C’est une vraie nouveauté et elle est la bienvenue. Depuis l’année 2016, les Lois de finances ne nous parlent plus seulement des recettes et des dépenses de l’État pour l’année à venir. Elles adoptent également, sous la forme d’une loi votée par le parlement et promulguée par le Président de la République, une « trajectoire triennale » qui traduit « la stratégie » financière adoptée par l’État pour les trois années à venir.
L’Exécutif est sensé s’éloigner ainsi théoriquement de la gestion à court terme de l’économie et du « pilotage à vue » dicté par le seul niveau des recettes pétrolière qui a été la caractéristique de beaucoup de lois de finances et de lois de finances complémentaires au cours des dernières décennies.
Le projet de Loi de finance pour 2019, dont la discussion s’est achevée tard dans la soirée d’hier à l’APN, confirme cette règle de conduite, toute fraîche, qui vise, en principe, non seulement à donner plus de « visibilité » à moyen terme à la démarche des pouvoirs publics mais également, et peut être surtout, à définir des objectifs à atteindre.
Les principaux objectifs sont affichés régulièrement depuis 2016 par tous les gouvernements. Il s’agit d’éliminer progressivement le déficit interne, c’est-à-dire celui des finances publiques et le déficit externe, celui de la balance des paiements.
Dimanche, le ministre des Finances, Abderrahmane Raouya, a encore rappelé que « le PLF 2019 s’inscrit dans la continuité des efforts consentis par l’État dans le but d’alléger les effets négatifs de la diminution des ressources financières sur l’économie nationale, et ce dans un contexte marqué par des tensions sur l’équilibre financier interne et externe du pays, en raison de la baisse des cours du pétrole ».
Une forte réduction du déficit extérieur jusqu’à fin 2017
Malheureusement depuis l’été 2017 et l’arrivée aux commandes du Premier ministre Ahmed Ouyahia la règle de conduite qui consistait à tenter d’éliminer progressivement les déficits semble avoir été très largement abandonnée. Une constatation particulièrement évidente dans le cas des finances publiques mais valable également dans le cas des déficits de la balance des paiements externes et de ses répercutions automatiques sur le niveau de nos réserves de change.
Les choses avaient pourtant bien commencé. Jusqu’à fin 2017, la balance des paiements de notre pays se portait en effet nettement mieux. Après le déficit colossal de 35 milliards de dollars enregistré en 2015 et celui de 2016 qui se situait encore à près de 30 milliards, l’année 2017 s’était terminée avec un déficit réduit à 23 milliards et des réserves de change en diminution de « seulement » 17 milliards de dollars en raison d’une évolution favorable de la parité euro / dollar.
Dans le prolongement de cette évolution très vertueuse, la trajectoire financière 2018- 2020 élaborée pas plus tard que l’année dernière par le gouvernement programmait le retour par étapes à une situation de quasi équilibre à moyen terme avec un déficit des paiements extérieurs réduit à 12 milliards de dollars en 2018 , 5,5 milliards en 2019 et 3,5 milliards en 2020.
Dans ce cas de figure, même si la promesse de réserves de change maintenues au dessus de la barre des 100 milliards de dollars avaient été abandonnée en chemin, ces dernières devaient encore s’élever à plus de 75 milliards de dollars en 2020 dans une situation de quasi disparition du déficit de la balance des paiements qui donnait beaucoup plus de visibilité à nos équilibres financiers externes.
Un déficit des paiements extérieurs de plus de 17 milliards de dollars en 2018
Avec la loi de finances 2019 et la trajectoire financière 2019 -2021, on n’est plus du tout dans le même scénario. C’est désormais, dans le meilleur des cas, à une stabilisation du déficit externe avec comme conséquence l’extinction inéluctable et programmée de nos réserves de change à moyen terme que le gouvernement semble se résigner.
Les résultats financiers de l’année 2018 donnent déjà un avant goût du nouveau cours des événements. En dépit de prix pétroliers en forte hausse par rapport à 2017 et qui ont dépassés en moyenne les 72 dollars au cours des 9 premiers mois de l’année, le déficit de nos paiements extérieurs devrait se maintenir cette année à un niveau proche de 17 à 18 milliards de dollars .
Le ministre des Finances l’a révélé dimanche devant les députés : les réserves de change qui était encore de 97 milliards de dollars à fin 2017 sont tombées à un peu plus de 89 milliards à fin juin 2018. Si on en juge par la trajectoire budgétaire annexée au PLF 2019, elles devraient passer sous la barre des 80 milliards de dollars à la fin de cette année en accusant ainsi une perte de près de 17 milliards de dollars en un an.
Une extinction programmée des réserves de change
Ce n’est encore qu’un début puisque la trajectoire financière 2019 -2021 élaborée par le gouvernement prévoit très placidement un déficit externe stabilisé à plus de 17 milliards de dollars en 2019, suivi d’une légère diminution entre 14 et 15 milliards en 2020 et 2021 .
Cette persistance du déficit externe conduira donc très officiellement à une contraction des réserves de change à 62 milliards de dollars en 2019, 47,8 milliards en 2020 puis 33,8 milliards USD en 2021.
La prolongation de cette courbe devrait conduire à la disparition des réserves de change à la fin de 2023 en cas de maintien de la politique économique mise en œuvre au cours des dernières années qui s’est appuyé essentiellement sur une réduction très modeste des importations, de l’ordre de 1 milliard de dollars par an depuis 2016, en espérant que la hausse des prix pétroliers ferait le reste.
Une question de crédibilité
Avec la publication des trajectoires budgétaire successives depuis l’exercice inaugural de 2016, la partie transparence du programme du gouvernement est globalement réalisée. Malheureusement, il ne suffit pas d’afficher des objectifs, il faut aussi s’y tenir et s’efforcer de les réaliser même si les conditions ne sont pas complètement favorables.
Le gouvernement est également sensé adopter des objectifs qui apportent des remèdes à la situation financière du pays qui continue de se caractériser par des déficits financiers d’un niveau considérable et qui deviendront insoutenable dans 3 ou 4 ans.
La trajectoire financière 2019 -2021 rendue publique par le gouvernement et que les députés seront appelés à adopter jeudi prochain ne nous explique pas (encore) ce qu’on fera en 2023, date de la quasi extinction prévisible de nos réserves de change qui correspond pour notre pays à une situation de cessation de paiement.