Économie

EXCLUSIF. Entretien avec Kamel Moula, président du Crea

Kamel Moula a été élu samedi président du Conseil du renouveau économique algérien (Crea). Dans cet entretien exclusif à TSA, il revient sur les objectifs de cette nouvelle organisation patronale, la situation de l’économie algérienne, le climat des affaires en Algérie, les réformes à mener…

| Lire aussi : Kamel Moula, président du CREA : « Il y a urgence »

Pourquoi créer une nouvelle organisation patronale ?

Il y a plus d’un million cinq cent mille entreprises dans notre pays. Si nous devions faire le rapport entre le nombre d’entreprises présentes sur le territoire national et le nombre d’entreprises adhérentes aux différentes organisations patronales existantes, nous constaterions très vite que la grande majorité des opérateurs économiques ne sont pas représentés.

Certains secteurs d’activité ne sont même pas encore structurés en branches ou filières professionnelles. Il y a donc un nombre très important d’entreprises qui vivent quotidiennement de multiples difficultés et qui ne peuvent pas faire entendre leur voix collectivement.

| Lire aussi : Une nouvelle organisation patronale : le retour de la concertation ?

Le patronat ne se résume donc pas aux organisations patronales existantes. Et plus il y aura d’organisations patronales, mieux les entreprises et particulièrement les TPE/TPI et les PME/PMI auront un niveau de représentativité élevé auprès des pouvoirs publics.

Le Conseil du renouveau économique algérien a l’ambition de fédérer un maximum d’entreprises mais il restera toujours encore de la place pour de nouvelles organisations patronales.

Comment est née l’idée de créer le Crea ?

Les travaux de la conférence sur la relance industrielle du 4 décembre dernier, se sont tenus sous le slogan “Ensemble pour relever le défi“. Lors de son allocution, le président de la République a insisté sur le fait qu’il ne devait plus y avoir de différences entre le secteur public et le secteur privé et qu’il devenait urgent de rétablir la confiance entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics.

Par ailleurs, la récession mondiale, la pandémie et ses conséquences sur nos entreprises, la baisse des réserves de change, la dévaluation de notre monnaie et son incidence sur le pouvoir d’achat, la défiance envers des réformes pas toujours appropriées, la méfiance des opérateurs économiques génèrent un climat malsain pour le développement économique.

Deux choix s’offraient à nous : faire le dos rond et attendre que l’orage passe au risque de voir notre économie s’effondrer ou retrousser nos manches et agir.

Nous avons fait le choix d’agir et de renouer avec la confiance. Car agir en confiance est un réel moteur pour faire redémarrer notre économie.

Avec plusieurs chefs d’entreprise, nous nous réunissons de manière informelle depuis plusieurs semaines pour réfléchir au meilleur moyen d’accompagner cette volonté nouvelle et être de véritables acteurs du développement de notre pays.

Nous avons finalement opté pour la création de ce syndicat patronal national qui aspire à rassembler un maximum d’énergies.

Quelle est l’ambition du Crea ?

La principale ambition du Conseil du renouveau économique algérien est de contribuer à l’établissement d’un environnement économique prospère, durable et responsable sur l’ensemble du territoire national.

Pour cela, nous allons accompagner les entreprises algériennes dans leur développement et leur compétitivité et les fédérer autour d’une stratégie nationale du plein emploi.

Nous voulons également créer des partenariats à l’international pour favoriser les investissements en Algérie et faire progresser les exportations de la  production nationale.

Quel est l’état du dialogue social en Algérie ?

Pour plusieurs raisons, le dialogue social sous le format tripartite n’a pas eu lieu depuis 4 ans. Cependant, plusieurs conférences nationales regroupant l’ensemble des acteurs ont été organisées par les pouvoirs publics afin de comparer les points de vue des acteurs sociaux et économiques et pour évaluer les conséquences de la pandémie sur l’économie algérienne.

Il est nécessaire de formaliser le dialogue social car les stratégies de développement économique et social ne peuvent réussir que si elles reposent sur des processus collectifs et concertés.

Notre expertise et notre connaissance des secteurs économiques permettront des évolutions législatives et réglementaires pertinentes en adéquation avec les réalités du pays.

Les Algériens gardent en mémoire la mauvaise expérience du FCE. Est-ce que le Crea ne va-t-il pas devenir un soutien total aux politiques économiques du gouvernement ?

