CONTRIBUTION. Nous avons vécu, ces deux dernières semaines, deux épisodes d’événements simultanés et indépendants mais qui ont un facteur en commun, la santé.
Le premier concerne l’enseignement supérieur et la recherche scientifique avec l’adoption d’un nouveau système de calcul des moyennes d’admission dans les disciplines nécessitant une moyenne élevée.
Ce système se base sur le calcul d’une moyenne pondérée, une première qui a engendré une vague de contestation parmi les nouveaux bacheliers défavorisés par cette moyenne et leurs parents.
Rappelons que cette moyenne pondérée, comme l’explique le Directeur des enseignements et de la formation supérieure au ministère de l’Enseignement supérieur, le Professeur Boualem Saïdani, est calculée en prenant en considération la moyenne du bac et les notes des matières essentielles de la spécialité.
Ainsi, cette moyenne augmente les chances de certains bacheliers qui ont obtenu de bonne notes dans les matières principales d’être admis dans les disciplines qu’ils désirent, comme la médecine, la pharmacie, la chirurgie dentaire et les écoles supérieures et ce, au détriment des bacheliers qui ont eu une moyenne du bac un peu plus élevée avec des notes inférieures dans les matières principales.
Une revue rapide des réseaux sociaux et notamment les commentaires des enseignants et des bacheliers permet de ressortir un profil bien particulier. Celui des bacheliers ayant eu des moyennes supérieures à 16 avec des notes en sciences inférieures à 12/20 et qui voulaient tous faire médecine et qui se trouvent déclassés à cause de cette moyenne pondérée.
Il faut le reconnaitre, la majorité de nos meilleurs bacheliers veulent entamer des études en médecine, pharmacie et chirurgie dentaire.
Quoi que les motivations et les causes de cet engouement soient différentes : une préférence pour les sciences de santé humaine, la recherche d’une reconnaissance sociale, la sécurité de l’éploie, un métier lucratif, l’altruisme, le résultat est le même : presque tous nos meilleurs bacheliers visent médecine en premier lieu quand la spécialité de leur bac le permet bien sûr.
En parallèle à ces faits, et en même temps, nous vivons une situation sanitaire inédite avec la troisième vague du coronavirus caractérisée par des records en nombre de contaminations et en nombre de décès.
Nous constatons un dysfonctionnement et une saturation de nos hôpitaux avec une panique générale : rupture en oxygène, raréfaction des médicaments utilisés dans la médication contre le covid-19, saturation des laboratoires d’imagerie médicale et même dans les laboratoires d’analyses médicales avec des perturbations dans l’approvisionnement de certains réactifs.
La corrélation entre ces deux faits nous amène à constater que nos meilleurs bacheliers veulent tous devenir médecins, au moment où nos médecins, qui ont été les meilleurs de leurs promotions, sont dépassés par la pandémie, une pandémie qui échappe au contrôle.
Certes, ils font de leur mieux, mais nombreux d’entre eux se trouvent impuissants et moralement épuisés devant le déséquilibre entre le nombre de malades qui affluent aux hôpitaux et le manque de moyen. Quels enseignements doit-on apprendre de cette situation ?
Nous avons oublié le système de santé et nous sommes focalisés sur le médecin
Quelles que soient ses compétences, sa moyenne au bac, sa moyenne pondérée, un médecin reste un acteur majeur d’un système plus vaste, le système de santé. Et la qualité de ce système de santé est fonction de plusieurs facteurs, la qualité des médecins en fait partie mais elle n’est pas tout.
A quoi bon avoir d’excellents médecins en ces temps de pandémie si ces derniers se trouvent en face de malades atteints de covid-19 avec comme seules informations les symptômes et le ressenti des malades eux-mêmes.
