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ENTRETIEN. UE – Algérie : les raisons du bras de fer

ENTRETIEN. UE – Algérie : les raisons du bras de fer

L’Union européenne a engagé, vendredi 14 juin, une procédure contre l’Algérie sur les mesures prises par le gouvernement algérien pour réguler les importations. Dans cet entretien, le Professeur en économie, Brahim Guendouzi, revient sur ce bras de fer, l’accord d’association, les restrictions sur les importations…

L’Union européenne a lancé le 14 juin une « procédure de règlement des différends contre l’Algérie ». Elle a cité un certain nombre de mesures prises par l’Algérie depuis 2021 pour justifier sa décision. L’UE ?

La Direction générale du commerce de la Commission européenne a, en effet, saisi le Conseil d’association, par une note verbale, d’un différend existant entre l’Algérie et l’Union européenne, en matière de commerce extérieur et d’investissement.

Les griefs mentionnés se rapportent à un ensemble de mesures prises depuis 2021 par le gouvernement algérien et ayant entravé, selon la note, les exportations et les investissements de l’Union européenne en Algérie.

Aussi, l’on s’interroge sur le lancement par l’UE d’une telle procédure de règlement des différends contre l’Algérie, certes prévue dans l’Accord, auprès du Conseil d’association, en ce moment précis ?

Bien auparavant, le président algérien a demandé une révision de l’Accord d’association Algérie – Union européenne, « clause par clause », car considérant que la question de fond se pose en termes de déséquilibres flagrants des échanges commerciaux au détriment de l’économie nationale, des difficultés d’accès aux marchés européens et de la faiblesse des flux d’IDE à destination de l’Algérie.

Il est clair que l’Union européenne reste le premier partenaire commercial de l’Algérie avec plus de la moitié de ses achats de l’extérieur.

S’agissant du volet commercial, certaines restrictions qui ont été prises ces trois dernières années, en vue d’ajuster la balance commerciale, sont décriées aussi bien par les opérateurs nationaux que par les partenaires commerciaux de l’Algérie, notamment ceux de l’Union européenne.

La plupart de ces mesures de restrictions peuvent se justifier du point de vue des pratiques commerciales internationales, surtout lorsqu’il s’agit de la dégradation de la balance des paiements ou bien dans le souci de la protection de la production nationale liée à une industrie naissante (industrie automobile, industrie céramique).

Aussi, des mesures de sauvegarde prévues par l’article 11 de l’Accord (tel le droit de douane additionnel de sauvegarde -DAPS- touchant près de 1.000 sous-positions tarifaires) sont mises en place dans le souci de prémunir le marché national de dommages par rapport à son tissu productif.

D’autant plus que certains pays européens eux-mêmes ont eu, par le passé, à recourir à certaines de ces mesures quand il s’agissait de préserver leurs intérêts commerciaux dans un contexte de concurrence exacerbée.

Il est vrai aussi, que des dysfonctionnements dans la gestion du commerce extérieur persistent encore en Algérie, liés à la bureaucratie (le fameux certificat d’ALGEX !), à la surfacturation, à la rente pétrolière, à l’informel, etc.

Le processus de numérisation en cours apportera certainement plus de transparence et de traçabilité dans les procédures et les opérations d’importation.

Pour l’essentiel, il n’y a ni remise en cause du libre-échange, ni du démantèlement tarifaire lui-même, ni du libre accès au financement en devises en faveur des entreprises importatrices publiques ou privées.

L’Algérie s’attèle tout simplement à mettre de l’ordre dans son commerce extérieur en cherchant légitimement à densifier son tissu économique et à diversifier ses exportations hors hydrocarbures, sans porter préjudice à une quelconque partie prenante.

Au demeurant, la bonne foi ressort à travers les efforts fournis par l’Algérie en vue de contribuer à la sécurité énergétique de l’Union européenne, grâce à la mobilisation de ses capacités de production en gaz naturel pour mettre des quantités supplémentaires sur le marché européen.

Pourquoi l’UE engage-t-elle ce bras de fer avec l’Algérie maintenant ? Est-ce que c’est pour des raisons politiques ? Ou bien parce que la balance de paiement de l’Algérie est redevenue positive ?