Le Conseil du renouveau économique algérien est composé de chefs d’entreprise qui ont pour seule ambition le développement de leurs entreprises et de l’économie algérienne.

Nous sommes un syndicat patronal apolitique et soucieux de respecter la Loi 90-14 qui régit notre organisation. Nous sommes dans la construction économique pas dans la subversion politique.

Et nous n’aurons pas de difficulté à soutenir des politiques économiques que nous jugerons performantes et porteuses de résultats positifs pour les entreprises, pour l’emploi, la croissance et le pouvoir d’achat.

Par contre, nous tenons à être dans la concertation avant l’élaboration des textes pour apporter notre expertise des secteurs et des réalités du pays. Pas pour nous immiscer dans les affaires de l’État mais pour éviter la mise en application d’une réglementation pénalisante qui ne répond pas aux objectifs de développement.

Lors de la conférence de presse qui s’est tenue samedi 19 février lors de la création du Crea, vous avez déclaré, “il y a urgence“. Quelle est la situation des entreprises algériennes ?

La situation des entreprises est particulièrement difficile. Le climat des affaires est morose et stressant. Les investissements et les projets sont gelés par leurs initiateurs. La confiance nécessaire pour libérer les énergies n’est pas tout à fait au rendez-vous.

La crise mondiale, la dévaluation de notre monnaie nationale, la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs ont un impact négatif sur le moral des chefs d’entreprise qui ne voient pas de perspectives d’avenir.

Ils sont très inquiets pour leurs entreprises mais aussi pour leurs salariés et leurs familles. Les heures et les jours que les opérateurs économiques passent de service en service, de bureau en bureau, de direction en direction pour une régularisation administrative de dix minutes est autant de temps en moins nécessaire à la bonne gestion de leurs affaires et au développement de leurs entreprises.

Cette bureaucratie et cette résistance au changement ne sont plus acceptables dans un monde où la digitalisation de nos vies connaît une accélération sans précédent.

Comment le Crea va-t-il apporter sa contribution au débat économique ?

Dès la première réunion du bureau exécutif, nous allons nous organiser en commissions de travail sectorielles et intersectorielles qui auront pour missions essentielles de proposer des actions à moyen et long terme dans leur domaine de compétence.

Nous souhaitons être un interlocuteur crédible auprès des pouvoirs publics en proposant des solutions réalistes et réalisables à court, moyen et long terme.

Quelles sont, selon vous, les réformes à mener en urgence pour redresser la situation de l’économie algérienne ?

Les urgences à traiter aujourd’hui en Algérie sont : la sauvegarde et la création ainsi que l’amélioration du pouvoir d’achat. Les réformes à mener doivent avoir ces deux objectifs en ligne de mire.

La présence de patrons de grandes entreprises publiques au Crea signifie-t-elle une vraie union entre les secteurs privé et public ?

Nous évoluons dans le même monde économique et nous sommes impactés par les mêmes facteurs exogènes : crise mondiale, pandémie, dévaluation de notre monnaie.

Les entreprises publiques ne sont pas à l’abri de la bureaucratie également. Nous avons donc tout intérêt à nous rassembler pour répondre ensemble aux défis qui nous sont communs. Nous allons beaucoup apprendre les uns des autres, mutualiser nos compétences, nos ressources et réfléchir ensemble à ce qui est le mieux pour l’essor du pays.

De grandes entreprises publiques ont adhéré au Crea. Cela traduit-il un soutien indirect du gouvernement à votre démarche ?

Cela traduit surtout la volonté de l’État de ne plus faire de distinction entre public et privé tant en termes de droits, de devoirs et d’application de la réglementation.

Aujourd’hui, nous parlons de l’entreprise en tant qu’entité créatrice d’emplois et de richesses peu importe qu’elle soit publique ou privée.

Et si notre rassemblement permet d’avoir une écoute plus attentive de la part des pouvoirs publics, cela servira en premier lieu à l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens.

Des chefs d’entreprise privées se plaignent de blocages et de discrimination par rapport au secteur public. Comment le Crea va-t-il aborder ces problématiques ?

En premier lieu, aujourd’hui la volonté de ne plus faire la distinction entre les deux va permettre de réduire considérablement les écarts que vous citez.

Concernant les cas existants, lorsque nous serons sollicités sur ce sujet par les entreprises elles-mêmes, nous traiterons les dossiers au cas par cas pour trouver des solutions avec les parties concernées.

Les plus lus