Youcef Aouchiche est le premier secrétaire du FFS. Il a été reçu dimanche par le président de la République avec Karim Belahcel, membre de l’instance présidentielle du parti. Dans cet entretien, il revient sur cette rencontre, le dialogue politique, le Hirak, les critiques dont fait objet le FFS pour avoir accepté l’invitation de Tebboune…
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Une délégation du FFS a été reçue par le président de la République dimanche 14 février, une première depuis plusieurs années. Cela découle-t-il d’un changement dans la stratégie du parti ou de la conviction que l’impasse a trop duré et que seul le dialogue permettra de la dépasser ?
« Une importante décision stratégique exige beaucoup plus de volonté qu’une décision tactique. C’est le problème tenace d’avoir des dirigeants à la fois pleins de lucidité et de fermeté d’esprit » – Hocine Ait Ahmed.
Au FFS, nous n’avons jamais cédé à la « dictature de l’instant ». Nos choix stratégiques s’inscrivent dans une perspective plus large que les simples alignements tactiques.
C’est pour cela que les militants et cadres du parti méritent le respect. Ils ont toujours lutté contre les vents dominants, souvent attisés par des forces hostiles au peuple et donc à l’Algérie.
A chaque fois que la situation l’exigeait, comme lors de l’accord FFS-FLN de 1965, de la crise engendrée par l’interruption du processus électoral des années 90, du Printemps noir de 2001, ou plus près de nous lors des crises dites des « printemps arabes », le FFS ne s’est jamais dérobé face à ses responsabilités pour alerter les responsables du pays sur la nécessité d’un changement politique démocratique.
Le FFS se veut avant tout un instrument de lutte pour l’instauration du changement et un pôle de stabilité pour le pays.
Le dialogue et la recherche du compromis sont des vertus civilisationnelles universelles qui fondent l’identité du FFS. Nous demeurons attachés à ces valeurs auxquelles nous sommes toujours attachés et sur lesquelles toute solution à la crise nationale doit reposer.
De ce fait, comment pouvions-nous refuser une invitation à un échange politique ? Nous avons tenu un discours de vérité. Notre démarche a toujours été transparente et nous avons rendu compte via un communiqué du contenu des échanges.
Le FFS ne fait pas partie de cette légion de politiciens qui tiennent un discours le jour et qui s’adonnent à des marchandages de maquignons la nuit.
Dans la déclaration faite à l’issue de la rencontre, il a été fait état de mesures d’apaisement exigées par le parti. Avez-vous senti chez le président Tebboune une volonté d’aller vers un apaisement véritable cette fois, sachant que de tels engagements ont été faits par le passé devant d’autres responsables politiques ?
C’est la nature de la crise nationale et la situation du pays qui dictent l’urgence de ces mesures. Nous en avons fait part au chef de l’Etat. Notre responsabilité politique, historique et éthique, nous l’avons assumée, c’est au pouvoir d’assumer la sienne.
La volonté d’aller vers l’apaisement doit s’exprimer par des actes et des mesures fortes et concrètes en mesure de rétablir la confiance entre le peuple et ses institutions et c’est ce que nous avons demandé.
La responsabilité d’un parti politique n’est pas seulement de « ressasser des slogans » même s’il faut le faire quand les dirigeants, ou les adversaires sont réfractaires au dialogue.
La responsabilité politique exige qu’on élabore une feuille de route pour mettre en œuvre ces « slogans » car le changement ne se décrète pas. Il se construit et il se décline en mesures courageuses et se vérifie au fur et à mesure de sa concrétisation.
Certaines mesures ont des effets immédiats, c’est celles-là qui peuvent désamorcer les situations d’immobilisme et donner la mesure de la bonne volonté des pouvoirs publics, comme les mesures d’apaisement.
C’est le préalable à l’amorce de toute démarche politique sérieuse visant la construction de l’Etat de droit, la lutte radicale contre le népotisme et la corruption qui exigent un travail de longue haleine sous le contrôle vigilant de véritables contre-pouvoirs crédibles.
Au lendemain de votre rencontre avec le président, des militants du Hirak sont condamnés à des peines de prison. Peut-on parler de confiance dans ces conditions ?
En tant que parti politique, nous appelons à des mesures politiques d’apaisement. Nous ne nous prononçons pas sur le fond des dossiers judiciaires.
Nous le répétons, ces arrestations et condamnations arbitraires doivent cesser. La situation est suffisamment grave pour se complaire dans des petits calculs. Le pays a besoin d’un vrai choc de confiance.
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Il y a à peine dix jours, votre parti a dressé un tableau noir sur la situation du pays, estimant que tout s’est aggravé depuis le 22 février 2019, et dénonçant « des privations de liberté d’un système autoritaire soucieux uniquement de sa pérennité ». Vous avez sans doute réitéré le constat devant le président. Qu’a-t-il répondu exactement ?
C’est en contraste avec le formidable mouvement populaire, national, patriotique, pluraliste, démocratique et pacifique que la réponse du pouvoir représente une régression.