Comment répondre aux questions pertinentes qui s’imposent : quelle décision prendre ? Quel protocole suivre ? Quels dosages prescrire ? Sachant que toute réponse doit se reposer sur une batterie d’informations indispensables et des moyens : l’état des poumons donc une radio, des données physiologiques donc des analyses médicales, des moyens thérapeutiques donc des places à l’hôpital, des médicaments, des équipements, du personnel autre que les médecins, des paramédicaux, des gestionnaires, des administrateurs, etc.
Que peut faire un super médecin sans un bon environnement de travail ? Malheureusement, pas grand-chose car le médecin est l’un des acteurs du système de santé et ne pourra jamais se substituer au système de santé.
Nous avons oublié qu’un système malade ne peut pas soigner les malades
Les médecins sont les mieux placés pour nous expliquer la complexité de l’interdépendance des sous-systèmes dans un système et ceux des systèmes dans un processus car ils prennent en charge la santé du corps humain, l’un des systèmes biologiques les plus complexes.
Quel est le système le moins important dans le corps humain ? Le système respiratoire ? Le système lymphatique ? Nerveux ? Osseux ? Cardiovasculaire ? Digestif ? Urinaire ? Musculaire ? Endocrinien ? Pour ne citer que ceux-là.
En d’autres termes, quel système peut-il être dispensé de ses fonctions sans altérer la qualité de vie de l’être humain ? Et si on substituait l’être humain par le système de santé, par l’hôpital, est-ce que ce système, qui est l’hôpital, pourrait fonctionner normalement si l’un de ses sous-systèmes était défaillant ?
Son système respiratoire ? Nous venons d’expérimenter les conséquences du manque d’oxygène dans nos hôpitaux. Le système nerveux ? La crise de l’oxygène a plusieurs causes, et les plus pertinentes sont le manque d’anticipation, de modélisation, de prédiction, de moyens donc une défaillance dans la gestion, c’est-à-dire dans le système nerveux qui collecte les informations, prend les décisions et gère le tout.
Avant d’aller plus loin, il serait plus judicieux de revenir à la notion de « fonctionnement normal ». Au fait, c’est quoi un hôpital qui fonctionne normalement ?
En ces temps de pandémie, et dans un système de santé sain, le malade pourrait commencer par appeler un numéro vert, au bout du fil il y aurait un robot informatique qui va lui poser des questions sur ses données personnelles telles que l’âge, le poids, la taille, les antécédents médicaux, les comorbidités, les symptômes et quelques données physiologiques telles que la saturation en oxygène, la tension artérielle et le taux de glycémie.
En fonction de ces données, ce robot intelligent donnerait des orientations au malade comme aller consulter un médecin traitant ou se diriger en urgence à l’hôpital.
Cela permettrait d’éviter la saturation des hôpitaux avec des cas qui ne nécessitent pas le déplacement à l’hôpital qui est, rappelons-le, un environnement à haut risque de contamination.
Ce premier contact à distance permettrait, par la même occasion, de soulager le personnel de santé. Le malade reçu à l’hôpital serait pris en charge convenablement, il serait diagnostiqué en fonction des radios, des analyses biochimiques faites à l’hôpital et bénéficierait du traitement et de la thérapie adéquates à l’hôpital ou à domicile.
Des solutions de gestion, de prise de décision, d’organisation et de prise en charge seraient mises en place préalablement car elles auraient été anticipées, étudiées, testées, corrigées et adaptées aux situations urgentes et aux situations de crise et ce, sans que le malade subisse un stress supplémentaire car il est déjà malade et a besoin de soins et de prise en charge dans les meilleures conditions.
Nous avons oublié, en cours de route, que tout a commencé par une moyenne
Nos médecins ont été sélectionnés à la base de leurs moyennes générales au bac. Nos futurs médecins sont, et peut être seront, sélectionnés à la base de leurs moyennes pondérées au bac.
Y a-t-il une réelle différence entre les deux modes de sélection ? Certainement, car chaque action a des conséquences. La moyenne pondérée va donner plus de chances aux bacheliers qui ont eu des notes élevées en sciences naturelles à être surclassés par rapport à leurs camarades qui n’ont pas eu d’assez bonnes notes.
