L’épidémie de choléra qui touche plusieurs wilayas du centre du pays depuis le 7 août a fait deux morts selon le bilan officiel, probablement plus, selon les informations obtenues par TSA, alors que le nombre total d’atteintes confirmées par le vibrion a dépassé la soixantaine.
L’origine de la contagion reste inconnue, du moins officiellement, mais les fruits et légumes consommés crus, notamment la pastèque et le melon, restent la piste la plus plausible qui a même été confirmée par l’Institut Pasteur d’Alger dans plusieurs de ses communiqués avant que son directeur ne finisse par s’aligner sur la version officielle des autorités politiques en écartant tout lien entre les produits agricoles produits localement et la propagation de la maladie.
Dès le début du mois de juillet, plusieurs signes inquiétants auraient pu alerter sur le risque de propagation d’une ou plusieurs maladies infectieuses graves.
Dès juillet, un médecin tirait la sonnette d’alarme
Dès le début du mois de juillet de cette année, Hassane Khodja, médecin gastro-entérologue de Blida avait tiré la sonnette d’alarme sur le nombre effarant d’intoxications graves qu’il a eu à soigner.
Sa publication sur Facebook où il alertait sur les nombreux cas d’intoxications aiguës arrivées à son cabinet avait touché plus de 50 000 personnes en moins de 24 heures. Le médecin qui était en première ligne dans la lutte contre ces intoxications suspectait la pastèque d’être la cause des infections. Ce fruit de saison, largement consommé par les Algériens en été, était, selon lui, soit contaminé par les pesticides, soit par les eaux polluées utilisées pour l’irrigation.
« Nous avons reçu beaucoup de patients qui avaient des intoxications alimentaires et quand on recherche la cause, la pastèque vient en premier lieu et ensuite les pêches », avait alors déclaré à TSA le Dr Hassane Khodja, en ajoutant : « Certaines de ces intoxications graves ont nécessité des hospitalisations et il y a même eu des patients qui ont failli faire des perforations intestinales ».
Inquiété par la gravité de ces intoxications causées, selon lui principalement par la pastèque, et leur nombre, 15 au mois de juin, 7 pendant les premiers jours de juillet, le médecin avait interrogé un agriculteur qui avait, selon lui, confirmé l’utilisation d’eaux usées dans l’irrigation de champs de pastèque.
Une culture douteuse et gourmande en eau
La culture de la pastèque nécessite de 30 000 à 60 000 mètres cubes d’eau par hectare et par saison, selon Akli Moussaoui, expert agronome, qui a expliqué que cette importante quantité d’eau dont a besoin la pastèque fait que cette culture est douteuse dans un pays où l’irrigation est balbutiante et où les ressources en eaux sont rares.
Pour apporter l’eau nécessaire aux champs de pastèques, de nombreux agriculteurs qui n’ont accès ni aux barrages ni aux forages n’hésitent pas à recourir aux eaux usées, parfois en puisant directement dans les égouts et cours d’eau pollués, « pendant la nuit, loin des regards », a expliqué une source bien informée.
« La pastèque produite au Sud du pays est beaucoup plus saine du moment où elle est irriguée avec des forages alors qu’au Nord du pays, et dans bien des cas, il a été constaté une irrigation avec des eaux usées », a indiqué Akli Moussaoui.
Les pastèques arrosées avec des eaux polluées ne sont pas contaminées dans leur chair mais plutôt à leur surface, a expliqué Akli Moussaoui pour qui l’échantillonnage des pastèques, ou « tabaâ » en algérien, est responsable du déplacement des germes amenées par les eaux polluées sur la surface du fruit vers l’intérieur, menant à leur ingestion.
« L’infection se fait de la paroi extérieure du fruit, lorsqu’elle n’est pas lavée, lorsqu’on la découpe au couteau, les germes pénètrent dans la chair et comme il y a beaucoup d’eau et de sucre dans la pastèque, le germe se développe. Si le fruit est consommé le lendemain, les germes en plus grand nombre contaminent le consommateur », avait également expliqué le Dr Khodja.
La vente de pastèques et melons par portions, pratique inexistante en Algérie jusqu’à l’année passée et qui est apparue cet été à cause du coût élevé des fruits peut participer au processus de contaminations des consommateurs par des germes, a expliqué le gastro-entérologue.
L’irrigation de cultures gourmandes en eau par des eaux usées issues d’égouts ou de rivières et ruisseaux contaminés est une pratique qui existe dans de nombreuses régions du pays, a affirmé avec certitude l’expert agronome.
Une information que nous avons confirmée dès le début de l’été par une source proche du ministère de l’Agriculture qui avait indiqué qu’au moins deux agriculteurs de Blida avaient été pris en flagrant délit d’irrigation de cultures avec des eaux polluées.
Contactés par nos soins, le ministère des Ressources en eau et la Direction de l’Environnement de Blida avaient nié l’existence de ces cas. « Aucun cas d’irrigation de cultures par des eaux polluées n’a été recensé à notre connaissance », avaient déclaré la chargée de communication du ministère et la Directrice de l’Environnement de la wilaya de Blida.
Ce n’est qu’après la propagation de l’épidémie de choléra dans plusieurs wilayas du centre du pays que les autorités, filmées par les caméras de télévision, ont commencé à sévir contre les agriculteurs empoisonneurs qui irriguent leurs cultures avec des eaux usées.
Cette pratique frauduleuse dont sont coupables nombre d’agriculteurs, ajoutée à la saleté générale qui caractérise les villes et les campagnes algériennes, à l’absence de contrôle des produits agricoles et le manque de traçabilité, a créé un environnement propice à la prolifération des maladies infectieuses dans lequel il a suffi de l’apparition d’un premier cas de choléra, peu importe son origine, importé ou non, pour que l’épidémie se propage dans plusieurs wilayas.
Malgré ces signes qui devaient alerter sur le risque accru de propagation de maladies infectieuses, et les nombreux cas d’intoxications graves signalées, fait du hasard ou non, dans la wilaya de Blida, foyer principal de l’épidémie de choléra, les autorités n’ont pris aucune mesure particulière avant que l’épidémie ne se déclare.