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Erreur d’analyse ou tentative de pérenniser le système ?

Erreur d’analyse ou tentative de pérenniser le système ?

Tribune. Cette contribution fait suite à celle publiée le 27 mars sur TSA, dont elle clarifie et actualise le contenu.

1. Rappel :

La volonté du peuple, clairement exprimée, exige le départ du système, et pas seulement l’ancien président, qui de surcroît, n’en était pas le maillon le plus fort.

Rappelons que la solution tirée de l’application de l’article 102 était dès le départ vouée à l’échec. La constitution actuelle est un texte dont l’objectif fondamental est de verrouiller le fonctionnement démocratique des institutions au profit du « système ».

Certes, cet article a donné au Peuple sa première victoire : la démission du président Bouteflika. Il ne donnait aucune solution « légale » quant au départ du « système ».

Le « hirak » ayant été rapidement porté par la quasi-totalité du Peuple algérien, sa revendication centrale exigeant le départ de tout le système ne pouvait être traitée que de manière politique. Il convient de rappeler à ce propos que le Peuple, en sa qualité de dépositaire de l’autorité souveraine, est en droit de congédier ses gouvernants. En revanche, les gouvernants n’ont aucune légitimité pour lui opposer des arguments tirés du corpus législatif conçu et produit par eux-mêmes pour se maintenir au pouvoir. Pour les mêmes raisons, ils ne peuvent utiliser à ces mêmes fins, des institutions qui leurs sont complètement inféodées.

Il était donc vain de rechercher une solution légale. C’est la raison pour laquelle, il fallait dès le départ adopter une stratégie de rupture avec le «système » et exclure toute proposition impliquant la connivence.

Le meilleur frein au processus de démocratisation, le meilleur moyen de pérenniser la crise et même de l’aggraver avec un risque important de dérives violentes est de persister dans la recherche d’une solution juridique. Dans toutes les grandes traditions, la volonté du Peuple fait Loi : « لا تجتمع أمتي على ضلالة » chez les musulmans et « Vox populi, vox Dei » chez les sociétés de tradition latine. Les réactions des puissances étrangères exprimées ces dernières semaines ont un dénominateur commun qui peut se résumer ainsi : « respect pour le soulèvement du Peuple ; félicitations pour son caractère pacifique et civique ; en conséquence : rejet de toute intervention étrangère dans les affaires algériennes ».

Est-il nécessaire de rappeler que même l’ONU et la quasi-totalité de l’opinion internationale, ont appelé à « entendre » les revendications du Peuple algérien, alors que le « système » continue à louvoyer pour gagner du temps pour se régénérer en gardant la haute main sur la phase de transition.

Que signifie la démission de Tayeb Belaiz si elle n’est pas accompagnée par celle de l’ensemble des membres ? Quel crédit accorder à celle de son successeur, aussi bien d’un point de vue politique que juridique ? Quand le Peuple exige le départ des membres du « système », ce n’est certainement pas pour « mal » les remplacer mais pour faire le vide et renouveler toute la composante par de nouveaux membres issus des nouvelles générations. En effet, le successeur est un membre élu qui représente une haute juridiction. Il ne peut de ce fait troquer sa qualité d’élu contre celle de haut fonctionnaire.

A ce propos, il convient d’ouvrir une petite parenthèse : quand le Peuple scande dans toutes ses marches « y rouhou ga3 », il vise la composante humaine du système. Ils n’exigent nullement la destruction des institutions et la mise à l’écart des femmes et des hommes intègres qui servent leur pays avec compétence et abnégation. Ils ne disent pas mais ils ont aujourd’hui la conscience de la République, la Res Publica. « Ils ne veulent pas jeter le bébé avec l’eau du bain ».

Depuis 2 mois, à chacune de leurs sorties, nos concitoyens font preuve d’une conscience politique qui surprend tous les jours davantage et reconnue par tous et même par nos pires ennemis. Le 1er novembre 1954, les algériens ont prouvé qu’ils avaient une conscience nationale ; le 22 février 2019, en revendiquant le droit à la dignité et à la justice, ils ont exprimé leur prise de conscience politique et supprimé la marche arrière de leur boîte à vitesse.

Le Chef d’État-Major de l’ANP a déclaré lors de sa dernière visite à Ouargla que « toute les perspectives possibles restent ouvertes pour surpasser les difficultés et trouver une solution à la crise dans les meilleurs délais ». En d’autres termes, la solution purement juridique fondée sur l’article 102 de la constitution n’est plus un dogme. Depuis le début, dans ma contribution du 27/03/2019, j’avais prévu que cette solution mènerait à l’impasse car la crise que vit notre pays n’est pas juridique mais politique. Le Peuple, dépositaire de l’autorité souveraine, a exigé avec force et constance le départ du système.