Un tel niveau de maturité politique du peuple devait être suivi d’une réponse de même qualité politique. Ce n’est toujours pas le cas. Quand le pouvoir prétend qu’il a répondu aux attentes du Hirak, il s’agit là d’une méconnaissance totale de ce qu’exige la construction démocratique dans un pays ravagé par des décennies de dénis des libertés, de corruption, de népotisme et de marginalisation des élites compétentes autant que des forces populaires.
Sur l’aspect politique, avez-vous sondé les intentions du chef de l’Etat ? Le pouvoir tient-il toujours à sa feuille de route ou est-il disposé à accepter un autre processus ?
Nous avons réaffirmé notre conviction que la solution à la grave crise du pays passe par une solution politique consensuelle et l’amorce d’un dialogue transparent, responsable et inclusif et non par une démarche unilatérale.
Ce que nous voulons, c’est l’élaboration concertée d’une feuille de route pour la réalisation des attentes du Hirak : un Etat de droit, des libertés publiques, des contrepouvoirs efficients et une gouvernance soumise à la reddition de comptes.
C’est à cette feuille de route que doit s’atteler le pouvoir en concertation avec l’ensemble des forces politiques et sociales du pays pour espérer commencer à concrétiser les « attentes du Hirak » et répondre aux aspirations démocratiques de nos concitoyens.
Vous avez sans doute soumis votre initiative de consensus national. Quelle a été la réponse du président ?
Le FFS est porteur d’une offre politique sérieuse qui consiste à l’organisation d’une convention nationale, comme cadre d’un dialogue inclusif pouvant déboucher sur un contrat national et une solution politique, consensuelle, graduelle et négociée à la crise.
Ce qui est important, ce n’est pas tant la forme que le contenu. Le pays est assis aujourd’hui sur un vrai volcan. La situation économique et financière est alarmante et risque de conduire vers de graves tensions sociales. Le dialogue n’est plus une option, c’est une question d’intérêt national.
Au-delà de l’écoute qu’elle a pu suscitée, seules les actes et les engagements concrets comptent.
Les élections législatives dont on parle pourront-elles constituer une opportunité pour un début de sortie de crise ? Le FFS y prendra-t-il part ?
Nous considérons que toute échéance électorale dans un contexte de tensions, de défiance et de privations des libertés conduira à un nouvel échec.
Au FFS, nous ne sommes pas contre le principe d’élection, ce serait une aberration pour un parti démocratique. Mais nous estimons qu’une élection réellement démocratique suppose un climat apaisé dans lequel les libertés, toutes les libertés sont garanties.
Quant à notre décision concernant ces échéances, si elles venaient à être convoquées, elle reviendra, en temps voulu, aux instances habilitées au sein du parti.
Ce nouveau round de rencontres avec les chefs de partis intervient dans un contexte d’appels à la reprise des marches du Hirak. D’aucuns estiment qu’il s’agit d’une manière pour le pouvoir d’éviter une telle éventualité…
Le Hirak populaire a refusé de se donner des représentants. Nul ne peut prétendre parler pour lui. Et nul ne peut parler à sa place. En tant que parti politique nous réitérons nos positions de toujours et rappelons que toute exclusion du peuple ou d’une partie du peuple serait en contradiction avec les principes qui ont fondé la révolution algérienne et une impardonnable régression par rapport aux demandes du Hirak populaire.
Le FFS a toujours soutenu le Hirak. Le fera-t-il encore si les appels à reprendre les marches sont suivis ?
Nous avons soutenu la révolution citoyenne du peuple algérien. Celui-ci a posé des exigences et c’est au pouvoir de les satisfaire et d’engager le pays dans la voie d’une solution politique qui passe par le dialogue. Au FFS, nous avons toujours défendu le droit de manifester pacifiquement.
Il est aussi vital pour le pays de préserver l’esprit de la silmiya et de la concertation dans le respect des libertés qu’a porté le mouvement populaire, afin de le prémunir contre toutes les formes d’instrumentalisation d’une colère légitime.
Votre rencontre avec le président de la République a suscité des critiques au sein même du parti, soit les mêmes griefs entendus à chaque fois que le FFS a pris part à une initiative, que ce soit un dialogue ou une élection. Qu’avez-vous à répondre ?
La force du FFS réside avant tout dans sa base militante. L’engagement de nos militants, leur confiance, mais aussi leur vigilance, ont de tout temps permis à notre parti de garder sa cohérence politique, de résister à toutes les attaques et de le prémunir contre tout risque de normalisation.
Nos militants ont confiance en leur direction. Les nombreux messages que j’ai pu recevoir de leur part de toutes les fédérations du pays, et dont je m’honore, en attestent.
A l’occasion de la journée du Chahid, permettez-moi de finir cet entretien avec une pensée pour tous nos chouhadas, et en leur renouvelant notre reconnaissance et notre fidélité.
Grâce à leurs sacrifices, nous avons aujourd’hui un pays, pas seulement pour y vivre, comme claironnent les tenants du pouvoir, mais aussi un pays à nous pour continuer à nous battre pour concrétiser les conquêtes démocratiques des nouvelles générations contre tous les révisionnistes adeptes de la table rase.
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