De mon point de vue, ce n’est pas tant les conditions économiques de l’Algérie qui se sont améliorées par rapport à 2020 /2021 au moment où les mesures protectionnistes ont été mises en place.

La raison est à chercher sur la diversification des partenaires de l’Algérie (Chine, Turquie, Qatar, …), au détriment des pays de l’UE, mis à part l’Italie.

Les mesures de sauvegarde ne doivent pas aller au-delà de 5 ans. L’inquiétude de l’UE est la nouvelle trajectoire que prend l’économie algérienne, avec des partenaires présents dans des secteurs importants (mines, énergies renouvelables, hydrogène, pétrochimie).

L’inquiétude de l’UE s’explique par la nouvelle trajectoire que prend l’économie algérienne, avec des partenaires présents dans des secteurs importants (mines, énergies renouvelables, hydrogène, pétrochimie).

L’accord d’association avec l’UE n’a pas permis à l’Algérie d’attirer les investissements européens attendus alors que le commerce entre les deux parties a profité davantage à l’Europe. Comment remédier à ce déséquilibre ?

Tout d’abord, il y a lieu de faire ressortir le contexte dans lequel l’Accord d’association avec l’Union européenne a été signé en 2002, celui de la fragilité de l’économie algérienne qui venait de sortir du programme d’ajustement structurel (PAS) avec le FMI, ainsi que de la faiblesse des cours du pétrole ayant marqué les débuts des années 2000.

L’un des objectifs était de faire sortir l’économie nationale de l’isolement qu’elle avait subi. La perspective d’intégration d’une vaste Zone de libre-échange, ayant été perçue comme une opportunité de diversification des exportations à moyen et long terme, mais également un facteur d’attractivité par rapport aux investissements directs étrangers (IDE) dont l’Algérie avait réellement grand besoin eu égard à la question du transfert de technologie et du savoir-faire.

Résultat des courses, très peu d’IDE d’origine européenne ont été enregistrés. Parmi les arguments avancés pour justifier cet état de fait, l’instabilité juridique qui caractérisait l’économie algérienne ainsi que certaines règles imposées aux firmes étrangères telles que celle relative au capital (51/49 %), le droit de préemption ou encore la balance devise excédentaire.

Du côté des autorités algériennes, on déplore le manque d’expertise et de savoir-faire devant être fournis. Un accompagnement mitigé des entreprises algériennes comme par exemple les programmes de mise à niveau qui n’ont pas eu l’effet escompté. Ajouté à cela, la faible implication de firmes européennes dans le tissu productif national.

D’autant plus que les engagements commerciaux de l’Algérie, dans le cadre de l’Accord d’association, ne sont pas globalement favorables à la réalité de son tissu économique, laquelle étant dominée par des activités liées aux hydrocarbures. Ceci a fait que l’Algérie a plus excellé dans les actes d’importation, fragilisant ainsi sa balance commerciale.

Aussi, déplore-t-on au niveau des hautes autorités, le fait que l’Algérie soit perçue comme uniquement un vaste marché ouvert aux entreprises européennes, sans que ses produits ne soient aptes à être placés dans de quelconques circuits commerciaux des pays membres de l’Union européenne.

Le nouvel écosystème relatif à l’investissement en Algérie apporte des nouveautés au profit des investisseurs comme les garanties, la transparence, la célérité dans le traitement des dossiers et les différentes incitations (fiscales, accès au foncier, transferts des revenus en devises, etc.).

L’engagement pris par les pouvoirs publics de garder stable la législation économique, ouvre certainement de nouvelles perspectives pour les investisseurs étrangers.

Des entreprises européennes (italiennes, françaises, allemandes) sont présentes en force dans des partenariats avec Sonatrach, alors pourquoi pas dans l’industrie manufacturière et ses différentes branches.

Toujours est-il, l’exemple est donné récemment par des firmes d’Italie (membre de l’UE), mais aussi de Turquie, de Chine, et de Corée, qui investissent dans plusieurs créneaux rentables du fait que le marché algérien offre d’énormes opportunités d’affaires.

À titre d’exemple, l’Algérie pourra bien profiter du nouveau processus nearshore en attirant les sociétés européennes qui visent les avantages liés à la proximité sans atténuer la qualité des services, mais tout en effectuant des économies sur le facteur travail ou bénéficiant de ressources naturelles spécifiques.