Ainsi, un bachelier ayant obtenu son bac avec 15 de moyenne générale pourrait être accepté pour suivre des études en médecine au moment où un autre avec 18 de moyenne générale ne le pourrait pas parce qu’il aurait eu 18 et 11 en sciences naturelles respectivement et donc des moyennes pondérées égales à 16 et 15.67 respectivement.
L’adoption de la moyenne pondérée va certainement avoir des conséquences sur la carrière des bacheliers certes, mais est-ce qu’elle va impacter notre système de santé ? Répondre affirmativement reviendrait à rendre nos médecins et leur sélection responsables des maux de notre système de santé. Répondre affirmativement voudrait dire que l’une des conséquences majeures de l’adoption de la moyenne pondérée pour la sélection de nos futurs médecins est que dès que ces médecins entreront en fonction, la santé de notre système de santé commencerait à s’améliorer.
Moyenne ou moyenne pondérée n’est pas notre sujet, ceux qui ont pris la décision l’ont sûrement prise en connaissance de causes. Néanmoins, il ne faut pas ignorer d’autres questions pleines de bon sens.
Comment expliquer à un bachelier qui aurait obtenu son bac avec 18 de moyenne générale qu’il ne peut pas faire médecine contrairement à son camarade de 15 ?
Comment le persuader que malgré cette moyenne exceptionnelle, on puisse juger que sa place est ailleurs et qu’il ne peut pas apporter grand-chose à notre système de santé ? La réponse est peut-être dans la moyenne elle-même.
En effet, il serait intéressant de continuer à prendre la moyenne simple ou pondérée comme critère d’évaluation, de classement et de sélection. Ainsi, nos hôpitaux pourraient être classés selon leurs moyennes (médecins + structure + équipements + gestions + personnels paramédical + qualité de services +…)/N.
Et là, et seulement là, on prendrait peut-être conscience que la moyenne est très importante à tous les niveaux, et que la moyenne pondérée pourrait être plus intéressante.
Allez, une autre question : si on devait pondérer la qualité des médecins et les moyens mis à leur disposition, à quel facteur vous donneriez plus de poids ? Vous allez dire (médecins + moyens)/2, (2*médecins + moyens)/3 ou (médecins + 2*moyens)/3.
Peu importe, pourvu qu’on prenne conscience qu’un médecin pour qu’il puisse accomplir sa mission, il faut qu’il exerce dans un bon environnement, dans de bonnes conditions, qu’il soit bien équipé, bien secondé et bien géré.
Nous avons peut-être oublié de créer une école nationale supérieure du génie biomédical
Entre nous, que va-t-on faire du bachelier qui a eu 18 de moyenne générale au bac avec 11 en sciences naturelles et dont le rêve est de devenir médecin ? Qui se trouve brisé à cause de la moyenne pondérée ?
Quelles explications, quels arguments donner à cet excellent bachelier qui ne se voyait pas faire ou être autre chose que médecin ? Rien ? Lui proposer de choisir autre chose ? Ça serait du gâchis !
Pourquoi ne pas exploiter cette matière grise pour soigner notre système de santé ? Ne serait-il pas plus intéressant d’exploiter ses compétences exceptionnelles en mathématiques, en physique et son amour pour la santé humaine autrement mais dans le même domaine ?
Avec la création de deux écoles supérieures de Mathématiques et de l’Intelligence artificielle, pourquoi pas une troisième école nationale supérieure du Génie biomédical ?
Ce genre de bacheliers serait plus profitable à notre système de santé en intégrant une école de formation élitaire dans le génie biomédical car ce profil de bachelier est plus adapté à l’innovation, à la création dans le domaine de la santé en associant son génie technique à son intérêt pour la médecine.
Avec une bonne formation, associant des modules de médecine et des modules techniques, cette élite pourrait opérer un changement dans notre système de santé en étant la partie manquante de la solution.
*Docteur en électronique et enseignante chercheuse à l’Université Blida 1