est rapidement heurté à une mentalité forgée par des valeurs traditionnelles qui relèvent d’un autre registre. 

C’est cette incompatibilité entre modernité et tradition, entre un modèle consumériste et des valeurs non adaptées, qui s’est cristallisée en une crise violente durant les années 90, mettant en évidence une névrose très profonde.

Ce qui nous amène forcément à cette interrogation : faut-il, pour retrouver une stabilité de la société, revenir en arrière et remettre en selle nos structures traditionnelles, pourtant défaillantes, tout en saupoudrant tout cela d’une modernisation de surface ou bien sommes-nous contraints d’accélérer le rythme de cette dernière et faire basculer la société dans la modernité ?

Avant de répondre quant au fond à cette question, il me fallait comprendre le processus par lequel s’était construite la modernité occidentale et voir par ailleurs, où exactement elle allait mener les peuples qui l’avaient adoptée.

Est-ce que la modernité occidentale nous arrangerait vraiment ? Avons-nous la volonté en tant que peuple de nous engager sur une voie qui nous mènerait fatalement à une société ouverte où les valeurs traditionnelles et en particulier la dimension spirituelle en seraient exclues ?

Cela ne serait-il pas une aventure dangereuse pour la stabilité et la cohésion de la société ? Ce sont là des thèmes extrêmement importants qu’il faudra approcher avec une grande prudence et une attention pleine de délicatesse.

L’Algérie doit-elle choisir entre la modernité et la tradition ou trouver son propre chemin ?

La réponse est dans votre question. Oui, par intuition mais aussi de façon objective, l’Algérie aura à trouver un chemin qui lui est propre.

Elle est en demeure d’abord de faire son introspection. Elle doit établir son bilan et celui-ci ne débute pas en 1962 ni même en 1830.

 

Maintenant que j’ai le modèle de la modernité européenne, je peux faire des comparaisons sur l’évolution de notre pays depuis l’Antiquité et se poser des questions sur les raisons des échecs ou des réussites réalisées à telle ou telle période.

L’histoire de l’Algérie est très riche, complexe et passionnante. Il nous faut alors préciser les dynamiques sur le long terme qui mettent en relief les valeurs anthropologiques agissantes dans les profondeurs. Une fois le véritable diagnostic établi, il restera à agir sur les points forts pour les renforcer et les points faibles pour les réformer.

Pour revenir à votre question, je suis convaincu que notre avenir n’est à rechercher ni dans le passé traditionnel ni dans une modernité qui ne nous appartient pas.

Les islamistes, conservateurs et réactionnaires veulent la première solution en proposant même de remonter encore plus loin dans le passé, tentant de reconstruire l’habitus du VIIème ou VIIIème siècle de notre ère, tout en faisant quelques concessions au monde moderne qui les a, en réalité, déjà submergés.

Autant vous dire qu’il s’agit là d’une illusion qui nous a déjà coûté très cher. De l’autre côté, il y a les progressistes qui souhaitent s’aligner sur le monde occidental tel qu’il est aujourd’hui, prenant l’aspect formel pour sa réalité. Là aussi, je pense que cela relève de l’impossible.

Je tiens à préciser que toutes les civilisations encore vivantes aujourd’hui, se posent cette même problématique. La modernité est inévitable mais quelle place laisser à la tradition et plus précisément à quelle tradition ? Comment faire une synthèse ?

La Chine, par exemple, s’est totalement engagée dans un modèle occidental pour développer son économie. Je prends le pari cependant qu’elle va maintenant orienter ses efforts pour faire épanouir sa culture confucéenne et taoïste.

La Russie, après avoir adopté le communisme (qui est aussi une forme de modernité occidentale) s’en était défaite pour rejoindre le modèle libéral. Aujourd’hui, elle rebrousse chemin et recherche la troisième voie en essayant de recourir aux valeurs orthodoxes.

L’Inde, également, se replie sur un nationalisme religieux hindouiste de plus en plus ombrageux d’ailleurs. De même pour la Turquie sunnite et l’Iran chiite. Toutes ces civilisations ont peur de la dérive d’une postmodernité wokiste.

La cérémonie d’ouverture des JO à Paris a montré, pour ceux qui avaient encore un doute, qu’un grand malaise s’installe face à ce qui est légitimement perçu comme une grave dérive morale.

En Algérie, trois candidats viennent d’être retenus pour la présidentielle de septembre 2024. Quelle lecture faites-vous de cette liste ?

Pour être franc, disons qu’il n’y a aucun pour ces élections, le pouvoir a opté pour « la continuité dans la continuité ». Mon espoir est que le prochain mandat présidentiel soit tout de même celui d’une réelle transition.

Nous venons de clôturer un cycle de 62 ans dans lequel des choses essentielles ont été faites, souvent dans la douleur, mais aussi avec des ratés monumentaux dont il faudra tirer les conséquences. C’est une période qui a phagocyté trois générations, soit à peu près la durée du cycle khaldounien.