L’ANP a déclaré de manière solennelle être le protecteur et l’allié du Peuple. N’ayons pas peur des mots, et disons les choses comme elles doivent être dites : nous ne sommes plus dans un « Hirak » ; quand le peuple tout entier se lève, plus rien ne l’arrête. Le « système » joue son va-tout : aveuglé par le maintien au pouvoir à tout prix, il pousse naturellement à la machine infernale de la provocation, ultime moyen vers le pourrissement pour justifier l’usage de la violence pour museler la voix du peuple.

Grave erreur ! La France coloniale, utilisant toute la puissance de feu dont elle disposait (y compris la marine) pensait avoir anéanti la volonté des « indigènes » en mai 1945. Le général Vidal, qui avait organisé le massacre, a fait preuve de plus de lucidité en concluant le rapport qu’il avait adressé à sa hiérarchie : «Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable (1) ». L’irrémédiable est arrivé le 1er novembre 1954. « A bon entendeur salut ! ».

Il est utile dans le contexte de ce paragraphe de bien garder à l’esprit que l’ANP n’est pas une armée de putschistes et de ripoux au motif que certains de ses éléments l’ont été ou ont vocation à l’être ; les fonctionnaires de l’Etat et les personnalités politiques ne sont pas tous des malfrats ; ce ne sont pas tous les hommes d’affaires qui ont construit leur fortune au détriment du Trésor Public ; ce ne sont pas tous les militants des partis politiques « pouvoir » et « opposition » confondus qui sont des « béni-oui oui ».

2. La période de transition dans l’ordre chronologique :

Les propositions ci-dessous ne sont données qu’à titre indicatif.

1. En attendant l’adoption d’une nouvelle constitution, le Peuple, détenteur de l’autorité souveraine, désigne pour la période de transition, par la voix qui lui paraîtra la meilleure (2), un conseil collégial de la présidence de 3 personnes. L’ANP y sera représentée par un membre.

2. Dissolution de l’APN et gel des activités du Conseil de la Nation.

3. Démission de tous les membres actuels du Conseil Constitutionnel et les remplacer pour moitié par des juristes dont la compétence en la matière est connue et reconnue. L’autre moitié des membres doivent être issus de société civile. Le président sera une personnalité consensuelle d’expérience.

4. Démission du gouvernement actuel et désignation d’une nouvelle équipe dirigée par un premier ministre expert en économie ayant éventuellement une expérience dans la gestion gouvernementale. Les ministres seront des technocrates performants connus et reconnus dans leurs secteurs d’activité.

5. Engager sans délai des poursuites judiciaires contre ceux contre lesquels existent des indices graves et concordants d’atteinte au Bien Public, au sens le plus large du terme. Les structures judiciaires existent ; le corps de la magistrature, les avocats et les auxiliaires de justice sont engagés aux côtés du Peuple ; en tant que professionnels avertis libérés des entraves de l’injonction extérieure, de quelque nature qu’elle soit, nos juges seront à la hauteur des événements. Nous leur rappellerons uniquement : « prenez bien garde à vous assurer de la qualité équitable -au sens le plus noble et le plus général du terme- de vos procès ».

6. Revoir la législation relative aux élections et créer une commission indépendante de surveillance des élections composée exclusivement de jeunes de moins de 35 ans issus du mouvement populaire. Cette commission aura le pourvoir d’ordonner à toute institution publique, y compris le ministère de l’intérieur, que lui soient communiqués tous les documents nécessaires à assurer le bon accomplissement de sa mission.

La solution proposée a l’avantage de faire prendre au Peuple ses responsabilités : il commence par devenir acteur de l’Histoire. Il sera certainement « gauche et veule » (3) quand il fera ses premiers pas mais très vite il deviendra « semblable au prince des nuées qui hante la tempête et se rit de l’archer ». Les Hommes de 1954 ont été traités, au mieux, avec condescendance. Ils ont été ensuite combattus par leurs propres frères. Repose en paix Larbi Ben M’Hidi : c’est toi qui avait raison.

Quant à ceux qui persistent à s’opposer à la volonté du Peuple, je leur rappelle fraternellement cette sentence de Belkacem Chabbi : إذا الشعب يوما أراد الحياة، فلابد أن يستجيب القدر

Que chacun, selon ses moyens propres apporte sa contribution, pour que l’indépendance confisquée soit restituée au Peuple algérien : « l’Algérie avant tout ».


(1) Cf. l’excellent article du Monde Diplomatique de mai 2005 https://www.monde-diplomatique.fr/2005/05/HARBI/12191.

(2) Cette question est la question politique par excellence. Cette désignation sera faite par consensus.

(3) Inspiré du poème « L’albatros » de Charles Baudelaire.


*Ahmed Ridha Boudiaf est avocat, ancien Bâtonnier National.

Important : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas la position de la rédaction de notre média.

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