Les fractures survenues au Front national français et à l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) après des poussées électorales sans précédent illustrent la difficulté pour les grands partis d’extrême droite européens de mettre durablement sous cloche des divergences internes parfois profondes.
A l’inverse du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), leur aîné et allié qui a su gérer la déception d’une courte défaite à la présidentielle, en décembre 2016, et brigue un retour au gouvernement après les législatives le 15 octobre, les deux formations ont fait étalage de leurs divisions à l’issue de scrutins clés.
L’AfD est devenue dimanche le premier parti nationaliste à entrer au Bundestag depuis la guerre. Mais sa coprésidente Frauke Petry a annoncé lundi son refus de siéger avec la formation, sur fond de différends avec un autre dirigeant qui a vanté les « performances » des soldats de la Wehrmacht.
Au Front national, Marine Le Pen (33,9% des voix au second tour de la présidentielle française en mai) a dû prendre acte la semaine dernière du départ de son ex-bras droit Florian Philippot, principal artisan de la stratégie de « dédiabolisation » du parti.
Paradoxal en apparence, le phénomène rappelle que les succès des formations d’extrême droite résulte de l’agrégation de composantes variées et parfois antagonistes.
« C’est un exercice d’équilibrisme » qui peut dérailler précisément quand le succès apparaît à portée de main, note Jean-Yves Camus, spécialiste des extrémismes européens à l’institut de recherche français Iris.
« Ce n’est pas le tout d’atteindre une masse critique, il faut aussi savoir quoi en faire », indique-t-il à l’AFP. « A un moment, le ciment anti-système ne s’avère plus suffisant », a fortiori quand les gains électoraux incitent aux « tactiques individuelles ».
Cas Mudde, professeur associé à l’Université de Géorgie (Etats-Unis), le confirme. « Les scissions sont rarement purement idéologiques, elles sont bien plus souvent personnelles ou stratégiques », relève-t-il.
– La carotte du pouvoir –
A cet égard, le FPÖ autrichien fait aujourd’hui figure d’exception.
Doyenne des partis d’extrême droite en Europe, cette formation a elle aussi traversé une crise interne majeure après son entrée au gouvernement en 2000 aux côtés des conservateurs du chancelier Wolfgang Schlüssel.
Etroitement contrôlée depuis 2005 par Heinz-Christian Strache, elle a cependant su tester récemment différentes lignes politiques sans afficher de clivages majeurs.
Le dirigeant, successeur de Jörg Haider qu’il avait débordé par la droite, a imposé ces derniers mois une ligne privilégiant l' »agression indirecte », et même « l’humour », plutôt qu’une approche frontale, rappelle le politologue autrichien Thomas Hofer.
Une « tactique électorale » qui a permis au candidat de ce parti, Norbert Hofer, de remporter 46,2% des suffrages à la dernière présidentielle. Et qui laisse espérer au FPÖ un retour au gouvernement et automne.
La caractéristique du parti, relève M. Camus, est de « savoir aligner des figures quasi consensuelles comme M. Hofer tout en conservant en son sein un noyau pangermaniste ».
Le secret de cette alchimie ? « Comme la Ligue du Nord italienne, le FPÖ a déjà été un parti de gouvernement, et il sait qu’il va sans doute avoir rapidement des débouchés », note M. Camus, évoquant la probabilité d’une alliance avec Sebastian Kurz, le jeune conservateur donné large favori.
A contrario, l’exemple du FN rappelle qu’en l’absence de perspective d’exercice du pourvoir, « il y a un effet cocotte-minute, on se demande pourquoi ça ne marche pas, on cherche des boucs émissaires, on se déchire sur les sujets de fond », souligne-t-il.
Le FPÖ n’est pas à l’abri d’une telle évolution. « Un résultat décevant le 15 octobre pourrait rapidement changer la donne et impliquer le début de la fin de l’ère Strache », estime le politologue autrichien Anton Pelinka.
Un quitte ou double similaire a été engagé en Hongrie par le dirigeant d’extrême droite Gabor Vona, qui ambitionne, grâce à un recentrage affiché, de faire de son parti Jobbik la première force d’opposition à Viktor Orban.
En moins de quatre ans, il s’est « clairement écarté de l’image radicale, extrémiste et menaçante qui était celle de son parti », relève le politologue Bulcsu Hunyadi à Budapest.
Mais s’il n’atteint pas ses objectifs lors des législatives au printemps, M. Vona sera lui aussi fragilisé. « Il y a une opposition significative au sein du parti à sa stratégie de normalisation et de recentrage », rappelle M. Hunyadi.