Si le prochain mandat est effectué dans le même état d’esprit que l’actuel, l’Algérie perdra l’opportunité de se consolider en tant que nation et de contribuer à la nouvelle géopolitique mondiale qui se dessine.

Il est absolument nécessaire qu’une profonde réflexion suivie de la conception d’un véritable programme de refonte des institutions de l’Etat soient réalisées.

Il faut changer de paradigme dans la sélection des futurs responsables politiques et gouvernementaux. Il faut passer à la compétence, au sérieux et au mérite.

Le pays étouffe sous la médiocrité, l’amateurisme et le clientélisme.  Il n’y a aucune vision sérieuse sinon la répétition en moins bien des méthodes du passé avec fermeture politique et médiatique ; c’est l’échec assuré. 

L’organisation même du fonctionnement de l’Etat doit être repensée. Le modèle actuel a atteint toutes ses limites et le fossé entre gouvernants et gouvernés devient dangereux. D’ailleurs, le taux réel de participation aux prochaines élections sera révélateur de l’état d’esprit des Algériens.

Le système politique est donc dans une phase d’exacerbation des contradictions. De ce fait, le pays est entré dans une forme de démoralisation.

Il y a une déliquescence interne qui fait peur. Les citoyens se détournent de tout, ne voient plus que les aspects négatifs de la vie au quotidien : inflation, dégradation de l’espace public, corruption, bureaucratie pathologique…

Ils sont fatigués des discours creux, des vantardises des « cireurs de bottes », de la course à qui signe son allégeance en premier sous les projecteurs mais de l’inaction face aux véritables défis. Les hommes d’honneur sont blessés devant ces indignités.

Ces élections présidentielles auraient dû être l’occasion pour insuffler de la vie dans le discours politique, un peu de suspense, de la curiosité intellectuelle, un débat politique…

Malheureusement, le retour aux pratiques du passé de manière caricaturale est désespérant. Les ratés publics avec l’opération des parrainages à la candidature et du fonctionnement de l’ANIE, sont affligeants.

L’ANIE ne fonctionne que sur la base des équilibres internes au pouvoir, sans véritable transparence. Elle est en porte à faux par rapport à une vie multi partisane.

La vérité crue est qu’elle n’est qu’une annexe administrative sans aucune réalité d’autonomie. De toutes les façons, elle est devenue antinomique avec des élections libres. Soit elle sera remisée au placard dans sa formule actuelle, soit ce sera la disparition de ce qui reste du multipartisme.

Aux dernières législatives, la France a évité le pire de tomber dans l’escarcelle de l’extrême droite, ce qui aurait plongé les relations avec l’Algérie dans une crise inédite.

Mais cette crise n’a pas pu être évitée après la décision du président Emmanuel Macron d’aligner la position de la France sur celle du Maroc concernant le conflit au Sahara occidental.  En signe de protestation, l’Algérie a annoncé mardi 30 juillet le retrait de son ambassadeur à Paris. Quelle est votre réaction ?

Fondamentalement, nos relations avec la France sont mal montées, mal structurées. Le côté passionnel est devenu encombrant.

Nous devons revisiter notre positionnement géopolitique et comprendre les intérêts des partenaires tout en défendant les nôtres.

Avec la position de la France exprimée par le Président Macron sur le Sahara Occidentale et son alignement total sur la politique marocaine, il devient évident que les salamalecs entre les deux Présidents étaient factices.

Pendant que notre Président parlait d’une prochaine visite historique en France après les présidentielles, les vraies décisions se nouaient dangereusement derrière notre dos.

Pourtant les prémisses d’une telle position française étaient là au moins depuis la visite du ministre des Affaires étrangères français au Maroc il y a quelques cinq mois de cela.

Le Président n’était pas informé de ce qui se tramait semi ouvertement ? Notre ambassade à Paris n’avait aucune information ? Sur cette affaire de la décolonisation du Sahara Occidental, la France a toujours pris une position en faveur du Maroc.  

Ajoutons que le Maroc a accepté de passer une alliance stratégique avec Israël quelles qu’en soient les conséquences pour notre région. En retour, il a l’appui du lobby sioniste en France et dans le monde.

Le silence honteux et ignominieux d’un Occident soumis face au génocide en cours à Gaza montre à celui qui a un doute l’extraordinaire puissance politique du mouvement sioniste.

Il est clair maintenant que le sionisme structure non seulement la politique de plusieurs États occidentaux mais déterminera la géopolitique des années à venir.

Justement, et pour revenir à mon ouvrage, j’analyse longuement le pourquoi de cette puissance du sionisme en liaison avec le monde protestant messianique dont la volonté de puissance traduit un suprémacisme racialiste actif. Après le nazisme hitlérien, l’humanité vit aujourd’hui ses heures les plus sombres et les plus déterminantes pour son avenir.

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