Le professeur Riad Mokretar, chef du service anesthésie-réanimation au CHU Béni Messous à Alger, considère que la progression ou le recul de l’épidémie du Covid-19 dépend en grande partie du degré de respect -ou pas- des mesures préventives.
Comment évolue, selon vous, l’épidémie de la Covid-19 en Algérie ?
Pr Riad Mokretar : À l’instar de ce qui se passe dans le monde, je dirai qu’elle est plus marquée par un effet yo-yo, c’est-à-dire que lorsque la circulation des personnes est importante, de par leur regroupement notamment autour de certaines activités commerciales sans respecter les mesures préventives, on assiste à une augmentation des contaminations voire à une vague. Avec une saturation des structures hospitalières. À l’inverse, lorsque des mesures restrictives sont prises par le gouvernement, eh bien on assiste à une diminution des contaminations et à un retour progressif à une situation « normale ». C’est ce qui s’est passé durant la première vague, et c’est ce qui semble se dessiner aujourd’hui après le pic de la 2e vague et les mesures adoptées.
Quel est le constat au sein de votre établissement ?
Au niveau du CHU Béni-Messous, on constate moins de pression sur le centre de tri. Les structures Covid qui, il y a une semaine tournaient à 100 % de leurs capacités, sont autour de 70 % en moyenne. Les services réquisitionnés, en plus des structures Covid traditionnelles, se vident progressivement. Cependant, comme après la 1ère vague, dans la réanimation on est au mieux à seulement 80 % des capacités d’hospitalisations. Ça ne diminue pas beaucoup en « réa », ce qui explique probablement qu’on n’enregistre pas de baisse significative du nombre des décès jusque-là. Elle est relative, et les prochaines semaines seront plus édifiantes pour juger de cela. On espère que la décrue continue comme après les mesures adoptées après la 1ère vague.
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« A aucun moment, il n’y a eu défaillance dans la prise en charge des malades »
Comment vont vos personnels ? Subissent-ils toujours la pression ?
À propos des personnels soignants, la situation ne s’améliore pas. Et ce dans la mesure où on a enregistré beaucoup de contaminations surtout au service d’anesthésie-réanimation qui est à la fois sur le front de la réanimation Covid et de l’activité d’anesthésie-réanimation chirurgicale, où 50 % des personnels sont contaminés. Lorsqu’on les récupère, ils bénéficient de 30 jours de dispense de l’activité Covid et également sur les gardes de nuit chirurgicales. Ce qui accentue la pression sur les personnels restants qui doivent faire leur travail et qui sont déjà saturés. Il y a une espèce de cercle vicieux qui s’installe, et lorsqu’on récupère ces personnels, ce sont les camarades qui ont travaillé à leur place qui sont saturés et contaminés. De ce côté-là, nous ne voyons pas le bout du tunnel. Je tiens quand même à rassurer qu’en toute circonstance, tout le monde a toujours puisé dans ses dernières ressources psychologiques et physiques pour prendre en charge les patients. À aucun moment, il n’y a eu défaillance dans la prise en charge des malades.
Selon vous, comment soulager les structures hospitalières surchargées ?
Étant donné qu’il y a une grande disparité au niveau national, où des hôpitaux sont plus sollicités que d’autres, nous avons proposé l’optimalisation des ressources humaines et des infrastructures. De sorte que lorsque des structures sont saturées, il faudra faire appel aux personnels les moins sollicités dans les hôpitaux avoisinants pour prêter main forte, voire aménager une structure qui pourrait soulager les hôpitaux à proximité. J’ai été heureux d’entendre le ministre de la Santé nous annoncer qu’une structure sera bientôt opérationnelle, afin de soulager la région Centre-ouest d’Alger dont fait partie notre hôpital.
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Comment appréhendez-vous la suite ? Y aura-t-il une « troisième vague » ?
Je pense que l’honnêteté intellectuelle nous impose à tous de dire qu’on ne sait pas. Ce pour la simple raison que le génie évolutif du virus n’est pas encore connu. Il n’est pas maîtrisé. Tout ce l’on sait aujourd’hui c’est cet effet yo-yo : quand on ne respecte pas les mesures barrières, que toutes les activités reprennent en même temps, et qu’il n’y a pas de sanction, on peut aller vers une nouvelle vague. Sauf si l’évolution propre au virus change la donne et s’arrête, c’est ce nous souhaitons tous mais on n’en sait rien.
Doit-on placer tous nos espoirs sur les vaccins anti-Covid dont des campagnes ont d’ores et déjà commencé dans certains pays ?
Il n’y a pas assez de recul sur les vaccins déjà utilisés dans certains pays, notamment s’agissant des effets secondaires potentiels, et de toute façon pour les résultats ce ne sera pas pour tout de suite. Il y a encore des données inconnues quant à la durée de l’immunité, le nombre de personnes vaccinées, etc. En gros, la vaccination permettra probablement de freiner un peu mais pas complètement l’évolution de l’épidémie.
Que nous reste-t-il à faire en définitive ?
La seule chose qui relève de notre responsabilité et de notre volonté, et là je lance un appel aux Algériens, c’est le respect des mesures barrières par le port des masques, le lavage des mains, la distanciation et aussi éviter les regroupements familiaux inutiles. Toutes ces mesures ne sont pas une restriction des libertés, ça ne nous empêche pas de vivre, de travailler, ni de faire du sport… mais c’est ce qui nous permet de préserver notre santé, celle de nos parents et de nos amis. On a pu d’ailleurs voir un éveil à ce propos chez la population, notamment la frange la plus jeune. Je pense que c’est parce que tout le monde a plus ou moins été touché de plein fouet par la pandémie, en enregistrant soit un décès d’un membre de la famille, d’un voisin ou d’un ami. On voit donc un peu plus de conscience dans l’utilisation des masques chez les plus jeunes. Ce n’est pas le moment de relâcher, le bout du tunnel est probablement proche mais pas pour tout de suite. C’est notre volonté qui pourra faire la différence en attendant les effets favorables éventuels du vaccin, pourquoi un frein à la progression de l’épidémie spontanément par le génie évolutif du virus.