Faut-il réviser ou renoncer carrément à l’accord d’association Algérie-UE ?

L’Accord d’association ne se limite pas au seul volet de la libre circulation des marchandises, point d’achoppement actuel, mais comprend également d’autres aspects aussi importants tels que le dialogue politique, le commerce des services ainsi que la coopération économique, financière, sociale et culturelle.

Sur le plan sectoriel, le commerce des services et l’économie de la connaissance vont occuper une place de plus en plus importante dans la nouvelle vision économique du pays.

Dans ce cadre, l’Accord offre des opportunités pour assurer le développement d’activités liées aux transports (maritime et aérien), les services financiers, les nouvelles technologies, etc.

Ce qui importe le plus aujourd’hui pour l’Algérie, c’est surtout la mise en œuvre des réformes économiques nécessaires pour éliminer tous les dysfonctionnements qui ont fait que certaines clauses de l’Accord n’ont pu se concrétiser, d’une part, et de mettre l’économie nationale sur l’orbite de la diversification et de la compétitivité, d’autre part.

L’Accord d’Association n’étant pas figé dans le temps, sa révision s’avère opportune pour explorer de nouveaux domaines de coopération et de partenariat, plus l’affinement des instruments de mise en œuvre. Aussi, tout converge vers la renégociation même si les clauses à revoir ou à enrichir restent à identifier par les deux parties prenantes.

L’Algérie n’a pas gagné grand-chose de l’accord d’association avec l’UE. Pourquoi le maintenir puisque les conditions politiques qui ont prévalu lors de sa signature en 2002 ne sont plus d’actualité ?

L’Algérie ne peut pas se détourner d’une sphère géographique influente et de proximité comme l’Europe dont quelques pays sont voisins, car méditerranéens.

L’Europe et le principal marché de l’Algérie pour le gaz naturel. Une présence humaine importante. Les relations
commerciales ne seront aussi qu’importantes. L’économie algérienne a aussi ses dysfonctionnements qui font qu’elle ne profite pas de tous les mécanismes de coopération et de partenariat.

La gestion des importations par les restrictions n’a-t-elle finalement pas montré ses limites ?

La réduction des importations a été une préoccupation constante de l’action gouvernementale en vue d’atteindre certains objectifs comme par exemple la réduction du déficit commercial extérieur, et ce, depuis le retournement du marché pétrolier en 2014.

Le but recherché en définitif était de préserver le niveau des réserves de change à un certain seuil qui permettrait à l’Algérie de garder une marge de manœuvre.

Or, une balance commerciale peut être déficitaire sans pour autant créer un préjudice pour l’économie nationale, l’essentiel est que le volume et le montant des échanges commerciaux extérieurs alimentent un processus de croissance économique.

Aussi, les importations sont-elles nécessaires pour le fonctionnement du système productif national ainsi que pour l’approvisionnement du marché en divers produits de consommation.

Par ailleurs, la mise en œuvre de mesures de limitations des importations, qu’elles soient tarifaires (droit additionnel provisoire de sauvegarde) ou non-tarifaires (licences d’importation, certificats délivrés par l’ALGEX, interdiction de domiciliation bancaire pour une catégorie d’importation), visaient également la protection de la production nationale et la valorisation sur le marché du produit local dans la perspective d’une diversification de l’économie nationale à moyen terme.

Sur le plan opérationnel, on voulait arriver à un effet d’éviction par rapport à un nombre jugé élevé d’importateurs, lutter contre la surfacturation et rééquilibrer autant que faire se peut les échanges commerciaux avec l’Union européenne grâce aux mesures de sauvegarde que permet l’Accord d’association.

Le problème qui se pose aujourd’hui, est celui de la nature et de l’efficacité des instruments mis en œuvre pour atteindre l’objectif de réduction souhaitée des achats de l’extérieur, sans pour autant porter préjudice ni à la politique des approvisionnements dont a besoin le tissu économique national ainsi que la satisfaction des besoins des ménages, ni aux engagements commerciaux de l’Algérie vis-à-vis de ses partenaires étrangers.

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